Ames Vives

Joan Ott

         

 

 

AMES VIVES

D’après le roman de Joan OTT, Editions Le Manuscrit

Auteur : Joan OTT

Courriel : joanott@compagnie-ladoree.fr

Tél : 06 24 97 10 48

Genre : comédie d’anticipation

Durée : 1 heure

Public : adultes et adolescents

Résumé :

Dans l’Union Néo Démocratique de 2050, c’est la liberté : liberté de faire, de dire et de penser comme tout le monde. Le bonheur, en somme… Bonheur obligatoire : La Machine est là, qui veille !

Pourtant, dans ce monde parfait, au cœur de ce système sans faille, les vies de Colombe, Phileas et Gabriel, vont bien vite cesser d’être un long fleuve tranquille…

Distribution :

Phileas : sept ans

Gabriel : la quarantaine

Colombe : la soixantaine

Décor :

Pendrillons noirs – tapis de danse noir

Banquette deux places et chaise d’enfant recouverts d’un tissu jaune vif.

Sur le pendrillon du fond le drapeau de l’Union (jaune et noir).

Lumières :

Crue avec contrejour lorsque Gabriel est présent.

Douce lorsque Colombe et Phileas sont seuls.

 

Sons et musiques :

- Passages enregistrés : voix impersonnelle d’ordinateur

- Le Chant des Partisans (version Chœur de l’Armée française)


Dans le noir : Son de démarrage d’ordinateur

 

 

Scène 1

Colombe– Gabriel

Elle : en tailleur gris. Lui : en costume gris – lunettes noires, rondes

Colombe : Ce n’est pas possible Gabriel.

Gabriel : Si. Les tiens et les miens.

Colombe : Les organes ne s’évaporent pas comme ça.

Gabriel : Pas évaporés. Rétrocyclés.

Colombe : Quoi ?!?

Gabriel : Tu as parfaitement entendu.

Colombe : Mais qui a bien pu faire ça ?

Gabriel : Le Service Bacs.

Colombe : Une erreur...

Gabriel : Pas du tout ! Décision Unanime de novembre 17. Celle sur les ascendants.

Colombe : Jamais entendu parler…

Gabriel : Normal. Tout le monde l’a oubliée. Mais le système n’oublie jamais rien lui. Une très bonne D.U. d’ailleurs puisque le Peuple était convaincu que pas un seul collabo n’avait échappé à l’épuration.

Colombe : Et ce n’était pas vrai ?

Gabriel : Réfléchis une seule seconde. Des Fachos à cette époque-là il y en a eu un peu partout dans le monde. L’épuration n’a pas pu venir à bout de tous.

Colombe : Une manipulation...

Gabriel : Comment peux-tu proférer de pareilles horreurs ! Personne n’est manipulé dans l’Union. La Ligne est parfaite !

Colombe : Mais ça n’explique pas...

Gabriel : Bien sûr ça explique : si tu n’as pas au moins quatre bisaïeuls démocrates dûment estampillés tes organes clones sont rétrocyclés.

Colombe : Mais André mort dans le Vercors en 44 ?

Gabriel : Face à Siegfried engagé volontaire dans la S.S...

Colombe : Et les autres ?

Gabriel : Mathilde était F.F.I. ça on le sait tous. Mais Juan était tout sauf républicain. Quant aux autres : ‘Majorité silencieuse’. Tu penses bien qu’ils n’ont pas fait le poids.

Colombe : Tout de même on en avait deux...

Gabriel : La D.U. est claire : quatre ou rien !

Colombe : Mais elle est complètement absurde cette D.U. puisque tous les régimes de l’ère révolue sont aujourd’hui tenus pour néfastes et dangereux.

Gabriel : Ils l’étaient. Mais on ne peut pas pour autant les mettre tous dans le même panier.

Colombe : On devrait tout de même pouvoir demander des comptes…

Gabriel : Et à qui donc ? C’est le Peuple qui gouverne. Lui seul. Et le Peuple c’est nous.

Colombe : Mais il a bien fallu que quelqu’un donne l’ordre !

Gabriel : La machine est bien huilée. Elle fonctionne toute seule et depuis longtemps puisqu’on est tous d’accord.

Colombe : Alors les techniciens des Bacs...

Gabriel : Ils ont fait leur devoir on ne peut rien leur reprocher. Et ce n’est pas parce qu’une malheureuse D.U. nous touche personnellement qu’on va se mettre à penser de traviole.

Colombe : Et si c’était jusqu’à maintenant qu’on avait ‘pensé de traviole’ comme tu dis si joliment ?

Gabriel : Tu dérailles ma Colombe. On n’a jamais mieux vécu que dans l’Union. Bien sûr je peux comprendre que ça te fiche un sacré coup mais à ta place je me résignerais. Pour la Paix le Partage et la Prospérité.

Colombe : Je ne vois pas ce que les 3P viennent faire là-dedans.

Gabriel : Pense au bien commun.

Colombe : Le bien commun ! Et le mien ? Moi je ne compte pas ?  

Gabriel : Bien sûr que si… Mais on est trop nombreux. Beaucoup trop. Et on vit trop longtemps.

Colombe : Tout le monde travaille tout le monde mange à sa faim il n’y a plus de pauvres.

Gabriel : Dans le Monde des Heureux sans doute. Mais il reste la Pauvr’Afrique.

Colombe : Je ne vois pas le rapport : c’est comme ça depuis toujours là-bas. Quelques Néodémos de plus ou de moins n’y changeront rien.

Gabriel : Détrompe-toi. Cette D.U. concerne le dixième des Heureux.

Colombe : Tu plaisantes !

Gabriel : Pas du tout. Ce milliard en moins permettra d’intégrer enfin la Pauvr’Afrique.

Colombe : Pourquoi on ne néocycle pas plutôt ceux de là-bas ? Ils sont habitués à souffrir eux.

