Les mémoires plus ou moins vrais de Maitre Scarabée le plus grand des faussaires, ou le sucide par la justice. 19 partie

Remi Campana

-19 (bis) LES NOUVELLES AVENTURES DE DUPA GRAVE ET DE LA PETITE CHATTE MIMINE.

(ATTENTION : Je vous conseille avant la lecture de ce chapitre, pour une meilleure compréhension de l’histoire, d’allez faire un tour sur ces liens : http://blogs.arte.tv/Bubbles_n_Buzz/frontUser.do?method=getHomePage&rubricId=100906&blogName=Bubbles_n_Buzz ou http://www.ziglotron.com/arablog/topic1448.html vous pouvez aussi taper sur Google : Les nouvelles aventures de Dupa-Grave et de la petite chatte Mimine, album n°4)

La liberté, une belle utopie dont tout le monde aime à citer le nom, mais dont personne ne comprend le sens. Accepter de penser librement, que voila un beau sentiment. Alors si je dois tolérer une vision dissemblable de la mienne, pourquoi  ne serais-je pas libre de tuer mon prochain pour la même vérité, sans devoir être jugé ?

Malgré cette conception un brin à mon avantage, tel la vierge marie j’avais dû prendre la direction de l’exil. Je me retrouvais déjà depuis plusieurs semaines prisonnier de cette fosse à purin de Normandie. L’ennui me pesait et me retrouver ainsi encerclé par une bande de dégénérés alcooliques et incestueux, me dérangeait au plus haut point. Même les nouveaux Havrais qui arrivaient des quatre coins du monde pour renouveler l’espèce, avaient les mêmes gueules cassées  que les précédents et ne pouvaient pas faire grand-chose pour égailler les esprits.

Cette pénitence pour mes péchés me semblait un brin excessive, surtout que je n’avais fait grand mal à la société. Pour le peu réalisé, je me retrouvais condamné vingt-quatre heures sur vingt-quatre à être éternellement dérangé par ces « Francillons gauchisants ». Je vous l’assure, tel était mon triste sort, mes pauvre nuits se trouvant entrecoupées par les chants barbares de ces pousse-au-crime. Quant à mes journées, mon regard se trouvait agressé par la vue de ces feignants. C’est bien simple, plus je les connaissais plus je les détestais et du coup je ne sortais plus que le matin très tôt de peur de les croiser. Après onze heures c’était le couvre feu et j’attendais péniblement le lendemain pour de nouveau aller me balader.

Pourtant tout Gentilhomme devrait savoir que l’oisiveté est un art réservé aux gens de cœur comme votre narrateur et non pas à des « pallots » incultes qui donnent une aussi vilaine image de cette noble profession. Même le vol chez ces gens-la était lâche, agressif et sans grâce, loin de la noblesse et du respect qu’on doit porter à mon métier. Moi au moins je laisse une chance à mes victimes, le plus malin remporte la bataille.  Je n’ai pas peur de le dire, c’est un sport de haut niveau, rien à voir avec ces crétins qui vous attaquent des mamies et des infirmes. Le plus dramatique, c’est qu’on les incite  à ne rien faire au lieu de les mettre en prison en leur rinçant la patte avec l’argent du contribuable (bien que moi je n’en paye pas), et on se plaint que notre société ce délite, je vous le dis belle mentalité que tout cela…

Je me consolais comme je pouvais puisque j’avais du temps  libre en revenant à mes premières amours, la bande dessinée.

Sur l’avenue René Coty, où il m’arrivait de flâner, j’avais découvert une petite librairie qui s’offrait à mes attentes et s’appelait « La belle burne ». Drôle de patronyme j’en conviens, mais un zouave qui avait donné un nom aussi paillard à son lieu de travail ne pouvait m’être que sympathique. J’avais raison, bien que l’endroit était un peut trop propret, le garçon qui le tenait me plaisait, j’ai donc sympathisé.

Il était tout le contraire de ma personne, petit, mince et inter-mondialiste ; une seule chose nous rapprochait,  comme Sanson il entretenait les nobles cheveux d’un homme par le port d’une jolie barbe pleine. En plus, il n’avait pas fait d’histoires quand j’avais négocié la ristourne obligatoire à mes achats. Puis un jour Ratichon (c’était son prénom) me parla de l’anniversaire de son magasin. Avec un manque d’esprit digne de nos contemporains, il désirait faire comme tout le monde pour fêter l’heureux événement avec une série de marque- page de premier prix. Comme toujours en pareil cas, mon coté provençal  revient à la charge et je ne peux m’empêcher de lui faire la morale. Proposant pour argumenter mes dires de réaliser un bel album à la manière des surréalistes en forme de cadavre exquis. Je m’engageais sur l’honneur à réunir pour l’entreprise cent grands « mariases » de dessinateurs. Ne voyez- vous pas que ce haut rêveur me prit au mot.  Sa main telle l’heurtoir d’une porte claquant dans la mienne, j’étais piégé dans mon orgueil et je promis donc de faire de mon mieux sans trop savoir comment j’allais réaliser une aussi belle action.  


