Calendrier de l'Avant

Pierre Magne Comandu

Une fille, une douzaine d'années, la Haute-Normandie, des mots dans un carnet chaque jour du mois de Noël. Joyeux décembre à vous tous, de l'amour tout partout !

Aujourd'hui, c'est Noël dans vingt-quatre jours. Quand je suis entrée dans la chambre au premier étage, j'ai ouvert les rideaux fins de la fenêtre. Au pied de la fenêtre, mes pieds ont fait tomber quelque chose sur le parquet, le son d'un carton ondulé sur un plancher rigide. Une ficelle, dorée, était attachée. Mes mains ont pris la ficelle et puis l'ont enroulée à la poignée de la fenêtre. C'était une planche de carton bois découpée en étoile, peinte en rouge, avec des morceaux de papier kraft doré attachés dessus. Au milieu, il y avait des petites fenêtres découpées, et des numéros jusqu'à vingt-quatre. Aujourd'hui, Papa m'a confectionné un calendrier de l'Avant.


Aujourd'hui, c'est Noël dans vingt-trois jours. Le vent du Nord cogne contre la fenêtre. C'est le vent froid, le vent fort, le vent de l'hiver. On voit les mouettes voler avec le vent. Elles viennent de la grève à l'horizon. J'ai ouvert la fenêtre du calendrier au moment où elles arrivaient sur le rebord.


Aujourd'hui, c'est Noël dans vingt-deux jours. Dans la fenêtre du calendrier, il y avait un chocolat dans un emballage blanc. Il fondait au fond de la bouche, il réchauffait l'œsophage.


Aujourd'hui, c'est Noël dans vingt-et-un jours. Le soir, il y a les nuages et la lueur orange des rayons, au-dessus de la mer. De la fenêtre du premier étage, on ne voit pas la mer. On voit seulement la lumière des rayons du soleil disparaître au loin. Et puis le ciel s'habille de bleu.


Aujourd'hui, c'est Noël dans vingt jours. Il y a toujours eu des rideaux rouges, et fins, devant la fenêtre. Mais aujourd'hui, les rideaux ont de la compagnie pour tout le mois de Noël. Papa a installé les guirlandes dorées au-dessus de la fenêtre. Elles sont longues, elles descendent et elle remontent dans tous les sens, elles font des vagues.


Aujourd'hui, c'est Noël dans dix-neuf jours. Quand on longe la longue route à la sortie du village et qu'on arrive vers la ville, il y a la Grande Rue. Dans la Grande Rue, il y a les boules de lumière bleues et blanches au-dessus des pavés. Ils sont tous enfilés entre les toits des maisons à colombage et le toit du Café des Tribunaux, sur la place du Puits-Salé, au milieu de la rue. Sur la façade du Café des Tribunaux, il y a écrit Café des Tribunaux avec des lettres gothiques. Maintenant, les soirs du mois de Noël, les lettres gothiques sont éclairées. Dans la Grande Rue, il y a les illuminations. Ça y est, maintenant. Dans la Grande Rue, ils ont installé le ciel !


Aujourd'hui, c'est Noël dans dix-huit jours. Je viens d'ouvrir la fenêtre du calendrier de l'Avant. La vie, c'est comme une boîte de chocolats. Des fois, il y a de l'alcool dedans. Et c'est dégueulasse.


Aujourd'hui, c'est Noël dans dix-sept jours. À travers la fenêtre, la pluie tombe goutte à goutte sur  nos tuiles. Depuis la cuisine, il y a les odeurs du mois de Noël, elles montent jusqu'au deuxième étage des escaliers. Je sens l'odeur sucrée de l'eau dans la théière, Papa fait infuser le thé à la grenade et à la canneberge. Je sens l'odeur de la pluie sur la pierre dans la petite cour du jardin, je sens l'odeur du chocolat, il monte dans le four. Je sens l'odeur de l'espresso de Papa, et la cafetière qui fait des gargouillis. Je sens l'odeur de caramel dans la mousse, épaisse, de son cappucino.


Aujourd'hui, c'est Noël dans seize jours. Dans le Carrefour City au bord sur le quai Duquesne dans la ville, il y a des chocolats Lindor dans un emballage rouge et or. Il y a des calendriers de l'Avent avec des père Noël Kinder à huit euros cinquante. Il y a des Père Noël en chocolat, sur l'emballage ils portent une hotte devant leurs ventres. Il y a des oursons en or, un ruban rouge plié en accordéon autour du cou, et un grelot. Ils ont des sourires qui sont trop heureux pour pouvoir les croquer.


Aujourd'hui, c'est Noël dans quinze jours. Toutes les grandes personnes disent quinze jours quand elles veulent dire deux semaines. Arrêtez, les grandes personnes. C'est quatorze jours, un point c'est tout. Arrêtez de vouloir arrondir à quinze, alors que vous n'êtes pas capables d'arrondir à deux euros quand je vais acheter un mini Père Noël à un euro quatre-vingt-dix-neuf. 


Aujourd'hui, c'est Noël dans quatorze jours. Je me demande comment on fête Noël dans d'autres pays. Il y a des pays dans lesquels il n'y a ni le vent d'hiver, ni le ciel habillé de bleu, ni le froid de la grève. Je voudrais bien fêter Noël sous le soleil d'un pays comme l'Espagne, du côté de Madrid, du côté de Barcelone, du côté de Guermantes !


