All the Parents who are gone -chapitre 9

Juliet

Les musiques s'enchaînent, le corps se déchaîne, une liesse enivrante s'acharne et Mia sent ce son qu'il incarne, il est ce rythme qui l'enrôle dans ces pas d'ardeur et d'élégance, il est cet hymne qui l'enjôle dans cette chaleur de décadence.
Ses muscles ont la souplesse d'un contorsionniste et la grâce d'un danseur étoile, et sur la pointe d'un pied comme un équilibriste, voilà qu'il s'étire et se dévoile.
Sa poitrine nue est une ode à la sensualité, son visage une ode à la beauté, et chacun de ses mouvements une ode à l'art dont il est une œuvre dans chaque aspect de sa personne. La musique est battante, son cœur aussi, et ses pieds glissent sur le sol avec une légèreté qui lui donne l'air de planer. Dans sa liesse il s'avance vers Hakuei, calme spectateur otage assis sur le rebord du lit, et face à cet air trop sage Mia a envie de folie, et sur Hakuei Mia se penche, il colle son front contre le sien, et comme une lueur de revanche brille dans ses yeux épicuriens.
-"君は綺麗な..."

Il chante en même temps que la voix sortant des enceintes aux quatres coins de la pièce, et cette voix si singulière que l'âme de Mia dévore avec délice, la sienne l'accompagne dans une harmonie éblouissante. Sans rien dire, Hakuei observe captivé ce corps qui se libère et cet esprit qui s'envole, et un cri de surprise lui échappe lorsque les mains de Mia agrippent ses poignets pour l'attirer de force dans sa danse effrénée :
-歌声喫茶『モダン』へようこそ… 

Ils virevoltent, partent à mille volts, dans l'humeur désinvolte qui entraîne Hakuei dans ce délire enfiévré et les deux dansent, tournoient, les pas endiablés de Mia vont de plus en plus vite comme son chant retentit de toute sa clarté et sa puissance, il a un rire éclatant et un sourire épatant, et dans ce manège incontrôlé Hakuei se laisse entraîner encore et encore jusqu'à ce que le tourni ne les prenne et que Mia le premier ne perdre l'équilibre, et dans un rire explosif le garçon choie au sol et dans toute l'ivresse de sa liesse, il tend ses bras vers Hakuei qui lui offre son aide et lorsqu'il a à nouveau la main sur lui, Mia le tire vers une chute qu'il amortit contre sa poitrine et alors, dans un infime moment de tendresse, ses bras entourent le dos de l'homme au creux du cou duquel il enfouit son visage.

Hakuei s'est redressé brusquement pour se diriger d'un pas raide vers la musique qui d'un coup s'éteint, remplaçant son allégresse tapageuse par un silence assourdissant, et toujours dos au sol, Mia le regarde faire dans un léger sourire, les yeux moqueurs.
-Il est trop aisé de vous mettre mal à l'aise, Hakuei. Un homme de votre âge ne devrait pas se sentir ainsi face à un adolescent de dix-huit ans.
-Et un adolescent de dix-huit ans devrait totalement se sentir ainsi face à un homme de mon âge, rétorqua Hakuei qui se réinstalla sur le lit d'un air rigide. Si je n'ai rien contre le fait de danser avec toi, tu devrais éviter de me serrer contre toi de la sorte sans me prévenir.
-Mais vous m'avez déjà pris dans vos bras, Hakuei.
-C'est différent, se défendit l'homme dans une grimace d'agacement, je ne voyais pas comment réagir autrement face à un garçon qui pleurait.
-Alors, ne suis-je digne d'attention que lorsque je pleure ?

-Non ! s'exaspéra-t-il. Mia, je t'apprécie sincèrement, mais tu ne peux pas t'attacher à moi comme ça. Pas de la façon dont tu…
-Ô, Hakuei, vous êtes bien trop sérieux, tandis que tout ce que nous pourrions faire maintenant, c'est boire, boire, boire et s'enivrer ! 