Rentrant chez moi, la tête en feu, je commençais à dresser mon plan de bataille.  Scarabée devait déjà prendre un nom de campagne pour rester incognito. Il me revint à la mémoire celui du « gaga » de Saint-Malo et il s’appellerait pour l’occasion « Rémi Campana ». S’il a bien existé, que voilà un nom de baptême étonnamment décadent. Ses parents avaient le sens du ridicule pour donner à ce rejeton deux notes de musique pour prénom. Quand on s’appelle la cloche, voilà un paradoxe qui résonne !

A l’arrivée dans son salon, Maître fit le pas rond quand son regard s’arrêta sur une lettre reçue la veille, où le vieux « Picqueboufigue »  lui présentait ses condoléances tout en lui apprenant la mort de Dupa. L’idée était toute trouvée, il le ferait ressusciter… Puisque celui-ci n’avait pas eu de famille, Maître pour  l’occasion en créa une de substitution. Quand un paresseux se met au travail, il le fait pour deux : avant même de ratisser large, il écrivit sa préface, dont voici un extrait :

« Avertissement : L’intégralité de ce texte, est à lire sur la séguedille de l’opéra « Carmen » de Georges Bizet.

« Tra la la la la la la la ». ……, après moult péripéties, l’album que vous allez lire va essayer de répondre à quelques unes de vos interrogations sur cet énigmatique clown intemporel et sa galette de blé noir. J’ai nommé Dupa-Grave et la petite chatte Mimine.

Pourquoi Dupa-Grave nous intéresse-t-il encore aujourd’hui ? Qui se cache derrière ce personnage de papier, créé dans l’atmosphère française de la première moitié du XIXème siècle ? Un nouveau héros décidé à se faire une place au soleil ou un oublié du placard comme tant d'autres ? Rien de tout cela. Juste le retour d’un des plus vieux représentants d’un art populaire au sens noble du terme. Peut-être les plus anciens d’entre vous se souviennent- ils encore de lui ? Il aura fait la joie de plus d’un enfant depuis l’année 1840, date de sa création, jusqu’en 1941, date de sa disparition. Je vais essayer ici-même de vous faire un petit récapitulatif de l’histoire de Dupa et de son alter ego la petite chatte Mimine.