Gabriel : On néocycle et on rétrocycle autant qu’on peut. On organise leurs famines on subventionne leurs guerres on leur balance de nouveaux virus mais ça ne suffit pas.

Colombe : On n’a qu’à les stériliser alors.

Gabriel : C’est une tâche énorme.

Colombe : Qu’est-ce que tu en sais  toi ?

Gabriel : …

Colombe : Tu stérilises les Pauvr’Africains ?

Gabriel : Mais non je me contente de superviser le projet.

Colombe : Tu es monté en grade alors...

Gabriel : Chut.

Colombe : Et tout important que tu es tu acceptes que tes clones soient rétrocyclés.

Gabriel : Pour la paix sociale. Oui.

Colombe : Mon pauvre Gabriel.

Gabriel : Pauvre toi plutôt. Mon cœur à moi en a encore pour quinze ans. D’ici là il y aura sans doute une nouvelle D.U.

Colombe : Alors que moi : 60 ans dans un mois. Pas de greffe : plus d’existence possible. Je ne ferai pas la prochaine rentrée. Et Phileas… tu y as pensé à Phileas ? Qu’est-ce qu’il deviendra quand je ne serai plus là ?

Gabriel : Allons allons… il y a forcément une solution.

Colombe : La Pauvr’Afrique justement ! Là-bas ils font des greffes sauvages. Il nous reste les diamants des parents.

Gabriel : Oublie ça tout de suite il n’en est pas question. Un déplacement physique ! Mais ça n’existe plus voyons !

Colombe : Si. Les D.P. existent encore.

Gabriel : Seulement pour le travail. Et ton boulot à toi est ici…

Colombe : …

Gabriel : Colonel Assistant Gabriel Almaviva : tu as confiance en moi n’est-ce pas ?

Colombe : …

Gabriel : Je trouverai. Laisse-moi juste un peu de temps.  

 

 

Enregistrement : Voix impersonnelle d’ordinateur

 

Expérience ‘Affect’ Commencée ce jour

Sujets utilisés :

Sp. Almaviva Colombe Type 130+

Sp. Kurzmajor Phileas Type 140

St. Almaviva Gabriel Type 130

 

 

 

Scène 2

Colombe – Phileas en petit costume gris clair 

Colombe : Alors mon Poussin c’était bien l’école ?

Phileas : Oh oui ! Aujourd’hui c’était vraiment bien.

Colombe : Tu as appris des choses nouvelles ?

Phileas : Nan ! Mais on a fait des révisions : les D.U. les Bacs Alimentaires et tout ça...  Z’avais toutes les réponses !

Colombe : J’aime tellement quand tu zozotes mon Phileas mais tu sais qu’il ne faut pas...

Phileas : Ouais ze sais mais à l’école ze fais bien attention.

Colombe : Tu ferais bien de faire attention tout le temps.

Phileas : Le Centre d’Accompagnement hein...

Colombe : Oui. Tu sais ce que ça signifie.

Phileas : Je veux pas y aller moi dans le Centre.

Colombe : Alors prononce bien.

Phileas : T’inquiète Mamie ! Y m’auront pas !

Colombe : Mais qu’est-ce que c’est que ces réparties de franc-tireur...

Phileas : C’est quoi un franc-tireur Mamie ?

Colombe : Rien ! C’est juste une expression comme ça.

Phileas : Allons dis-moi !

Colombe : C’étaient des soldats qui ne faisaient partie d’aucun régiment. Ils n’obéissaient qu’à leur idéal.

Phileas : C’est quoi un régiment ?

Colombe : Un ensemble de soldats qui obéissent à un chef.

Phileas : Ça existe ça ?

Colombe : Non. Plus maintenant.

Phileas : Et un idéal ?

Colombe : Ça ça existe toujours... du moins il me semble. C’est ce vers quoi l’on tend ce en quoi l’on croit.

Phileas : Pour nous c’est L’Union.

Colombe : Oui. Mais ça ne me dit pas en quoi ta journée a été différente des autres.

Phileas : Pas vraiment différente. C’est juste que le Maître m’a demandé de rester après l’école parce que j’avais posé une question.

Colombe : Quelle question mon amour ?

Phileas : Je voulais savoir si tu serais différente après la greffe.

Colombe : Phileas !

Phileas : Ouais je sais : faut pas !

Colombe : Alors si tu sais... pourquoi ?

Phileas : Parce que z’avais peur Mamie. Peur que tu sois plus pareille après.

Colombe : Mon gros bêta zozotant ! Pourquoi je ne serais plus la même puisque c’est le même cœur le même exactement...

Phileas : C’est ce qu’il a dit le Maître.

Colombe : Tu vois bien !

Phileas : Oui oui j’ai promis : je dirai plus rien. Mais t’en fais pas : le Système aime bien les plus de 130. Je risque pas grand-chose.

Colombe : Ce n’est pas une raison Phileas.

Phileas : Ouais ouais...

Colombe : On ne dit pas ‘Ouais’ !

Phileas : D’accord…

Colombe : Et si ça peut te rassurer il n’y aura pas de greffe.

Phileas : Tu vas pas avoir soixante ans ?

Colombe : Si bien sûr mais je ne serai pas greffée. Ne t’en fais pas tout ira bien.

Phileas : Dis Mamie...

Colombe : Quoi donc mon Poussin ?

Phileas : Quand on pose les questions qu’il faut pas on va dans le Centre d’Accompagnement comme Maman et Papa ?

Colombe : Quelle idée ! Tes parents sont en déplacement physique pour leur travail. Je te l’ai dit mille fois.

Phileas : Pourquoi ils envoient pas de messages alors ?

Colombe : Ils ne peuvent pas. En Pauvre-Afrique les messages ne passent pas.

Phileas : Je te crois pas.

Colombe : Tu ne crois pas ce que dit ta Mamie ?

Phileas : En général oui… Mais là pas.

Colombe : Tu as tort. Je suis sûre que pour le Néo Jour tu auras un message.

Phileas : C’est dans plus de trois mois ! Et puis t’as déjà dit la même chose l’an passé.