Bien sûr, qu'il était lâche. Bien sûr, que ce n'était que pure bassesse et manipulation. Bien sûr, qu'il abusait de sa confiance, mésusait de sa conscience, et méprisait son innocence. C'était tout cela que Hakuei avait le sentiment de faire, et à chaque fois qu'il déglutissait, c'était sa honte qu'il avalait, cette boule amère et immonde qui lui arrachait des grimaces de dégoût.
Hakuei aurait dû refuser et d'ailleurs, il l'avait toujours fait jusque-là. Jusque-là… Mais cette fois-là, sans savoir pourquoi, l'idée lui est venue qu'il s'est surpris de ne pas avoir eue avant. A moins, peut-être, qu'avant ce jour-là sa bonne conscience ne permettait pas à ses pensées de se manifester avec tant de désinhibition, laissant à Hakuei le prétexte de la légalité et de sa responsabilité pour refuser à Mia ce qu'il lui réclamait.
Et si d'ordinaire, Hakuei aurait évincé le jeune homme au moment même où il mentionnait l'idée de boire de l'alcool, cette fois-là, un éclair a frappé l'esprit de l'homme qui lui a fait prononcer des mots qu'il n'aurait jamais cru prononcer de si tôt :
-Eh bien, Mia, buvons jusqu'au matin.
Si le garçon en avait été saisi de surprise, soupçonnant d'abord une plaisanterie de la part de cet homme austère, il en a ensuite trépigné de joie lorsqu'il a compris que, par un mystérieux miracle, il s'apprêtait enfin à vivre une expérience unique. Car si Mia ne savait que trop bien ce qu'était de s'enivrer, il avait toujours rêvé de savoir ce que pouvait amener de le faire en compagnie de Hakuei, et sans cacher son excitation le garçon tapait des mains, tout sourire, tandis que l'homme le servait d'une rasade de whisky.
-Vous servez élégamment, Hakuei, et généreusement je dois le dire, pour quelqu'un qui a toujours clamé qu'un mineur ne devrait jamais boire.
-Je suppose que je suis d'une humeur exceptionnelle aujourd'hui, se contenta-t-il de répondre. N'espère toutefois pas en faire une habitude, comme je ne compte pas devenir la cause de ta dépravation.
-Quelle idée, Hakuei, comme la dépravation est en moi depuis bien avant notre rencontre.
Si Mia se donnait une apparence d'hilarité, ça n'a pas fait rire Hakuei qui, de l'autre côté de la table basse, s'assit avant de se servir à son tour. Il a invité Mia d'un geste de la main qui ne s'est pas fait prier ; d'une traite le garçon a vidé son verre sous les yeux ahuris de l'homme.
-Tu pourrais y aller un peu plus doucement.
Si Hakuei a cru qu'il se moquait de lui lorsque Mia a éclaté de rire, ce n'était que parce que le garçon se sentait pris d'un attendrissement dont il ne savait pas quoi faire. Sa bouche rieuse pudiquement cachée derrière sa main, il fixait l'homme de ses yeux scintillants :
-Voyons, Hakuei, je ne suis pas un novice en la matière.
-Je m'en doute bien, rétorqua l'homme avec une pointe de vexation dans la voix, mais un gamin ne devrait pas boire un alcool aussi fort aussi rapidement. Lorsque j'ai dit que nous boirions jusqu'au matin, je ne voulais pas te voir ivre mort dès le début de la soirée.
-Que je sois ivre mort au début ou à la fin, qu'est-ce que cela change ? Je ne vous empêcherai pas de vous amuser.
-Ne sois pas ivre mort tout court, martela Hakuei avec péremption.
-Pourquoi donc ? Pensez-vous que je ne l'ai jamais été ? J'ai été ivre mort devant bien plus de personnes que vous ne pourriez l'imaginer.
-Je n'ai aucune envie de l'imaginer, Mia, et je ne trouve pas là de quoi se vanter. Je ne saurai que te déconseiller de te mettre dans un tel état en compagnie d'inconnus comme en compagnie de moi.
-Mais, Hakuei, vous n'êtes pas un inconnu, et si je ne le fais pas en compagnie de mes clients -ceux que vous appelez “des inconnus- alors avec qui le ferais-je ? Se saouler seul, il n'y a rien de plus triste, vous ne croyez pas ?
-Certains d'entre eux pourraient en profiter pour abuser de toi, Mia.
-Et vous, Hakuei ? Vous, vous abuseriez de moi ?

Il espérait que ce ne soit une question rhétorique, une boutade, sa manière crue de le déstabiliser, mais en même temps, il y avait aussi la crainte que Mia, derrière ses airs d'insouciance, ne puisse réellement douter de ses intentions. Si Hakuei a blêmi, ce n'était pas par gêne, mais c'est la gêne qui a semblé paraître dans sa voix lorsqu'il a balbutié :
-Non, Mia. Mais je crois qu'après tout ce temps passé auprès d'eux, tu n'as pas appris l'essentiel : Ne fais pas confiance aux hommes. Ne fais pas confiance aux hommes comme ça, parce qu'aucun n'est pur comme toi.
Mia ne savait pas quoi répondre, aussi, allant à l'encontre des codes de la politesse japonaise, il saisit la bouteille de whisky pour se resservir. Il s'est stoppé, le verre au quart plein seulement, lorsque d'un geste Hakuei l'a arrêté et, silencieux, Mia a regardé l'homme se lever pour aller chercher dans son frigo une bouteille de soda.
-Au moins, ne le bois pas pur comme ça.
Faisant fi de la moue réprobatrice du garçon, Hakuei le servit avant de touiller le mélange à l'aide d'une cuillère sous les yeux attentifs de Mia.
-Non, non, Hakuei, vous vous y prenez mal.
Et Hakuei, trop interdit pour réagir, de se laisser faire lorsque le garçon lui prit la cuillère des mains et, à son tour, se mit à mélanger doucement :
-Vous êtes supposé tourner lentement, comme cela, expliqua-t-il d'une voix douce. De plus, vous remuiez de gauche à droite, mais vous devez mélanger dans le sens contraire des aiguilles d'une montre. Si vous faites l'inverse, cela revient à signifier que vous souhaitez que le temps passe plus vite ; remuer dans le sens contraire d'une horloge, cela est censé ralentir le temps, laissant penser ainsi à vos hôtes que vous prenez du plaisir en leur compagnie.
Hakuei s'est figé net, stupéfait, avant de se rasseoir dans un soupir las :
-Je ne veux même pas savoir où tu as appris une chose pareille.
Le garçon n'eut qu'un pâle sourire pour toute réponse, amenant le verre à sa bouche qu'il sirota avec lenteur pour se donner une contenance.
-Il semblerait que tu aies passé ces dernières années à faire beaucoup de choses qu'un mineur n'est pas censé faire.
Une juste remarque qui sonnait comme une sentence, et Mia fuyait le regard de l'homme, sentant son cœur s'accélérer lorsque ce dernier se rapprocha un peu plus de lui.
-Je suppose qu'à côté de cela, te laisser boire tout ton saoul n'est pas si grave.