STREPPONI BUSSETI (1801-1869) Tout commença en Italie à Busseto, province de Parme. Le 13 Octobre 1801  naquit un adorable poupon et cela trois jours après le fils du pays : l’illustre Joseph Verdi (qui tout comme lui était né français). A l’époque, cette province italienne se trouvait sous administration française. Le petit Strepponi fut donc affublé du prénom hexagonal de Pierre-José-Marie-Louis, sans doute plus agréable à l’oreille de l’occupant. De ses premières années on ne sait pas grand chose. La seule trace avérée de son existence se trouve dans l’église monastique de Santa Maria Degli Angeli. Là, par son bon goût, notre cher enfant a gravé dans l’une des pierres de l’édifice en patois local « j’emmerde la Sainte Vierge P.J.M.S. 1809». Un enfant sage me direz-vous ? Bien au contraire …. Diverses histoires sur de folles cavalcades se racontent encore aujourd’hui. Mythes ou légendes ? Je vous conseille de lire l’ouvrage du premier biographe de l’artiste : Rachel Halévy. Un livre écrit en 1976. Il raconte avec truculence ces anecdotes. Il serait trop long de s’étendre ici sur le sujet. Par la suite, sa trace se perd jusqu’en 1812 où on le retrouve à Toulon à l’époque débaptisée en « Port la montagne ». Il suit son père Amadeo Strepponi, fonctionnaire de l’état, qui vient de prendre ses nouvelles fonctions avec femme et enfants. La famille vit dans une relative opulence. Deux chérubins viennent s’ajouter aux trois déjà présents : Hyppolite et Marie-Anne. Les Toulonnais se souviennent encore de cette jeune femme iconoclaste ainsi que de ses bacchanales d’amants sans oublier ses magnifiques poésies libertines. L’expression « avoir le vallon au court bouillon comme la Marie-Anne » est toujours très populaire dans cette ville : je ne m’étendrai par sur le fond, vous l’aurez compris. Dès 1822, Strepponi travaille dans l’administration pénitentiaire. A la vue des forçats arrivant au bagne, enchaînés par le cou, le choc fut rude pour le jeune homme de vingt-six-ans. Il y a fort à parier que c’est à ce moment que prirent racines ses vues anti-autoritaires. La même année, deux choses vont marquer sa vie. La première fut sa rencontre avec l’artiste peintre Pierre Letuaire (1798-1885) avec qui il apprit le dessin et la vie de bohème. La seconde fut son intérêt pour la franc-maçonnerie. Toutefois, rien n’atteste qu’il en fît partie. Il resta malgré tout durant toute sa vie très proche du grand Orient de France. En 1824, ses prises de position dans la presse locale contre des châtiments inhumains et corporels infligés aux bagnards, ainsi que le déballage des tripatouillages du curé de l’église Saint-Louis sur certaines de ses paroissiennes, irrita grandement les instances locales. Il en fut quitte pour une promotion au bagne de Brest où il resta jusqu'à la fin de l’année 1832, date à laquelle il démissionna. En 1833 il rentra à Toulon et se maria avec une jeune femme du village de Pignans, Claire-Marie Bagnis (1814-1858). Le couple semble avoir été heureux toute sa vie. Fin 1838, on les voit partir pour l’ancienne capitale des Gaules, Lyon. On ne connait pas réellement les décisions qui ont motivé leur départ. Les hypothèses les plus facilement admises sont de lourdes dettes de jeux ou la mort du père, qui subvenait de manière évidente aux besoins du jeune couple. Dès 1840, Strepponi travaille comme correcteur au journal « Le Courrier de Lyon ». Il se fait très vite remarquer par l’un des  deux rédacteurs, Alexandre Jouve (1805-1874), non pas pour ses corrections mais pour ses petites caricatures. Celui-ci, avec l’aide de son frère Eugène (1813-1889) lui proposera de réaliser quelques illustrations pour combler les vides sous le pseudonyme de « Strepponi-Busseti ». Très vite, il transforma son travail en une succession d’images, influencé en cela par le Suisse Rodolphe Töpffer (1799-1846). Dupa-Grave était né !!! C’ est amusant de voir à quoi ressemblait ce Dupa primitif.

Il est à noter que toute sa vie, Strepponi a réfuté la prononciation de Dupa en prononçant «  Doupa ». Ses origines transalpines en sont probablement pour quelque chose – le U se disant OU. Déjà le personnage à ses débuts est rond, barbu et quelque peu agressif. Il ne porte pas la casquette mais un haut de forme. Il est à la fois prince, voleur, chauffeur, croqueur de femmes ou prêtre. Anarchiste avant l’heure, il échoue presque à chaque fois dans ses mauvaises actions. Strepponi a probablement pris comme modèle le folklore italien de la commedia del arte. Il est intéressant de voir que madame Halévy développe une autre version sur l’origine du personnage. Pour elle, Dupa-Grave n’est rien d’autre qu’une vision romancée de Pierre Coignard, faux comte Pontis de Sainte-Hélène (1770-1834), qui termina sa carrière au bagne de Brest à l’époque où Strepponi y travaillait. Cette hypothèse est fort plausible : quand on se penche sur les histoires du héros de papier et les aventures de son homologue historique, on y voit de nombreuses similitudes. Le plus intéressant reste Mimine (qui a porté divers noms comme Mademoiselle Anastasie ou Poupinette) personnage zoomorphique habillé en robe. Cette petite chatte noire, marchant sur deux pattes, est fascinante et a dû influencer pas mal d’écrivains, comme Carlo Collodi avec son

Pinocchio (1881). Quand on voit nos deux compères, comment ne pas penser au renard et au chat, les âmes damnées du pantin de bois. Le succès devint tellement grand qu’il dépassa les frontières. L’empereur de Russie, Nicolas 1er aimait, dit-on, lire les aventures de Dupa-Grave. Strepponi-Busseti continue à son rythme jusqu'à la mort de son épouse. Son décès l’ayant rendu fou de chagrin, l’homme déclina en quelques mois. Pendant les dernières années de sa vie, il chercha l’oubli dans la boisson et vendit les droits de son personnage. Il survécut en réalisant des dessins et décors du théâtre de Guignol « Le Café du Caveau », situé au n°1 rue Saint-Louis, tenu à l’époque par un dénommé Charles Grandjean. Terminant comme un semi -clochard, le 3 février 1869, il fut admis à l’hôpital de l’antiquaille où il mourut. Sa dernière phrase, rapportée par Grandjean, aurait été « et bien, puisque mon heure est venue, je vais aller m’amuser à déflorer cette vieille bigote qui a mis au monde le petit charpentier. Bonne mère, écarte les cuisses ! Me voici !! ». Et il s’écroula raide mort dans les bras de son ami. Deux jours plus tard, son corps fut inhumé dans le cimetière de Loyasse. Avec les années, sa tombe a disparu et ses restes furent certainement dispersés dans une fosse commune. Voilà comment termina le premier père d’un des premiers héros de la BD française.

