ANPE

Jean Claude Blanc

chronique de misère ordinaire

                      ANPE  (Aux Nuls Pauvres Efflanqués)

 

Sans job, donc sans le sou, famille à nourrir

Pas payé mon loyer, l'huissier s'est radiné

Car, lui, c'est son boulot, saisir, sans coup férir

Même les jouets des gosses, canapé et télé

 

En période d'hiver, l'Etat est complaisant

Ne peut jeter dehors, les vieux, les indigents

Aux rubriques faits divers, ça ferait mauvais genre

Toujours ça de gagné, attendant le printemps

 

Convoqué par l'AS, du Conseil Général

De mon budget frugal, on va faire le bilan

Mais comme bien souvent, sur mon compte, y'a néant

A la Banque de France, destination finale

 

Tellement je vis de rien, me demande si je graille

On me tend une perche, tu parles d'une trouvaille

Si vous alliez pointer, à l'agence des vœux pieux

Toucheriez menues ferrailles, pour manger tant soi peu

 

Comme tous les miséreux, j'ai dû prendre mon ticket

En attendant des plombes, pour être interrogé

Mon modeste pedigree, s'est trouvé étalé

Devant l'embagousé, qu'en avait rien à chier

 

Z'avez pas de diplôme, ça vaut mieux vous savez

Aucune spécialité, cochez la case niais

Z'êtes bon à tout faire, même un boulot précaire

Y'en a tant qui sont fiers, ça pourrait leur déplaire

 

Je rédige ma page, mon CV maigrelet

Qu'ai-je fait tout ce temps, pas grand-chose, il est vrai

Sinistre photomaton, j'ai l'air d'un prisonnier

A la rubrique loisirs, ne sais pas quoi marquer

 

Le servile bureaucrate, pianote sur son clavier

Etire ses bourrelets, pas encore digéré

Fait tinter sa gourmette, compulsant ses dossiers

Rituel journalier, mais lui doit pas chômer

 

Désolé, rien pour vous, z'avez pas le profil

Pas la gueule de l'emploi, me prend pour imbécile

Même tenir un balai, demande dextérité

Y'a bien des formations, mais budget épuisé

 

Passez le mois prochain, on va sûrement trouver

Le pauvre crève la faim, remballe son dossier

Faudra remettre à jour, tous ces foutus papiers

L'agence est débordée, m'aura vite oublié

Défilent sans arrêt, les blessés de la vie

Des annonces flatteuses, cependant placardées

Trop souvent périmées, déjà la place est prise

C'est un dur métier, de faire mendicité

 

Bureau du temps perdu, on s'y pointe discret

Des fois, qu'un bon boulot, on pourrait décrocher

On est souvent cocu, les places sont réservées

T'as pas de relations, sous la pile ton dossier

 

Le chômage, aujourd'hui, touche plus en plus les jeunes

Une formule de la sorte, fallait se la trouver

Mais après qu'est-ce qu'on fait, pour pas qu'ils aient la haine

Restent les Restos du Cœur, relais des affamés

 

La courbe de l'emploi, atteint tous les sommets

Le chômeur se recroqueville, au rythme de la rigueur

Trop tôt pour faire un mort, retraite anticipée

T'as si peu cotisé, ta pension mutilée

 

Malade imaginaire, en invalidité

Chacun a ses astuces, pour prendre quelques points

Au royaume de l'embrouille, des gavés margoulins

Normal que la galette, on veuille la partager

 

Le sigle ANPE, je l'interprète à souhait

A Ne Pas Embaucher, surtout, Ah Non Pas Eux

Aux Nuls Pauvres Efflanqués, A Ne Pas Envier

Agence N'est Pas Eglise, Aux Nouveaux Pauvres Enfer

 

Quelques mots ramassés, au hasard des misères

Car après 50 ans, t'es plus rien bon à faire

T'as pourtant l'énergie, et t'es fort comme cric

Bourse de l'emploi, utile, qu'à ceux qui font leur cirque

 

Je retourne chez moi, après avoir tourné

Aux 4 coins des rues, mon destin ruminer

Faire bouillir la marmite, c'est pas bien compliqué

Si t'as que des navets, tes gosses vont la sauter

 

Alors, je me résigne, à faire les poubelles

Dans les quartiers rupins, qui sont pleines de merveilles

Pas de croutons de pain, parfois tout un festin

Quand y'a personne en vue, j'y vais plonger mes mains

 

Témoin de la mort lente, de notre humanité

J'ai dû le point, fermer, pour ne pas m'emporter

Contre ceux qui déversent le fruit de leurs récoltes

Ne pensent qu'à leur pomme, à côté d'eux vivotent

Les mendigots blessés, qui jamais se révoltent

JC Blanc          février 2023  (aux crèves la faim, mon écot…)

Signaler ce texte