Il buvait depuis plus de deux heures non-stop, et Hakuei avait cessé de compter le nombre de fois que Mia avait vidé son verre. Des bouteilles de toutes sortes d'alcool jonchaient la table, vides, et si Mia ne pouvait plus tenir debout, si ses pas s'emmêlaient, si ses jambes chancelaient, si son coeur s'affolait, peu lui importait car à chacun de ses mouvements, Hakuei était là prêt à le retenir.
De nombreuses fois déjà il l'avait empêché de chuter, et à chaque fois qu'il atterrissait dans ses bras, Mia éclatait de rire, un rire irrépressible encouragé par l'ivresse, et Hakuei avait peine à tenir écarté du sien le visage du garçon qui tentait toujours de s'approcher un peu plus. Ses lèvres roses étirées en un charmant sourire cherchaient les siennes, mais Hakuei évitait cette tendre attaque en repoussant délicatement le garçon tout en le maintenant de son bras entourant sa taille.
-Vous n'êtes pas drôle, Hakuei. Je croyais que vous étiez ivre, aussi j'espérais que vous succomberiez, juste cette fois.
-Je suis ivre sans aucun doute, admit l'homme, mais je n'ai pas perdu mon âme.
-Oh, Hakuei, vous êtes si grandiloquent, à faire un drame d'un petit rien. Vous pourriez juste coucher avec moi, cette fois, et personne n'en saurait jamais rien.
-Moi, je le saurais.

Mia a trébuché sur son propre pied, mais Hakuei le tenait déjà qui raffermit son étreinte sur lui. Le regard vitreux, la bouche entrouverte, Mia a plongé sa tête au creux du cou de l'homme dans un soupir de satisfaction. Tant bien que mal Hakuei l'a fait se rasseoir qui ne se détachait pas de lui, alors l'homme, résigné, a laissé le garçon reposer son esprit tourbillonnant au creux de son épaule.
Et si Hakuei pouvait empêcher Mia de tomber, il ne pouvait l'empêcher de tomber amoureux.
C'est lorsqu'il a senti la respiration du garçon s'apaiser au creux de son cou qu'il a murmuré :
-Quel est son nom, Mia ? Le nom de l'homme qui t'a opéré, dis-moi quel est-il ?
Mia a à peine remué, son corps empesé par l'alcool.
-Asada, a murmuré le garçon à travers ses rêveries. Asada Makoto.












-Bien, Asagi, mettons les choses au clair : tu ne dois plus permettre à Hakuei de voir Mia.
Asagi avait la solitude pour amie et amante ; aussi, quand Masashi a débarqué chez lui sans préavis, il ne pouvait qu'être dérangé par cette intrusion qui brisait son intimité, et la tranquillité qui allait de paire. Son absence totale de ravissement était visible sur son visage morose, mais Masashi n'en avait cure qui força le passage sans même retirer ses chaussures. Asagi s'est fait force pour ne pas étrangler son ami, se raccrochant aux bons souvenirs qu'ils avaient partagés ensemble.
-”Permettre” n'est pas le bon mot, si je puis justement me permettre, cingla l'homme, puisque je le lui “ordonne”.
Asagi a claqué la porte derrière eux et Masashi, qui marchait droit vers le salon, a fait volte-face pour pointer l'homme d'un doigt accusateur.
-Tu ne peux décemment pas, qu'elle qu'en soit la raison, permettre à un homme de vingt ans de plus que lui à le fréquenter. Ne crois-tu pas que tu ne fais qu'encourager Mia dans tout ce qu'il y a de plus malsain ?
-Tu insinues que Hakuei est malsain ? ricana Asagi qui oscillait entre amusement et outrage.
-Bon Dieu, Asagi ; je dis que le fait qu'un garçon de dix-huit ans qui se prostitue et fout sa vie en l'air est malsain.