FLORIAN (1852-1917) A l’abandon de la série par Strepponi-Busseti, quelques dessinateurs de second rang prirent la relève, hélas sans grand panache. Continuant dans la même veine que le créateur, ils n’ont jamais réussi à égaler le maître. Il n’est donc même pas intéressant d’en parler ici. Le renouveau se fera en 1882 avec le journal parisien « Le Siècle ». Le patron de l’époque Yves Guyot (1843-1928) racheta les droits et passa le bébé à un jeune peintre, Hyppolite Duysburgh. La relève se trouva enfin assurée. On ne sait pas grand chose de cet artiste. Même son lieu de naissance nous est inconnu. D’après l’étymologie du nom, on peut penser que ses origines se situent dans le nord de la France, où dans l’actuelle

Belgique. Sous le pseudonyme de FLORIAN, il va révolutionner la série. Avec lui, Dupa-Grave va littéralement se métamorphoser. Il gomme le côté cruel du personnage pour en faire un bonhomme lunaire, virevoltant au tempo d’un orchestre de guinguette. Il modernise sa tenue vestimentaire : le haut de forme laissant place à une casquette, certainement en référence aux Apaches, très à la mode à cette époque. Mais surtout il en fait un peintre de Montmartre, à demi bohémien. Florian s’attache à montrer les travers de la société avec une certaine lucidité, particulièrement les milieux bourgeois et artistiques. De bourreau, Dupa en devient la victime. Le côté pathétique et absurde des individus ressort bien plus sous sa plume et c‘est certainement une des plus belles périodes du personnage. Mimine change aussi radicalement : elle perd son statut d’animal à deux pattes pour se retrouver sur quatre. Néanmoins, la petite chatte continuera à penser et deviendra la morale de son maître. Les années rebondissent les unes derrière les autres, la notoriété du personnage redevient de plus en plus grande. Arriva l’affaire Dreyfus : Florian, ami de Zola, se rangea très vite du coté des défenseurs de l’officier. Les aventures de Dupa-Grave écornent au passage les institutions militaires, ce qui lui vaut d’être censuré à deux reprises. Florian sera même obligé, sous la pression politique et judiciaire, de prendre quinze jours de «repos». On peut remarquer qu’en cette fin de siècle, la concurrence devient dure. D’autres éditeurs commencèrent à imiter avec plus ou moins de bonheur la veine ouverte par Strepponi !! La plus célèbre sera, dès 1908, une création du cirrhotique Louis Forton (1879-1934) : Les Pieds Nickelés, mettant en scène trois personnages principaux, Croquignol, Filochard et Ribouldingue, trois petits filous, à la fois escrocs, hâbleurs et indolents. J’ouvre une parenthèse sur l’année 1907 : le célèbre acteur Coquelin l’aîné (1841-1909), grand admirateur de Dupa-Grave, contacta Yves Guyot pour lui proposer une adaptation théâtrale du personnage et de ses aventures. Florian s’attela à la tâche, aidé du jeune écrivain André Gide (1869-1951) avec qui il entretenait une amitié virile depuis quelques années. Hélas le doux rêve d’un Dupa en chair et en os ne se montera jamais. Coquelin, qui devait incarner Dupa, meurt brutalement lors d’une lecture de la pièce le 27 janvier 1909. Avec la première guerre mondiale, Dupa-Grave devient un agent opérant derrière les lignes ennemies.

Florian, dans un trait de génie patriotique, crée son principal ennemi, le professeur SCHMIDT. En pleine débâcle allemande l’auteur meurt d’une crise cardiaque le 19 décembre 1917. Dupa-Grave et Mimine se trouvent à nouveau orphelins. Après lui, la série survécut en devenant l’ombre d’elle-même. Devenu anti-bolchevique et anti-allemand primaire, Dupa-Grave se parodia lui-même. Les scénarios se suivent. Les dessinateurs se succèdent, certains avec une belle qualité graphique comme avec « Le Malouin » (1882-1965), mais l’âme de la série s’est perdue. Pendant encore une bonne vingtaine d’années, il survécut dans les journaux, mais en 1941, la France occupée interdit définitivement sa publication sous les instances explicites de la kommandantur Allemande. Dupa-Grave et Mimine étaient bel et bien morts.»