Colombe : Cette année tu auras un message j’en suis certaine.

Phileas : Y’a intérêt ! Dis donc on a un devoir pour demain : racontez votre dernier voyage virtuel. C’était où déjà qu’on était allé ?

Colombe : Tu ne te souviens pas ? Mantoue… Le Palais Ducal : les fresques de Mantegna…

Phileas : Ah ! oui... le papa qui tient la main de son petit garçon !

Colombe : Tu vois : tu devrais avoir de quoi raconter !

Phileas : Tu m’aideras dis ?

Colombe : Ah non alors !

Phileas : T’es vache ! Pourquoi tu veux pas ?

Colombe : À sept ans on n’a plus besoin d’aide. Surtout pas toi.

Phileas : Y’a des fois ze me demande si z’aimerais pas mieux être encore un tout petit peu petit...

Colombe : Tu y réfléchiras dans ton lit.

Phileas : Déjà ? Il est même pas neuf heures !

Colombe : J’ai dit : au lit !

Phileas : Bouh !

Colombe : Et on ne boude pas !

Phileas : Ze boude pas ! Mais quand même... t’es pas marrante des fois !

 

 

Voix de l’Ordinateur :

 

Diagnostic

Sp. Kurzmajor : Déviance correcte

Sp. Almaviva : Sous contrôle

 

 

 

Scène 3

Colombe – Gabriel

 

Gabriel : Une dernière fois Colombe : non non et non. Tu sais que tu as toujours pu compter sur moi. Mais pour la Pauvr’Afrique c’est non. N’y reviens pas.

Colombe : Tu avais dis pourtant...

Gabriel : Oublie ce que j’ai pu dire.

Colombe : Pour toi tu le ferais.

Gabriel : Ni pour moi ni pour personne.

Colombe : Tu me laisserais crever comme un chien.

Gabriel : Mais non. Il y a des moyens très doux.

Colombe : C’est inhumain.

Gabriel : Non c’est néodémo.

Colombe : Je me débrouillerai autrement.

Gabriel : Je ne te le conseille pas.

Colombe : Tu me signalerais ?

Gabriel : Je ferais mon devoir. Et tu ferais bien d’en faire autant.

Colombe : Tu avais promis...  

Gabriel : J’ai eu tort. J’ai cherché crois-moi. Il n’y a pas de solution. Tu peux me demander beaucoup mais...

Colombe : Pas ça.

Gabriel : Ça non.

 

 

 

Voix de l’Ordinateur :

 

Diagnostic

Sp. Almaviva : Phase Révolte. Sous contrôle

St. Almaviva : Dans la ligne

 

 

Scène 4

Colombe – Phileas

 

Phileas : Tu sais quoi Mamie ?

Colombe : Non mais je sens que je ne vais pas tarder à savoir.

Phileas : Les relevés sont en ligne. Viens voir...

Colombe : Regarde toi.

Phileas : Je les ai vus déjà. On a eu le droit à l’école.

Colombe : Et ?

Phileas : Viens voir je te dis !

Colombe : Ben dis donc !

Phileas : T’es contente ?

Colombe : Et comment !

Phileas : Y’a intérêt ! Je suis premier ! Et pas que ça : le meilleur des 140 et le plus jeune ! C’est pas chouette ça ?

Colombe : Oui ‘c’est chouette’ mon chéri. Tu iras loin. L’Union a besoin d’éléments comme toi.

 

Voix de l’Ordinateur :

 

Diagnostic

SP. Kurmajor : reclassement 140+ préconisé
Scène 5

Colombe - Gabriel

Colombe : En déplacement Gabriel... c’est ce qu’ils m’ont dit...

Gabriel : C’est absurde Colombe. Ils ont dû se tromper. Les médecins ne se déplacent jamais. À moins que... Dis-moi la vérité Colombe : tu as appelé pour ça !

Colombe : Oui j’ai appelé pour ça ! Les prisonniers leurs organes prélevés... oh ! c’est dégoûtant abject écœurant ... mais j’ai eu beau réfléchir retourner la chose dans tous les sens je n’ai trouvé aucune autre solution.

Gabriel : Tu vois le résultat : ton cher Professeur Mortimer est en D.P. maintenant.

Colombe : Les D.P. n’existent plus… c’est toi-même qui le dis ! 

Gabriel : Ne fais pas l’idiote Colombe. Pas avec moi ! Il a fait l’objet d’un D.P. je ne vois pas d’autre explication. Il n’avait pas à te proposer ça mais que tu le rappelles a sans doute accéléré son départ. Quant à toi attends-toi à être convoquée d’ici peu.

Colombe : On ne me convoquera pas. Plus maintenant. Sans travail on ne survit pas. Sauf si....

Gabriel :   Sauf si ?

Colombe : Rien.

Gabriel : …

Colombe : J’ai envie de vivre Gabriel. Tu peux comprendre ça ?

Gabriel : Tout le monde a envie de vivre mais on ne peut rien contre la Ligne. Tu ferais mieux de n’y plus penser. Les D. P. ne sont pas difficiles à organiser. Le Central s’en charge très bien.

Colombe : Saleté de machine ! Plus même l’ombre d’un espoir.

Gabriel : C’est tout le contraire ! Grâce à elles plus d’erreur possible. Un monde parfait !

Colombe : Et si moi je n’en veux plus de ce monde-là ?

Gabriel : Tu deviens folle Colombe. Ou plutôt non : folle tu l’as toujours été. Et à cause de toi tous ceux qui te côtoient...

Colombe : Pardon ?

Gabriel : La seule chose qui m’étonne c’est que je sois encore là.

Colombe : C’est sans doute parce que tu me remets dans le droit chemin à chaque fois.

Gabriel : Peut-être bien mais ça ne saurait plus durer. Je n’ai aucune envie de m’en aller comme les parents de Phileas dont on est sans nouvelles depuis plus de deux ans.