Aujourd'hui, c'est Noël dans treize jours. Ce matin, Papa n'était pas là. Dans la fenêtre du calendrier, il y avait un mot : « ma chérie, rendez-vous devant la salle des fêtes sur la route de l'Église ». Alors, j'ai couru pour descendre les escaliers et sortir de la maison. J'ai remonté la route et les talus sous la rosée dans le petit chemin résidentiel de la Mare Canuel, jusqu'au croisement avec les arbres au bout du bois des Moutiers. Après le bois des Moutiers, j'ai couru tout droit sur la route de l'Église. J'ai sauté dans les bras de Papa, et à ce moment j'ai compris. Ça y est, maintenant. Ils ont installé le marché de Noël de Varengeville-sur-Mer !


Aujourd'hui, c'est Noël dans douze jours. Papa a écrit un mot dans le calendrier : « Bravo ! Déjà la moitié de ton calendrier de l'Avent, sois patiente ma chérie ! ». Je ne savais pas que « calendrier de l'Avant » s'écrivait avec un « e » et pas un « a ». Je l'ai toujours écrit avec un « a ». C'est vrai. C'est le temps avant Noël. C'est là où on attend, avant le sapin illuminé et avant les cadeaux de la famille sous le sapin. 


Aujourd'hui, c'est Noël dans onze jours. Un peu plus, et j'allais oublier d'écrire mes quelques mots dans ce carnet aujourd'hui. Trop overbookée today, comme disent les grandes personnes.


Aujourd'hui, c'est Noël dans dix jours. Le soir au chaud la chambre, la lumière chaude et jaune à l'abat-jour me berce. Je me mets un petit pyjama en pilou, j'écris dans mon grand lit-bateau. J'aime bien sa couverture avec des ours bleus. Papa a allumé le chauffage, et a fait brûler un bâton d'encens sur l'étagère en bois foncé au-dessus du lit. Dans le petit village de Varengeville-sur-Mer au bout du bout du monde, derrière la fenêtre je vois la ville s'éteindre.


Aujourd'hui, c'est Noël dans neuf jours. Dans la fenêtre, il y avait une pièce de deux euros, et Papa m'a offert un goûter en ville, dans un café. C'était au Victor Hugo, dans la rue Victor Hugo. Il y avait des odeurs de café moulu, et là aussi deux halogènes jaunes et chauds dans les coins. Il y avait un groupe de jeunes filles qui passait sur la table à côté, elles parlaient et rigolaient, il y en avait une qui dessinait. Il y avait un chocolat viennois, il me faisait des moustaches toutes chaudes. Il y avait les lumières des lampadaires sur les trottoirs de la rue Victor Hugo, aux vitres du Victor Hugo.


Aujourd'hui, c'est Noël dans huit jours. Le Père Noël a eu le temps de commander mes cadeaux sur Amazon. Il a eu le temps de les faire emballer dans un beau papier cadeau par des petits ouvriers inscrits au syndic. Il a eu le temps de l'envoyer par la Poste dans le petit village paumé de Varengeville-sur-Mer. Maintenant, les cadeaux de Noël n'appartiennent qu'à la Poste et c'est pour ça que Noël n'est que dans huit jours.


Aujourd'hui, c'est Noël dans sept jours. Dans sept jours, ce sera l'anniversaire d'un petit Jésus. En tout cas, il a eu de la chance d'avoir son anniversaire le jour de Noël. Même si ça doit être une sacrée excuse pour lui faire deux fois moins de cadeaux.


Aujourd'hui, c'est Noël dans cinq jours. Dans l'escalier étroit qui descend les deux étages, on entend les chants de la chaîne hi-fi depuis le salon. Il y a la voix de Tino Rossi, il y a des voix graves et des chœurs d'enfants. Il y a « C'est la belle nuit de Noël », il y a « Douce nuit », il y a « Mon beau sapin ». Il y a le piano de Simon & Garfunkel, il y a les Beatles, il y a Frank Sinatra. Et puis, il y a « Fais du feu dans la cheminée, je reviens chez nous ». Cette chanson me réchauffe, elle m'emmitoufle. C'est mon manteau de chocolat viennois au milieu d'un manteau de neige.


Aujourd'hui, c'est Noël dans quatre jours. C'est les vacances ! Finie la cantine de l'école ! Finis les devoirs maison à rendre la dernière semaine ! Finis les copains et les copines aussi, finie Cécile qui va partir vers une autre ville l'année prochaine et que je ne reverrai plus. Finis les cours de français et le prof génial qui marmonne, Monsieur Moustache. Finis les bilans de français où il me met 20. Finie la baie vitrée et les feuilles oranges dans la cour de récré. Enfin, fini pour quatorze jours.


Aujourd'hui, c'est Noël dans trois jours. Je me demande si un jour je verrai Noël dans une grande ville, émerveillée à Paris. Je me demande si je verrai des sapins blancs devant la façade de la gare Saint-Lazare. Je me demande si je verrai les marchés de Noël sur les Champs-Élysées, et s'il y aura des sucres d'orge. Je me demande si un jour je prendrai un train, loin de mon enfance. Ça arrivera, un jour. Mais alors, pas trop vite.


Aujourd'hui, c'est Noël dans deux jours. Ce matin, Papa a acheté du vin chaud, des petits pour faire une soupe, un fondant au chocolat en dessert, et du thé pour lui. Quand il est rentré à la maison, il s'est frotté les mains très vite, il a mis son grand manteau sur le portemanteau, il avait la barbe toute froide. La fumée de l'hiver sortait de la bouche. Et aujourd'hui, je lui ai fait lire mon petit carnet rouge. Il m'a fait son calendrier de l'Avant, et je lui offre mon calendrier de l'Après.


Aujourd'hui, c'est Noël demain.


Aujourd'hui, c'est Noël !

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