Ainsi fait le premier Dupa était devenu un « Canut », belle chose dans ce milieu de guignol. Que voulez- vous, Scarabée, comme tout ringard, aimait les livres et l’histoire de France. Pour rajouter de « l’authenticité » à sa préface, il compléta par quelques photos de vieux tableaux trouvés au hasard de ses achats. Ces anonymes donnaient  sans problème d’excellents visages aux papas de Dupa. Quant à celui-ci, Maître fit simple en le dessinant à son image. Pour clôturer l’ensemble, le titre surgit sans même l’avoir pensé « Les nouvelles aventures de Dupa-Grave et de la petite chatte Mimine, album n°4 ». Pourquoi quatre ? Notre ami jugeait cela plus noble et déposa discrètement sur le côté de la page « Ils sont tellement cons qu’ils ont oublié les trois premiers ». Quant à la maison d’édition, étant faite d’huile de coude pour l’heureux événement, elle s’appellera « débrouille ». Tout était maintenant planifié, le vrai travail pouvait commencer.

Pour déloger les « dessinandiers », la recherche se fit de la façon la plus logique : une fois trouvés leurs noms d’origine avec un bottin téléphonique, il suffisait de les apostropher. On a du mal à imaginer le nombre de ces terroristes du pinceau qui s’y trouvent. Le plus difficile était de les faire travailler à titre gracieux. Heureusement pour son bébé, il restait à notre pasticheur quelques contacts dans ce domaine. Il avait eu plaisir à côtoyer dans sa jeunesse certains de ces grands maîtres et avait même accompli quelques larcins un brin coquins en leur compagnie. Se rappelant à leur popularité, il les tint à peine au courant de sa tactique pour appâter leurs confrères. Ces gentils «frottants » rentrèrent de suite dans la « resquille ». Pour l’occasion, leurs patronymes à peine révélés aux nouvelles générations firent sensation, tout en ramenant du monde au bataillon. Pour être honnête, ces influençables étaient surtout heureux de se moquer de toute une bande de prétentieux qui spéculent et collectionnent un art pour enfants, le débauchant ainsi de sa nature originelle.    

Pour s’amuser, il contacta la plus fripouille d’entre-eux, « Jean De Snaps » , tel était son nom. Ce tout frais  « Bernard Buffet » de la nouvelle BD française et fondateur d’une maison d’édition  pour débauchés « la dénonciation » (un horrible truc prout-prout  pour mal -baisé qui ne s’assume pas). Ce « glinet  » passait son temps à recycler quelques trouvailles qu’il avait plus ou moins créées dans le passé, rien d’impardonnable en soit. Mais quand on critique ses petits camarades, tout  en  jouant  les génies sans en avoir le talent, là c’est plus grave. A peine celui-ci avait -il décroché qu’il s’offusquait qu’on le dérange pour une chose insignifiante. C’est qu’il aimait trop les billets pour ne pas être payé, sans compter que se mélanger avec des gribouilleurs  inférieurs à son talent n’était pas digne d’un homme de ce rang (pour un humaniste donneur de morale, on comprend que la chose reste impardonnable). Scarabée ce doutant d’avance de la réaction du Sycophante, continua son cinéma. Agacé par ce manque de respect dû à sa chère personne, le pète-sec demanda  comment ce disgracieux ténébreux  avait  eu son téléphone.  Avec le même aplomb,  la réponse  fut pleine de diplomatie :  « s’il n’était pas content, ce n’était pas une raison pour emmerder son monde, on ne réalise pas d’ économies de gagne petit,  en laissant son patronyme apparent sur les pages blanches  de l’annuaire. En  « grand dabe » on privilégie l’anonymat via une  liste rouge ». Ces atticismes  de langage avait du déplaire au pompeux car il lui raccrocha de suite aux narines. Ne vous inquiétez pas, il en fallait plus à Maître pour se fâcher. Si un jour il dessinait des ouvrages de la même façon que l’élégant, à leur vue il n’aurait de cesse  d’essayer de les refaire avec ses pieds : le résultat en serait certainement plus probant.

 

Au bout de quelques mois, les tocsins sonnaient, la tâche était terminée, Scarabée avait échoué. (A suivre)

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