3 apparitions du Diable (extrait)

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1.

    Le début se situe dans une petite maison aux murs d’argile et coiffé de chaume dont la cour est parsemé d’herbes folles. Nous sommes perdus quelque par dans la France de l’entre-deux guerre.

    Mes semelles écrasent diverses fleurs sauvages alors que je passe devant le vieux puits au dessus duquel pend un seau rouillé.

    Je franchis le seuil et entre dans la masure, un vieux chat noir tout pelé me déboule entre les jambes en miaulant. A l’intérieur, c’est la pénombre, une bûche brule dans l’âtre. Avec ce peu de luminosité je découvre des étagères croulantes sous des tas de bocaux en verre non étiquetés. Ils sont emplis, pour la plupart, d’herbe, de fleurs séchées et de racines mais d’autres ont un contenu beaucoup plus particulier tel que des ailes de chauves souris, des crapauds, des lézards et une multitude d’insectes rampants.

    Tout est trop calme, soudain j’entends des pleurs à l’étage. L’escalier est situé dans le fond de la pièce, je monte en prenant bien garde de ne pas faire craquer les marches. Il y a deux chambres, les pleurs proviennent de la porte de droite, je la pousse et entre.

    Devant moi, une femme est agenouillée au centre d’un pentagramme tracé à la craie rouge. Des bougies noires sont disséminées un peu partout et à côté d’elle est posé un livre : « Le grand et le petit Albert ». En me voyant son visage se crispe sous l’effroi, ses yeux s’attardent plus longuement sur mon bouc et mes cornes saillantes. Je lui dis :

-         Tu m’as invoqué, je suis là, que veux-tu m’acheter ?

Elle balbutie entre deux sanglots :

-         Regardes mon ventre Prince des Ténèbres, elle désigne son abdomen gonflé

par sept mois de grossesse, je veux me venger du salaud qui m’a violé et implanté sa semence en moi.

-             De mes yeux de braise, je la regarde de haut en bas, elle est belle malgré la

haine qui lui déforme la face. Je me gausse, quelles vermines ces humains, mais celle-ci m’attendrit et pour cette unique fois je vais me laisser aller à la pitié.

    Je lui réponds en évitant de la brûler de mon haleine chargée de soufre.

-         Soit… je t’accorde ton souhait mais comme tu n’as rien à me vendre mise à

part ton âme  et que j’en ai déjà beaucoup plus qu’il n’en faut en stock, je te la louerai seulement ainsi que celle des deux générations auxquelles tu donneras naissance.

    Elle se trouble, avait-elle réellement pris conscience qu’elle se trouverait en face du diable ? Je continue :

-         De quelle mort souhaites-tu qu’il périsse ?

    Son regard est dans le vague, elle ne sait plus où elle en est. Je lis en elle :

-         Cela sera donc une mort agonisante, tel est ton désir.

    Elle est pétrifiée, pour conclure le pacte, je lui impose ma marque sur une partie cachée de son corps. Et, déjà je dois m’en retourner, je suis appelé ailleurs. L’histoire m’attend.

2.

    La suite se passe quelques temps après la libération du pays par les alliés, en pleine ville en reconstruction après les bombardements de la guerre.

    J’ai eu pas mal de travail ces derniers temps et pour me relaxer j’ai décidé de m’occuper d’une petite affaire que j’avais presque oublié, un bail qu’il me fallait reconduire.

    Mes semelles claquent sur le pavé (c’est dingue comme l’histoire se répète à peu de variante près, sans même qu’il n’y ait besoin d’un coup de pouce du diable, ah ! ah ! ah !…), quelques herbes tentent de percer le bitume mais elles sont vite écrasées par les automobiles qui circulent.

    C’est le soir, les réverbères s’allument, et tout change de perspective, l’atmosphère devient plus inquiétante et cela n’est pas pour me déplaire, c’est l’instant où l’on sent que tout peut basculer, un crime est si vite arrivé dans ces petites ruelles sombres. Emergeant tel un démon d’un tas d’ordures, un chat noir s’enfuit.  

-         Tu fais bien de t’en aller Astarot, n’empiète pas sur mon terrain si tu ne veux

pas subir mon courroux.

    On ne voit plus la lune et au dessus de moi les lampes forment des cônes de lumière sur les trottoirs où seul poussent les fleurs du macadam. Je ne l’ai jamais vu mais je la reconnais tout de suite, elle ressemble tant à sa mère.

    Je vais droit sur elle, les autres prostitués me font de l’œil en soulevant leurs jupons mais je n’y prête aucune attention. Je la suis dans sa chambre sordide qui empeste la sueur, là, elle se dénude et s’allonge aussitôt en écartant les jambes. Je distingue parfaitement ma marque à l’endroit même où je l’avais apposé sur sa mère, elle est à moi.

    La fille s’impatiente :

-         Eh ! Je n’ai pas que ça à faire mon mignon, tu te déshabilles ou non ?

-         Je ne suis pas monté ici pour ça ma belle.

Alors j’hôte mon chapeau et découvre mes attributs frontaux, son visage se glace, elle essaie de fuir mais je la plaque d’un geste sur le matelas chargé de moiteur. Pendant ce laps de temps, je lis son passé en elle.

    Toute cette douleur accumulée en si peu d’années. Les coups et les humiliations de sa mère, les caresses puis le viol de son beau-père. Il m’arrive parfois de penser que l’enfer sur terre vaut bien le mien.

-         Ne crains rien, je suis seulement venu prendre ton âme pour un certain temps,

cela ne fait pas mal.

3.

    La fin se passe en deux temps, effectivement l’histoire des hommes est moins mouvementée et le diable est d’autant moins pressé.   

    Seulement dix années ont passé, pour ainsi dire rien.

    Les villes de béton poussent comme des champignons ainsi que les routes comme leur mycélium avec la bêtise pour engrais. A l’instar d’une mouche je peux m’infiltrer partout, aucune porte ne m’est close.

    Elle est si belle que l’on dirait un ange…

                La suite ?... « Cercueil de nouvelles » attendant un éditeur.

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