Colombe : là où ils sont ils ne peuvent pas écrire.

Gabriel : Ne fais donc pas l’innocente ! Même Phileas a compris.

Colombe : Comment sais-tu...

Gabriel : Dans quel monde est-ce que tu vis Colombe ? Pour nous autres il faut bien reconnaître que la méthode reste artisanale mais pour les plus jeunes : bourrés de nanos dès le stade embryonnaire.

Colombe : Mais c’est seulement pour qu’ils ne se perdent pas...

Gabriel : Décidément… tu n’as rien perdu de ta naïveté...

Colombe : Peut-être… mais tout ça ne me dit pas ce que j’ai à voir avec les D.P. de...

Gabriel : Ils t’ont écoutée. Trop écoutée. Trop longtemps et sans rien dire sans te signaler jamais. 

 

Colombe : C’est à cause de moi s’ils ne sont plus là ? C’est ça ?

Gabriel : …

Colombe : C’est horrible !

Gabriel : Non c’est néo.

Colombe : Ça ne tient pas debout. Si c’était vrai je ne serais plus là moi non plus.

Gabriel : Toi c’est autre chose...

Colombe : Tu me protèges ? C’est ça ?

Gabriel : Je n’ai pas ce pouvoir-là.

Colombe : Quoi alors ?

Gabriel : Rien du tout. Mais je t’en supplie : tais-toi Colombe. Tais-toi !

 

Voix de l’Ordinateur :

 

Diagnostic

St. Almaviva Gabriel : Agité. Anxyolitiques préconisés

  Scène 6

Colombe – Phileas

 

Phileas : On va où cet été Mamie ?

Colombe : C’est toi qui choisis.

Phileas : On pourrait rejoindre papa et maman.

Colombe : Mais c’est impossible voyons !

Phileas : Même en V.V ?

Colombe : Même ! C’est sauvage et dangereux !

Phileas : Mais ils y sont bien eux et pour de vrai...

Colombe : Ce n’est pas la même chose. Eux c’est pour leur travail. Ils te raconteront à leur retour.

Phileas : S’ils reviennent...

Colombe : Ne sois pas bête chéri. Les gens reviennent toujours.

Phileas : Mouais... On va où alors ?

Colombe : Et si on restait tranquillement à la maison ?

Phileas : T’as pas envie... c’est ça ?

Colombe : J’ai beaucoup à faire d’ici la rentrée.

Phileas : Ouais… et puis les Voyages Virtuels et toi hein !

Colombe : Je n’ai pas dit ça.

Phileas : De toute façon en vrai on ne peut aller nulle part. Mais on pourrait tout de même se faire quelques musées non ? Le Pergamon et les Offices : je les aime bien ces deux-là !

Colombe : Si tu veux…

Phileas : T’as l’air emballé c’est dingue ! T’as des soucis ou quoi ?

Colombe : Mais non. J’ai une masse de boulot voilà tout.

Phileas : Bon bon.

Voix de l’Ordinateur :

 

Diagnostic

 

Alerte : Odeur de friture détectée

Scène 7

Colombe – Gabriel

Colombe : Ce que tu m’as dit l’autre jour Gabriel... ou plutôt ce que tu ne m’as pas dit...

Gabriel : Tu y tiens tant que ça?

Colombe : ...

Gabriel : Eh bien...

Colombe : Tu parles ou tu t’en vas !

Gabriel : le Système te maintient parce que tu es un Spécimen.

Colombe : Un quoi ?

Gabriel : C’est le terme en vigueur. Le Système en conserve quelques-uns pour voir jusqu’où ils pourraient aller. Selon l’expérimentation en cours on stimule où on laisse faire. La machine analyse puis établit des statistiques et des probabilités qui permettent la mise à jour et la modification des programmes.

Colombe : Et toi tu sais tout ça...

Gabriel : C’est mon boulot.

Colombe : Un boulot digne des périodes les plus sombres de l’ère révolue.

Gabriel : Mais non. En ce temps-là c’était du pur sadisme. Les expérimentations actuelles sont utiles. Et absolument indolores.

Colombe : Il n’y a pas que les souffrances physiques.

Gabriel : Oh ! les autres...

Colombe : Et ça ne te révolte pas...

Gabriel : Normal. C’est mon boulot.

Colombe : Normal... quel horrible mot...

Gabriel : Tu n’es vraiment pas adaptable ma pauvre Colombe. Un Spécimen de choix...

Colombe : Mais plus pour bien longtemps. Sans quoi tu ne m’aurais rien dit n’est-ce pas ?

Gabriel : ...

Colombe : Sadique ! Voilà ce que tu es !

Gabriel : C’est toi qui voulais savoir.

 

 

 

 

 

Voix de l’Ordinateur :

 

Diagnostic

 

St. Almaviva Gabriel : Promotion préconisée.

 

 

 

Scène 8

Colombe – Phileas

Phileas : Dis Mamie...

Colombe : Oui mon chéri ?

Phileas : Les organes...

Colombe : Encore ! Tu ne peux pas penser à autre chose ?  

Phileas : Non ze peux pas.

Colombe : Arrête de zozoter Phileas ça ne m’amuse plus du tout.

Phileas : T’es de mauvaise humeur hein !

Colombe : Mais non ! Mais pourquoi zozoter puisque tu sais parler parfaitement ?

Phileas : Z’aime bien faire le bébé un peu des fois.

Colombe : Mais tu es mon bébé Phileas ! Tu n’as pas besoin de zozoter pour rester mon bébé à moi.

Phileas : Et tu seras là toujours ?

Colombe : On ne fait pas toujours ce qu’on veut. Mais je serai là tant que je pourrai. Ça je te le promets.

Phileas : Et si un jour tu ne peux plus... où j’irai moi ?

Colombe : Tes parents finiront bien par revenir.

Phileas : Tu parles !

Colombe : Ils reviendront ! Et en attendant il y aurait toujours ton oncle Gabriel.

Phileas : Ah non pas lui ! Il me fait peur.