-Il ne t'est pas venu à l'esprit que s'il cessait toute fréquentation avec Hakuei, ce sont d'autres hommes, sans doute bien plus dangereux que lui, qu'il irait voir à la place ?
-Il en voit déjà bien d'autres, il me semble.
-Sans doute, mais lorsqu'il est avec Hakuei, nous avons l'assurance qu'il est entre de bonnes mains. Chaque instant où Mia est en sécurité est bon à prendre.
-Et toi, Asagi, il ne t'est pas venu à l'esprit non plus, je suppose, que si Mia découvre que le directeur de son école, pour une mystérieuse raison, paie un homme pour que ce dernier le fréquente aussi souvent que possible, il en sera bien plus que choqué par l'absurdité de la situation, mais aussi cruellement blessé dans son amour propre ?
-Excuse-moi, Masashi, combien es-tu aveugle pour penser que Mia a de l'amour propre ?
L'indignation a figé net Masashi qui ne savait plus même comment réagir. La situation lui semblait rocambolesque, dénuée d'un sens qu'il s'évertuait pourtant à chercher envers et contre tout ; -Tu ne peux décemment pas dire une chose pareille de lui, Asagi.
-Pourquoi, parce que c'est “méchant” ? railla l'homme, amer. Non, mon cher ami, Mia a perdu son amour propre depuis longtemps, et lorsque l'on se trouve au fond du puits, la bonne nouvelle est que l'on ne peut que remonter.
-Pourquoi fais-tu tout cela pour Mia ? balbutia Masashi, l'esprit sens-dessus-dessous. Non, attends… Comment as-tu que Mia se prostituait en premier lieu ?









(Sept mois plus tôt, avril)


-Mia, écoute-moi… L'année dernière, j'ai été tolérant avec toi. Trop tolérant sans aucun doute, comme ton comportement, loin de s'être amélioré, n'a fait que se dégrader. Monsieur Miwa m'a dit que tu étais arrivé ivre ce matin ?! Ivre, Mia, tu te rends compte ! Tu viens en cours pour y dormir, tes notes qui, auparavant, ne nous donnaient aucun motif d'inquiétude sont devenues catastrophiques. Mia, le seul fait que tu sois venu à l'école ivre est un motif de licenciement définitif, t'en rends-tu compte ?
A dire vrai, il en avait perdu la conscience au moment où les relents d'alcool dans son corps avaient sur lui cet effet d'irréalité, mais à présent que ses esprits lui revenaient, bien sûr, il ne pouvait pas l'ignorer ; son acte avait été un auto-sabotage complet et, au bord des larmes, Mia se contentait de fixer le sol comme soutenir le regard d'Asagi lui était un calvaire trop lourd à endurer.
Mais face à lui, il n'avait pas d'ennemi ; juste un homme qui, dans ce corps imposant et derrière ses airs d'austérité, n'était qu'un humain que la détresse de ses semblables plongeait dans le désarroi.
-Mia, je n'ai aucune intention de te porter préjudice, sais-tu, prononça l'homme d'une voix grave qui l'enveloppait d'une douce tiédeur. Mais je ne sais plus que faire… La patience et la tolérance semblent n'avoir eu aucun effet sur toi, aussi je ne vois d'autre solution que…
-Ne me renvoyez pas, je vous en supplie.

Sa voix est tremblante, ses mains aussi. Il essaie de le dissimuler en gardant ses mains croisées sur ses genoux, mais Asagi le voit ; sa nervosité le trahit malgré lui et avec peine, Asagi laisse échapper un profond soupir : -Tu connais le règlement de l'école, Mia. Tu sais que j'ai été avec toi plus indulgent que je n'aurais dû l'être.
-Mais vous êtes le directeur, Monsieur, je vous en prie ; il ne tient qu'à vous de décider de faire une entorse au règlement. La réputation de votre établissement est-elle si importante que vous devez renvoyer un élève pour ses mauvaises notes ?
-Mia, il serait simplement injuste que je t'attribue un traitement de faveur.
-J'en ai conscience, Monsieur, et c'est pour cela que je suis prêt à vous donner n'importe quoi en échange.

Sur le coup, Asagi n'a pas compris. Ou plutôt la censure en lui l'empêchait de comprendre, l'effroi face à cette situation mettait un voile sur sa conscience et pourtant, le message, tacite, était on ne peut plus clair. Face à Asagi, Mia avait écarté les jambes.
Lorsqu'il a relevé son regard sur l'homme, il a vu les larmes au bord de ses yeux qui ne demandaient qu'à couler, mais Mia, malgré ce qu'il venait de faire, avait la pudeur de ses émotions. Alors, du mieux qu'il le pouvait, il luttait pour les cacher mais “du mieux qu'il le pouvait”, au final, pour ce garçon affaibli, ce n'était plus grand-chose.
-Mia, je… Que suis-je censé répondre face à cela ?