Colombe : C’est parce que tu ne le connais pas bien. En août tu iras passer quelques jours chez lui. Je suis sûre que tu t’y plairas. Tout le monde aime Gabriel.

Phileas : Pas moi.

Colombe : Il est ton oncle : tu dois l’aimer. C’est la Ligne.

Phileas : J’essaierai… Mais ne m’envoie pas chez lui dis ! Je te ficherai la paix tout l’été.

Promis !

Colombe : On aura le temps d’en reparler chéri.

Phileas : Dis...

Colombe : Oui ?

Phileas : Les clones...

Colombe : Quand tu as une idée en tête toi !

Phileas : Râle pas. Je voudrais juste savoir.

Colombe : Quoi donc ?

Phileas : Pourquoi ils sont pas entiers comme nous.

Colombe : Quelle drôle d’idée...

Phileas : Ben quoi... ce serait amusant ! Ca nous ferait des copains et puis ce serait comme un miroir.

Colombe : Tu n’en as pas assez des copains à l’école ?

Phileas : Si mais c’est pas pareil ils sont pas comme moi.

Colombe : Heureusement ! Si on se ressemblait tous ce serait ennuyeux tu ne crois pas ?

Phileas : Je sais pas… Moi j’aimerais bien avoir mon clone à moi ici à la maison. Je m’occuperais de lui et personne pourrait me le prendre.

Colombe : Mais pourquoi voudrais-tu qu’on te le prenne ?

Phileas : Une idée comme ça. Pourquoi tu l’auras pas ta greffe ? On te l’a volé ton cœur ?

Colombe : On ne vole rien dans l’Union ! Je te l’ai dit : je n’en ai plus besoin. La Ligne a changé.

Phileas : Ah ! bon… C’est drôle le maître nous en a pas parlé.

Colombe : Il aura oublié. Mais pour ce qui est des clones imagine qu’ils vivent avec nous : on ne pourrait pas s’en servir pour les greffes.

Phileas : Pourquoi ça ?

Colombe : Mais parce qu’on s’attacherait à eux on ne supporterait pas de les voir souffrir. C’est bien pour ça qu’il ne peuvent pas être nos copains. Ce serait inhumain s’ils étaient conscients. Tu comprends ça n’est-ce pas ?

Phileas : Ben ouais je crois...

Colombe : Les tout premiers étaient comme nous.

Phileas : Oh !

Colombe : Mais il fallait les élever les éduquer pour qu’ils ne se révoltent pas le moment venu c’était compliqué comme tout. Heureusement on a découvert comment élever la chair en bacs. Quand la méthode a été bien au point on s’en est servi pour fabriquer nos clones de la même façon. C’est économique propre et moral. Moral tu sais ce que ça veut dire n’est-ce pas ?

Phileas : Moral c’est ce qui est bien.

Colombe : C’est ça.

Phileas : Raconte encore Mamie !

Colombe : Je t’ai tout dit. Nos organes sont bien à l’abri et nous aussi grâce à eux. Il suffit de savoir ça. Tu as compris ?

Phileas : Ouais. J’en parlerai plus.

Colombe : C’est bien. Mais regarde comme il fait beau : si on allait faire un tour au grand N ?

Phileas : Ouais !!!

Colombe : Prends tes pales alors et en route !

Voix de l’Ordinateur :

 

Diagnostic

Sp. Kurzmajor : Décodage difficile. Vérification nanos demandée.

Scène 9

Colombe – Gabriel

 

Gabriel : La machine signale que tu n’es pas allée au Centre de Décisions.

Colombe : J’aurais voté contre de toute façon.

Gabriel : Tu prends des risques Colombe.

Colombe : Au point où j’en suis...

Gabriel : Ce que j’en dis… mais tu es libre après tout.

Colombe : Liberté totale et absolue de faire comme tout le monde... C’est la Ligne hein ! Seulement moi je ne suis plus d’accord.

Gabriel : Tu deviens vraiment folle ma parole !

Colombe : Si c’est être folle que n’être plus d’accord, alors oui ! Mais quelle importance... les D.U. passent de toute façon. C’est à se demander à quoi elles servent. Tu peux me le dire, toi ?

Gabriel : Une balade à pied jusqu’au Centre de Décision parce que marcher c’est bon pour la santé. Ce n’est pas pour rien qu’ils ont été construits en-dehors des villes.

Colombe : Mais nos votes ?

Gabriel : La machine se contente de vérifier que tous les inscrits se sont exprimés. Elle élabore dès le vendredi les résultats à partir de sondages finement orientés et la décision du Peuple est publiée le dimanche soir aux holo-infos.

Colombe : Nos votent comptent pour rien alors !

Gabriel : Puisqu’on est tous d’accord !

Colombe : Evidemment ! Mais ça ne colle pas.

Gabriel : Comment ça ?

Colombe : Il doit bien y avoir quelques allumés qui ne votent pas comme ils le devraient.

Gabriel : Tu connais la réponse : les D.U. comme leur nom l’indique sont adoptées à l’unanimité à laquelle pourront être retranchés sans dommage les votes contre blancs ou nuls de neuf cent quatre-vingt dix-neuf Néo-Démocrates. Tu peux toujours te dire que parmi les neuf cent quatre-vingt dix-neuf voix autorisées il y a la tienne et le tour est joué : tout le monde rentre chez soi satisfait et content.

Colombe : Mais les gens parlent forcément.

Gabriel : Tu as parlé toi ne serait-ce qu’une seule fois de ton vote ?

Colombe : Non.

Gabriel : Tu vois bien. Le vote est libre. Libre et secret. C’est ça la néo-démocratie.

Colombe : Une vraie merveille !

Gabriel : Le cynisme ne te va pas du tout.

Colombe : Tiens donc ! Et j’imagine qu’il y a encore bien des choses que tu sais et que tu vas te faire un malin plaisir de me distiller une à une dans les quelques semaines qui me restent...

Gabriel : Je ne t’ai rien dit que la 130+ que tu es n’aurait pu comprendre par elle-même en réfléchissant un peu.

Colombe : Tu sais bien que personne ne réfléchit plus.

Gabriel : C’était bon pour ceux de l’ère révolue. Réfléchir : Ils ne faisaient que ça à longueur de temps ! Ils se posaient des tas de questions auxquelles ils ne trouvaient d’ailleurs jamais de réponses. C’est fou ce qu’ils devaient être malheureux.

Colombe : Il vaudrait mille fois mieux être malheureux comme ils l’étaient qu’heureux comme on croit l’être à présent. Ils étaient libres. Nous étions libres.

Gabriel : Et de quoi ! Tu peux me dire ? Libres de choisir entre des partis que le pouvoir intéressait bien plus que le bien être du peuple et qui ne valaient pas mieux les uns que les autres ?

Colombe : On avait le choix au moins... et l’espoir de voir changer les choses.

Gabriel : Qui ne changeaient jamais.

Colombe : On avait des livres.

Gabriel : On en a toujours.

Colombe : Tu appelles ça des livres ? On ne trouve plus rien d’avant 2013.

Gabriel : D’avant l’An 1 tu veux dire. De toute manière pour ce que ça valait...

Colombe : Les déplacements physiques ne faisaient peur à personne. Pas comme maintenant.

Gabriel : Ils auraient eu de quoi pourtant ! Ces chiffres qu’on nous assenait à chaque retour de week-end : le nombre de morts sur les routes ! Sans parler des embouteillages… Alors qu’aujourd’hui : Voyages Virtuels pour tous. Pollution zéro.

Colombe : Et bonheur obligatoire ! Tu parles d’un progrès !

Gabriel : À l’époque de l’ère révolue on n’avait pas de clones.

Colombe : Parce que nous en avons toi et moi ?

Gabriel : Des milliards de gens en ont. Rien que pour ça il vaut mieux vivre maintenant.

Colombe : Non !

Gabriel : Quel beau spécimen tu fais !

Gabriel : Oui hein ! Un Spécimen qui sait qu’il n’en a plus pour longtemps et qui n’en a plus rien à faire de penser droit. Tu veux que je te dise ? S’il n’y avait pas Phileas je devancerais l’appel.

Gabriel : Attention Colombe !

Colombe : Au point où j’en suis…

Gabriel : Les choses peuvent changer…

Colombe : Ce n’est pas drôle Gabriel. Pourquoi joues-tu avec moi ?

Gabriel : Je ne joue pas. Mais ça me ferait de la peine que tu t’en ailles maintenant.

Colombe : C’est parfaitement stupide ce que tu dis là : dans un mois je ne serai plus là de toute façon. Parce que le jour où mes Bacs Alimentaires seront vides ce n’est pas toi qui les rempliras. N’est-ce pas ?

Voix de l’Ordinateur :

 

Diagnostic

Sp. Kurzmajor : Vérification nanos en cours

Scène 10

Colombe – Phileas

 

Phileas : Ils ont écrit Mamie ! Ils ont écrit !

Colombe : Qui donc mon chéri ?

Phileas : Papa et Maman !

Colombe : Ce n’est pas possible...

Phileas : Mais si ! Regarde ! Sont tout bronzés les veinards !

Colombe : C’est pourtant vrai...

Phileas : Et ils mettent qu’ils seront bientôt de retour à la maison. Dis Mamie : bientôt c’est quand ?

Colombe : On demandera à Gabriel. Il sait beaucoup de choses.

Phileas : Il revient encore celui-là ?

Colombe : Je t’interdis de parler de lui comme ça. Et oui : il vient ce soir.

Phileas : Je veux pas ! Il arrive il me gratte la tête pouah ! j’ai horreur de ça ! et tout de suite après je vais au lit.

Colombe : C’est parce que nous avons des choses à nous dire. Des choses de grands.

Phileas : Tu crois toujours que je suis un bébé. C’est pas vrai. Je comprends plein de trucs et je sais que vous parlez de moi.

Colombe : De ton avenir.

Phileas : Mon avenir il est avec toi et avec Papa et Maman.

Colombe : Et quand tu seras grand ? Il faut y penser dès maintenant.

Phileas : Pas sans moi alors ! C’est mon avenir à moi non ?

Colombe : Bien sûr mon Poussin mais… c’est un peu compliqué. Je t’expliquerai. En attendant va te mettre en pyjama. Gabriel ne va plus tarder.

Phileas : Tu vois : à toi aussi il te fait peur...

Colombe : Quelle idée ! Et pourquoi aurais-je peur de lui s’il te plaît ?

Phileas : Quand il s’en va à chaque fois après tu pleures.

Colombe : Moi je pleure ?

Phileas : Tu crois peut-être que je t’entends pas à travers la cloison ?

Colombe : Il vaut mieux que tu ailles te coucher tout de suite je crois. Tu verras ton oncle une autre fois. 

Voix de l’Ordinateur :

 

Diagnostic

Alerte : Friture. Réception brouillée. Vérification demandée

 

 

 

Scène 11

Colombe – Gabriel

Gabriel : Ça ne peut pas être eux.

Colombe : Mais si regarde.

Gabriel : Ne sois pas stupide Colombe. Les Déplacés Physiques n’écrivent pas. Ils…

Colombe : Ils : quoi ?

Gabriel : D.U. du 30 septembre de l’an 3 : ‘Les Déplacés Physiques sont déchus de leurs droits civiques ’.

Colombe : Ça ne veut pas dire...

Gabriel : Mais si voyons ! Plus de droits civiques plus de quoi subsister. Au début on les laissait s’éteindre à petit feu mais c’était cruel. Maintenant ils ont droit à la Dignité Létale. C’est propre économique et totalement indolore. D.U. du 18 octobre an 1 : ‘Est accordé à tout Elément le droit de mener à son terme sa mission dans les conditions les plus humaines possibles’.