Asagi riait, mais c'était un rire jaune, nerveux, désabusé, désespéré un peu aussi, et si Asagi était si perdu, c'est parce qu'il voyait dans les yeux de Mia que le garçon était perdu aussi. Un enfant égaré que l'on aurait lâché seul au milieu du désert, Mia suait la solitude par chaque pore de sa peau et offrait sa servitude avec la douceur d'un agneau. Mais c'était un agneau en sacrifice sur l'autel du Diable, et Asagi ne voulait pas être ce Diable-là, qui dévorerait tout cru le martyr offert à sa merci.
-Vous êtes censé répondre ce que vous voulez, Monsieur. Tout ce que je sais, c'est que je n'ai rien d'autre à vous offrir, et je ne veux pas être renvoyé… Je ne veux pas.
-Ne pleure pas, Mia, je… Je crois que je vais devoir appeler tes parents.
-Vous ne pouvez pas me faire ça.

Il était devenu livide, et Asagi eut face à lui un cadavre qui le transperçait de son regard mort. Une angoisse profonde, palpable et pénétrante, avait transfiguré Mia et émanait de lui, s'immisçant peu à peu en Asagi qui sentit sa poitrine se contracter et son souffle se raréfier.
-Vous ne devez pas appeler mes parents, Monsieur le Directeur. Et devant Dieu je jure que si vous veniez à le faire, je mettrais aussitôt fin à mes jours.
Ce n'était pas une menace ; juste, il l'avertissait d'une fatalité comme s'il n'y était pour rien, comme s'il ne pouvait rien y faire. Il ne faisait qu'énoncer un fait pour lequel, Asagi le sentait au plus profond de lui, il n'était que bien trop sincère, c'est pourquoi malgré tout ça a résonné en lui comme une menace, le glas d'un drame qui pend au-dessus de sa tête comme une épée de Damoclès. Et il ne tenait qu'à lui que cette épée s'abatte ou non.
En observant Mia, Asagi a réalisé qu'il ne respirait plus.
-Je ne dirai rien à tes parents, Mia.
Ses épaules se sont affaissées et sa poitrine s'est à nouveau mise à se soulever, presque imperceptiblement. Asagi a dégluti, mais une boule amère lui demeurait dans la gorge.
-Est-ce que… tu l'as déjà fait ?
Prononcer chaque syllabe était comme faire passer une lame à travers sa gorge. La voix d'Asagi était dénaturée, et le visage de Mia s'est assombri, troublé.
-Coucher avec des hommes en échange de faveur… Est-ce que tu l'as déjà fait ?
-Eh bien, Monsieur le Directeur, n'est-ce pas, selon vous, ce qui expliquerait aisément que je dorme en cours et arrive à l'école en étant ivre ? La façon dont je passe mes nuits ne me laisse pas beaucoup de temps libre, vous savez.

Ça sonnait presque comme de la provocation, mais c'était du pur détachement qu'Asagi ressentait de la part de Mia. Un détachement si fort que, peut-être, l'âme de Mia avait quitté son corps au moment où il prononçait ses mots, comme le vide, et le vide seul, emplissait ses yeux. Deux lapis-lazuli scintillants et pourtant, ce ne sont rien d'autre que des objets inanimés ; tel était le regard de Mia comme il fixait Asagi sans sembler le voir.
Asagi avait la nausée. Quelque part au fond de lui, une fissure l'a meurtri.







Terukichi a quatorze ans, des rêves qui font des feux d'artifices dans sa tête, des émotions qui font plein d'étoiles dans ses yeux. Il a quatorze ans et des chagrins à laisser couler le long de son visage, quatorze ans et un amour qui se présente à lui comme un doux présage. Il a l'avenir devant lui et les cauchemars derrière, il a le désir que l'ennui ne soit qu'un souvenir d'hier. Il a un passé qu'il tient en horreur et un futur qu'il veut en couleurs, il a le dégoût de l'insatiabilité des hommes mais il a le goût de l'irrésistibilité en somme, ce goût qui fond sur sa bouche et ravit ses lèvres, un bout de chair qui le touche et délie sa fièvre.
Il est au seuil d'un monde aux portes dorées, et que Dieu veuille bien le laisser l'explorer.
Tout contre lui un souffle le fait frissonner, et c'est malgré lui que son rire a résonné, et dans cette étreinte qui se cache dans le noir, Teru a senti brûler la flamme d'un espoir.
C'est chaleureux d'être amoureux, lorsqu'il n'y a plus de frein à la tendresse ; ça rend heureux lorsque à deux, ils deviennent un rempart à la détresse. Terukichi ferme les yeux et ses rêves se confondent avec la réalité, et dans le secret des lieux il se bat insolemment contre la fatalité.
Dans un bruissement de drap lénifiant, le corps chaud contre lui se blottit. Terukichi enserre son bras autour de ces épaules délicates et ferme les yeux avec délice.
-Si je le pouvais, Jui, je resterais ainsi pour le restant de mes jours.
Si le dénommé Jui a ri, ce rire était teinté d'une transparente tristesse, et sous les draps le corps du garçon a remué légèrement.
-Tu dis cela, Terukichi, mais je crois que tu vas bientôt partir.
-Que racontes-tu ? Il n'a jamais été question de cela ; moins encore si c'est partir sans toi.
-Mais tu as vu comment était ce couple venu la semaine dernière… Comment ils te parlaient, comment ils te regardaient…C'était différent d'avec les autres.
-Je pense que ton imagination te joue des tours, et que tu n'as aucune crainte à avoir, Jui. Ce couple est peut-être venu dans l'espoir d'adopter, mais tu sais bien que personne n'adopte jamais des enfants de notre âge. Que tu le veuilles ou non, toi et moi sommes condamnés à rester ensemble.
-Je le veux, Terukichi, c'est la seule chose que j'ai jamais voulue dans ma vie et cependant, un pressentiment a figé cette angoisse en moi que je ne peux ignorer.