Colombe : C’est atroce...

Gabriel : Moins que de mourir de soif. Toi aussi dans un mois tu auras droit à la Dignité.

Colombe : On se croirait dans du Kafka.

Gabriel : Connais pas !

Colombe : Évidemment... Mais un système sans faille ça n’existe pas.

Gabriel : Si : le nôtre.

Colombe : Tu sais que Phileas a peur de toi...

Gabriel : Tu sautes du coq à l’âne ma pauvre Colombe...

Colombe : Tu sais qu’il a peur de toi.

Gabriel : J’aime autant : ça facilitera son accompagnement.

Colombe : Il n’ira pas au Centre : j’en fais le serment.

Gabriel : Qu’est-ce que tu mijotes Colombe ! Fais bien attention : je pourrais te le prendre dès maintenant !

Colombe : Des menaces ?

Gabriel : Je suis ton frère : je te préviens. Promets-moi que tu ne feras rien. Sans quoi…

Colombe : C’est bon… je promets.

Gabriel : Bien. Tu n’as rien à craindre : je suis là.

Colombe : Ce n’est pas pour moi que j’ai peur. C’est pour lui. Peur de ce que le système pourrait lui faire à lui aussi.

Gabriel : Un 140 tu penses ! Il n’y a pas plus précieux que lui. Il ne lui arrivera rien.

 

Voix de l’Ordinateur :

 

Diagnostic

 

Vérification OK

Scène 12

Colombe – Phileas

Phileas : Je peux l’ouvrir ?

Colombe : Laisse-moi faire ce n’est pas un paquet-cadeau.

Phileas : Regarde Mamie : il y a un message-papier là... on dirait un truc officiel il y a l’hologramme de l’Union. C’est quoi dis c’est quoi ?

Colombe : C’est...

Phileas : Allez Mamie ! Qu’est-ce que c’est ?

Colombe : Une urne...

Phileas : Oui mais y’a quoi dedans ?

Colombe : Les… les cendres de tes parents. C’est écrit là.

Phileas : Mais ils devaient revenir !

Colombe : Ils ont pris un bateau. Il y a eu une tempête. Le bateau a sombré. Il n’y a pas de survivants.

Phileas : C’est pas possible ça ! Y’a plus de bateaux depuis longtemps...

Colombe : Si. Pour revenir de là-bas c’est le seul moyen.

Phileas : Mais personne ne voyage plus physiquement... Alors eux : pourquoi ?

Colombe : Ils avaient un idéal différent.

Phileas : Ils pensaient pas dans la Ligne ? C’est ça ?

Colombe : …

Phileas : Et leur D.P. ils l’ont pas choisi hein !

Colombe : Les D.P. n’existent pas.

Phileas : Te fatigue pas Mamie. Je suis grand maintenant.

Voix de l’Ordinateur :

 

Diagnostic

Alerte erreur décodage. Vérification demandée.


Scène 13

Colombe Gabriel

 

Gabriel : Tu t’y attendais Colombe…

Colombe : Mais c’était il y a deux ans alors pourquoi seulement maintenant ?

Gabriel : Un souvenir. C’est tout ce qui restera à Phileas quand tu ne seras plus là.

Colombe : Il t’aura toi.

Gabriel : Pas longtemps je le crains.

Colombe : Qu’est-ce que tu veux dire ?

Gabriel : Spécimen.

Colombe : Lui aussi alors…

Gabriel : Oui.

Colombe : Tu le savais. Tu le savais depuis longtemps.

Gabriel : Je n’étais sûr de rien mais je m’en doutais. Des pensées déviantes depuis tout petit. Pour la machine c’est un vrai régal.

Colombe : Tu le savais et tu n’as  rien dit !

Gabriel : A quoi bon…

Colombe : J’aurais pu…

Gabriel : Rien du tout. Programmé ‘résistant’ dès sa conception.

Colombe : Tu le savais !

Gabriel : …

Colombe : Tu es un monstre !

Gabriel : Je fais mon boulot.

Colombe : Va-t-en !

Gabriel : Je reviendrai demain.

Colombe : Je ne t’ouvrirai pas.

Gabriel : Mais si tu m’ouvriras.


Voix de l’Ordinateur :

Diagnostic

Alerte : signal faible. Vérification demandée.

Scène 14

Colombe – Phileas

Colombe : Tu as tout entendu…

Phileas : T’en fais pas : ils nous auront pas.

Colombe : Bien sûr ils nous auront !

Phileas : On parie ?

Colombe : Bien trop fatiguée…

Phileas : Demain on descendra à la cave et on regardera l’urne. Et puis après tu me liras.

Colombe : Je… quoi ? 

Phileas : Si tu crois que je ne les ai pas trouvés tes vieux bouquins planqués derrière les pots de confiture !

Colombe : Phileas !

Phileas : T’en fais pas je dirai rien.  J’ai commencé déjà. C’est beau. Surtout Dante  et Pétrarque... Tu me les liras à haute voix dis ?

Colombe : Pourquoi pas…

Phileas : C’est toi qui choisiras.

Colombe : Ou toi…

Phileas : C’est chouette d’avoir le choix hein !

Colombe : Oui. Au moins celui-là.

Phileas : Ce ne sera pas le seul.  Fais-moi confiance.

Colombe : Je tombe de sommeil. Tu ne m’en veux pas ?

Phileas : Mais non ! Dis Mamie tu me prêtes ton crédit ? J’aimerais acheter SimNéo.

Colombe : Qu’est-ce que c’est encore que cette chose-là ?

Phileas : Tu sais bien! On a vu l’annonce l’autre jour... Tous les copains l’ont déjà ! Alors moi de quoi j’ai l’air... s’il te plaît... s’il te plaît ma Maminette... dis oui !

Colombe : Ça ne peut pas attendre demain ?

Phileas : Les promotions s’arrêtent à minuit : après ce sera deux fois plus cher. Dis oui Maminette ! S’il te plaît !

Colombe : Bon bon. Mais arrête de sauter partout comme ça ! Le Crédit est dans le tiroir du bureau. Tu sais comment faire ?

Phileas : J’ai l’habitude qu’est-ce que tu crois !

Colombe : Pas plus de cent écus. Sans quoi il ne nous restera pas de quoi tenir jusqu’à la prochaine Mise à Jour.

Phileas : Pas plus de cent. Promis !

 

Voix de l’Ordinateur :

Diagnostic

Alerte : Signal perdu

 

 

 

Scène 15

Colombe – Gabriel

 

Colombe : Sadique ! Tu auras été sadique jusqu’au bout !

Gabriel : Mais non… C’était juste pour que tu te sentes moins seule. Tu penses bien que les ascendants démocrates ou pas le Système s’en fiche éperdument.

Colombe : Mais la D.U. …

Gabriel : Elle n’a jamais existé.

Colombe : Sadique ! Et menteur par-dessus le marché…

Gabriel : Pour ton bien ! Pour ton bien seulement !

Colombe : Alors le dixième des Heureux…

Gabriel : Restera parmi les Heureux.

Colombe : Moi seule alors. Moi seule…

Gabriel : Au fond c’est un honneur. N’est pas Spécimen qui veut.

 

Voix de l’Ordinateur :

Diagnostic

Alerte. Alerte. Alerte

Scène 16

Colombe – Phileas

Colombe : Et tu as fait ça tout seul !

Phileas : Ouais ! C’est fou ce qu’on peut faire avec trois diamants j’aurais pas cru... La gonzesse du colombarium elle a été d’accord tout de suite !

Colombe : Phileas !

Phileas : Ben quoi... Et on aura de la musique : Mahler et Monteverdi. Tu vois j’ai tout prévu.

Colombe : Mais comment…

Phileas : Tu m’avais laissé ton crédit pour l’holo-jeu.

Colombe : ...

Phileas : Quatre cents Ecus en tout. Mais il y aura assez : la Mise à Jour arrivera juste à temps.

Colombe : …

Phileas : Tu m’en veux dis ? J’aurais pas dû ?

Colombe : …

Phileas : C’est pourtant bien ce que tu voulais non ? Tu as dit toi-même à l’oncle Gabriel que tu devancerais l’appel si j’étais pas là ça je l’ai bien entendu. Alors moi je suis là c’est vrai mais avec toi.

Colombe : Non ! Toi... tu as toute la vie.

Phileas : Peuh ! Cette vie-là moi j’en veux pas.

Colombe : Je ne peux pas Phileas.

Phileas : C’est pas toi qui décides. C’est moi.

Colombe : Tu n’as que sept ans...

Phileas : L’âge de raison.

Colombe : Je ne veux pas !

Phileas : Moi oui.

 

Voix de l’Ordinateur :

 

Diagnostic

Vérification terminée

 


Scène 17

Colombe (en coulisse) – Gabriel (en coulisse)

Gabriel : Colombe ! C’est moi !

Colombe : …

Gabriel : Ouvre voyons !

Colombe : Non.

Gabriel : Sois raisonnable !

Colombe : C’est notre dernier soir. Tu nous le laisses.

Gabriel : Je ne peux pas…

Colombe : Mais si.

Gabriel : Je peux te faire confiance ?

Colombe : Il n’y a qu’un seul menteur dans la famille.

Gabriel : Demain matin huit heures. Ses affaires seront prêtes.

Colombe : Tout sera prêt.

Gabriel : Bien. Alors… bonne nuit…

Colombe : Bonne nuit Gabriel.

Gabriel : Pas de bêtise hein !

Colombe : Mais non.

Voix de l’Ordinateur :

 

Demain : Temps variable. Pluie et vents. Quelques éclaircies.

Fin de semaine : Beau temps sur toute L’U.N.D.


Scène 18

Colombe – Phileas  

Tous deux sont vêtus de couleurs vives 

 

Phileas : Il est parti ?

Colombe : Oui.

Phileas : Tu es sûre qu’il est encore bon ?

Colombe : Je l’ai conservé bien au sec.

Phileas : C’te chance que tu l’aies gardé !

Colombe : Mathilde l’a porté sur elle pendant toute la guerre. Il ne l’a jamais quittée.

Phileas : Mathilde des FFI !

Colombe : Elle n’en a pas eu besoin elle...

Phileas : Heureusement parce que sinon on serait bien embêtés maintenant nous deux. Mais un seul comprimé...

Colombe : Un quart pour toi trois quarts pour moi. Ne t’inquiète pas ça suffira.

Phileas : Tu sais quoi ? On va écouter ensemble le Chant des Partisans que tu m’as appris.

Colombe : Si tu veux chéri.

Phileas : Et puis après on lit encore une fois la fin de Belle du Seigneur. Et après… on fait comme Ariane et Solal : on se couche et on se donne la main.

Colombe : Tu aurais fait un très bon metteur en scène…

Phileas : Te moque pas c’est pas le moment ! C’est sérieux là !

Colombe : Je ne me moque pas je regrette juste un peu.

Phileas : Faut pas Mamie. Faut pas. Y’a rien à regretter. Alors on fait comme j’ai dit ?

Colombe : Mais oui.

 

Musique : Le Chant des Partisans

 (Tête contre tête, ils lisent en silence)

Phileas : Tu me tiens fort hein... tu me lâches pas.

Colombe : Je suis là.

Phileas : Tu sais quoi Mamie ?

Colombe : Quoi donc mon amour ?

Phileas : Je suis content.

Colombe : Moi aussi.

Phileas : On est libres. Tu te rends compte ? Libres Mamie !

Colombe : Oui. Libres, mon chéri.

 

Colombe et Phileas inanimés. Leurs yeux restent ouverts.

Entre Gabriel.

Il ôte pour la première fois ses lunettes noires.

 

Le Noir descend lentement sur la fin du Chant des Partisans, suivi du son de l’Ordinateur qui s’éteint.

 

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