Dans l'obscurité, la silhouette de Jui dessinait d'attendrissants contours sous les draps, et Terukichi a senti monter en lui une tristesse qu'il a étouffée en serrant un peu plus fort encore le corps contre lui. Comme s'il voulait lui transmettre sa chaleur, comme s'il voulait y faire traverser son cœur.
-Même si cette femme et cet homme voulaient de moi, Jui, alors je ne voudrais pas d'eux. Quelle folie pourrait-elle me prendre qui me ferait préférer deux inconnus à toi ?
-Mais, Terukichi, il n'y a aucune folie là-dedans, comme tu as toujours rêvé d'avoir des parents.      
La voix de Jui était un murmure, et pourtant ce murmure-là avait la puissance d'un glas qui sonnait un destin fataliste. Et sans savoir pourquoi, Terukichi a eu peur, peur que tous ces rêves à peine nés ne l'abandonnent, peur que ce futur espéré ne soit qu'une illusion, peur que le présent ne devienne une prison de laquelle il ne pourrait jamais s'enfuir, et alors, dans l'angoisse dévorante d'un destin dont il sentait le contrôle lui échapper, Terukichi a enfoui son visage au creux de la poitrine battante de Jui.








-Ai-je bien l'honneur de parler à Asada Makoto ?
Les rues étaient sombres et froides, les lumières de l'immeuble avaient cette blancheur diluée du soleil des pays du Nord, et dans le brouhaha ambiant des écrans publicitaires géants et des véhicules qui défilaient sans fin, cette voix avait détoné.
Les bras croisés par-dessus son trench coat, le visage caché derrière un masque chirurgical et la tête recouverte d'un chapeau, l'homme apparaissait dans un anonymat qui rendit plus surprenante encore cette voix qui avait appelé son nom. Intrigué, mais aussi un peu méfiant, Gara s'est tourné vers l'individu qui semblait l'avoir attendu, adossé à quelques mètres seulement de l'entrée de la clinique de laquelle il venait seulement de sortir.

-Excusez-moi, s'enquit Gara d'un ton sec, nous nous connaissons ?
-Non, et j'ai bon espoir que cela n'arrive jamais.
Instinctivement, Gara a reculé d'un pas, mais Hakuei l'avait déjà saisi par le col pour le plaquer dos au mur dans une hargne qui laissa l'homme pantois.
-J'ai rencontré un bon nombre d'ordures dans ma vie mais vous, Asada Makoto, êtes le déchet le plus immonde et puant qu'il ne m'ait jamais été donné de voir.
Si son cœur s'affolait dans sa poitrine, derrière son masque Gara s'efforçait de garder un air altier, frôlant même la condescendance, comme il défiait Hakuei de ses deux yeux luisants.
-J'ignore qui vous êtes, Monsieur, ni pourquoi et comment vous êtes venu me trouver ici.
-Le comment est simple, rétorqua Hakuei dont la main serrée autour de son col tremblait, faisant saillir des veines palpitantes. Il m'a suffi de chercher votre nom sur internet pour trouver partout des photos de votre visage de reptile, et des articles parlant de votre clinique et louant les mérites de votre prétendu génie. “L'homme qui fait des miracles”, a craché Hakuei dans une grimace de dégoût. Quelle sombre ironie, lorsque l'on sait quel médecin véreux et avide d'argent vous êtes, au point de ne pas hésiter à briser tous les codes déontologiques de sa profession et les codes éthiques de l'humanité pour s'enrichir plus encore sur le dos d'un pauvre gosse mineur atteint d'un trouble mental.
-... De quoi… de qui parlez-vous ? balbutia Gara qui sentait ses forces le quitter.
-Je parle de Mia et laissez-moi vous dire, espèce de benne à ordures, que si vous osez encore une seule fois abuser du mal-être et de la confiance de ce pauvre garçon, votre nom et votre visage feront le tour de tout le continent en un rien de temps, apprenant à tous l'homme corrompu et vicié par la cupidité que vous êtes.
Ses mains puissantes s'appuyant sur ses épaules eurent l'effet d'un rouleau compresseur et, incapable de lutter, Gara s'est laissé glisser le long du mur avant de finir avachi à terre, tétanisé. Accroupi en face de lui, le visage de Hakuei était un tableau d'apocalypse.
-Je me fiche de savoir combien d'argent il vous doit encore ; si j'apprends que Mia vous a donné ne serait-ce qu'un seul yen pour toutes les mutilations que vous lui avez faites, c'est votre corps qui servira de champ d'expérimentation.

Et comme s'il n'était rien qu'une chose sans intérêt, Hakuei s'est redressé, l'air de rien et, sans plus lui jeter un regard, s'est éloigné dans le bruit de la vie nocturne.








Les têtes tournaient, comme les serpentins de fumée ondoyant dans les airs avant de se dissiper sous des yeux vitreux. Les cœurs battaient, comme la musique assourdissante qui marquait son tempo à travers des enceintes dont les basses pulsaient jusqu'à faire vibrer les corps. Les lèvres s'étiraient, dévoilant des dents aiguisées de vampires affamés, et les corps s'étalaient, ivres morts sur les canapés de cuir comme ils se pâmaient.
C'était la luxure dans toute sa splendeur, et la démesure dans toute son ardeur, c'était le goût du vin qui coule à flots, et le bagout qui défile au galop ; les mots ici ne connaissent plus de censure, les maux aussi ont de quoi panser leurs blessures. C'était l'amour du délice et du délire, et les onctueux prémices du désir. Les corps se frôlent et s'ensorcellent, les corps s'enjôlent et se ficellent ; ici tout se prend mais aussi tout se loue, et l'on se suspend aux plus mâles des cous. Dans l'engourdissement des fumées les corps s'enlacent pour ne plus se lâcher, l'exhibition venant exhumer les plus voraces des rêves débauchés.
La lumière tamisée est pourpre mais les pilules sont de toutes les couleurs, l'atmosphère est tapissée d'amour et d'illusions que la solitude loue à l'heure. Tout semble diamant mais vu de près tout est strass, et tous les amants partent sans laisser de traces.
Ce sont des promesses sans lendemains et c'est ce que l'on préfère, céder à l'ivresse des liens étroits dont l'on pourra se défaire.


Les lèvres de Yoshiatsu étaient rouge sang, mais elles se sont délavées sur la peau d'un autre, et au creux de son cou la marque rosée d'une passion avide a pris sous les lumières ambiantes une teinte violacée. Avachi au coin de ce canapé d'angle, Koichi regarde faire, des boutons se défaire, la chemise de Yoshiatsu qui s'ouvre sur une poitrine immaculée et quatre mains gourmandes qui viennent se saouler de cette douceur inégalée.
Yoshiatsu se laisse faire, immobile les yeux fermés, comme deux hommes le couvrent de baisers sur sa peau dénudée, et Koichi fixe la scène de son regard voilé, mais peut-être est-il seulement en train de planer.
Une sensation sur sa joue le force à tourner le visage et là, celui d'un jeune homme n'est plus qu'à quelques millimètres du sien. Ses pupilles dilatées plongent dans les siennes et bientôt, ses lèvres se délectent de la douceur sucrée de celles de Koichi qui, interdit, prend plusieurs secondes avant de repousser délicatement l'individu d'une main.
Il reporte son regard sur Yoshiatsu et si la scène est devenue plus impudique encore, Koichi s'en moque bien, comme depuis leur arrivée, une seule pensée l'obsède. Alors il glisse sur le canapé jusqu'à venir se coller aux côtés de Yoshiatsu qui, en ouvrant les yeux, exprime son ravissement par un grand sourire.
-Toi aussi, petit Koichi, tu veux te mêler à cette joyeuse réunion ?
-Yoshiatsu, tu as déjà dépensé une fortune. Tu ne disposes pas de tout cet argent.
Il n'était plus avachi ; il était complètement allongé maintenant, pris en otage par ces deux corps musclés qui le maintenaient par les poignets et, la tête à l'envers, Yoshiatsu fixait le visage de Koichi penché sur lui en riant :
-Que viens-tu raconter là, idiot ? Bien sûr que si, j'ai l'argent.
-C'est l'argent que tu prends à Mia, Yoshiatsu. Si c'est pour le dépenser ainsi, tu ferais mieux de le lui rendre.
-Bordel, Koichi, si ce n'est qu'une histoire de jalousie, tu n'as qu'à me le dire franchement ; on peut baiser ensemble, si tu veux.
-Non… Non, Yoshiatsu, je voudrais que tu rendes cet argent à Mia. C'est l'argent qu'il a gagné à la sueur de son front.
-Tu parles ; s'il a gagné son fric de la même façon que je le dépense, alors il faut croire que ce salaud a pris son pied durant tout ce temps.

Koichi se fige. Il redresse la tête et regarde tout autour de lui, ses yeux balaient la salle de fond en comble mais il n'y trouve rien, rien que des esprits déchaînés, des consciences altérées, des corps amorphes, d'autres électrisés, et des débauches de drogues et d'exhibition qui le laissent froid.
Ça le laisse froid, pourtant une colère ardente bout en lui qui se sent devenir un magma en pleine combustion. Et tandis que Yoshiatsu, indifférent, est retourné à ses affaires -que l'un des hommes au-dessus de lui commence à lui retirer- Koichi se voit happé en arrière par deux bras enserrés autour de son cou.
Il se contient d'abord, dans cet immobilisme qui lui est si singulier, mais lorsqu'il sent des lèvres se déposer au creux de son cou pour y sucer sa peau, et une main possessive s'agripper à la rondeur au bas de son dos, il se retourne brusquement et, d'un coup de talon levé, envoie s'écraser deux mètres plus loin l'homme qui s'étale au sol, sonné.
Si tout le monde s'est saisi face à la scène, si Yoshiatsu s'est brusquement redressé qui l'a fixé avec des yeux qui n'osaient pas le croire, Koichi, dans sa plus parfaite indifférence, tourna les talons et s'en alla sans demander son reste.





-Koichi, attends… Koichi, réponds-moi, bon sang.

Il l'a agrippé par l'épaule, et c'est par pur réflexe que Koichi fit volte-face pour envoyer un coup de pied que Yoshiatsu esquiva juste à temps. Stupéfait, il est demeuré immobile, prêt à parer à tout moment un coup qui ne venait pas. Sous la lumière d'un lampadaire, Koichi se tenait là, semblable à une idole sous le feu des projecteurs. Avec ses cheveux rose barbe à papa, son maquillage extravagant et ses lentilles d'un bleu océan, il paraissait surréel, une théophanie juste sous les yeux de Yoshiatsu. Une théophanie dont la colère divine transparaissait clairement sur son visage, mais une théophanie malgré tout.

-Bordel, Koichi, aboya Yoshiatsu quand il reprit enfin ses esprits, tu as conscience du désordre que tu as foutu dans ce club ? Le dédommagement pour le préjudice physique et moral que tu as infligé à cet homme, à combien va-t-il s'élever, selon toi ?
-Je n'en ai aucune idée, mais vois le bon côté des choses ; avec l'argent que je t'ai économisé en te faisant partir d'ici, tu pourras certainement le payer.
-Koichi, je n'aime pas le ton sur lequel tu me parles.
Si c'était une menace, elle n'eut aucun effet sur le garçon qui se contenta de dévisager son interlocuteur avec dédain.
-Quel chemin prévois-tu d'emprunter, Yoshiatsu ? Je préfère que tu me le dises, car pour être honnête, je ne suis pas sûr de vouloir l'emprunter avec toi. Tu t'es vu dans un miroir ? Avec tes pupilles dilatées, ton maquillage tout barbouillé, tes fringues froissées et ce suçon à ton cou…Tu ne ressembles plus à toi-même, Yoshiatsu : toi qui détestes tant Mia pour la façon dont il gagne son argent, c'est pourtant cet argent sale que tu prends, et pour faire quoi ? Pour aller te droguer dans des clubs qui ne sont pas même censés te laisser entrer et faire exactement ce que tu lui reproches : donner ton corps à des hommes qui n'en ont rien à faire de toi.
-Je ne donne rien à personne, Koichi, et moins encore mon corps ; c'est moi qui ai payé ces hommes pour me tenir compagnie, et ce non pas pour qu'ils fassent ce qu'ils veulent de moi, mais uniquement ce que je veux qu'ils fassent. Quant à Mia, si je le déteste, c'est parce qu'il n'est qu'un dépravé sans honneur qui fait exactement l'inverse.
-Sincèrement, Yoshiatsu, détestes-tu réellement Mia ?

Yoshiatsu ne répond pas. Il ne sait pas quoi répondre ; dans la voix de Koichi, dans son regard perçant à travers ses yeux plissés par l'intrigue, il a senti ce doute, un doute qu'il ne sait pas comment contrer, un doute qu'il n'avait pas même soupçonné pouvoir exister.
Oui, cette question avait bel et bien une raison d'être, comme Koichi remettait en question celle qu'avait Yoshiatsu de haïr Mia. Comme si, malgré toutes les preuves qu'il n'avait fait que brandir, par toutes les épreuves qu'il lui avait fait subir, Koichi croyait profondément que son ami ne pouvait éprouver cette haine. Yoshiatsu ne le sait pas, mais aux yeux de Koichi, la haine n'est souvent qu'un drapeau que l'on brandit, mais c'est un drapeau sans territoire qui ne peut s'installer définitivement nulle part. 

Yoshiatsu ne sait pas quoi dire. Dans un réflexe étrange, il passe la manche de sa chemise sur sa bouche et alors, le satin noir se retrouvé taché de blanc et de rouge. Le blanc et le rouge, ça a avivé en lui des souvenirs qui l'ont frappé comme un éclair. Face à sa torpeur, Koichi a haussé les épaules dans une grimace de mépris.
-Je ne comprends simplement pas pourquoi tu n'es pas avec lui ce que tu as été avec moi.

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