Cartes postales de Dublin n°2

Richard Magaldi

Deirdre à l'école

Je m'appelle Deirdre 0'Reilly et je ne peux pas mettre ma petite robe rose ce matin, c'est lundi, je dois aller à l'école et enfiler ma jupe aubergine et ma veste verte. Mon école s'appelle St Patrick, maman dit que c'est une très bonne école publique et toutes les filles ont le même uniforme. Quand je passe tous les matins devant la cour de l'école française juste à côté, et je vois toutes les autres petites filles porter les vêtements qu'elles veulent, je suis un peu jalouse. Mais quand je vois aussi les garçons, je ne regrette pas. Les garçons de cette école sont méchants, et grossiers. A l'heure du déjeuner, nous devons partager la même cour, et des fois, lorsqu'ils arrivent en courant et hurlant, les garçons nous crient d'horribles mots, et même une fois ils ont essayé de pincer les fesses d' Alahna, une grande de sixième. Elle a poussé des cris terribles et a vite couru se plaindre à Mme Fitzpatrick qui surveillait la cour. Alahna a été convoquée chez Mme Downey la directrice qui est aussitôt allé voir le directeur de l'école française. Les garçons sont venus s'excuser devant toutes les filles de la classe, c'est bien fait.

Alors comme tous les matins je pars de ma maison avec Tobby, mon chien, maman et mon petit frère Keelan, il n'a que quatre ans, il n'y a pas d'école encore pour lui, il doit rester toute la journée à la maison avec maman, il a de la chance. Je prends mon sac à dos rose, je regarde bien que maman a glissé mon paquet de chips et mon coca pour mon snack, des fois elle oublie et je suis obligée d'attendre la sortie à quatorze heures trente pour déjeuner à la maison. Les français ont de la chance, ils peuvent emporter une lunch box et manger dans la classe, ils ont même des micro-ondes pour que ce soit chaud.

Il est déjà huit heure et demi, il faut se dépêcher pour arriver avant moins le quart me crie maman. La pluie vient de s'arrêter et il y a un un magnifique arc en ciel sur les gros nuages noirs, j'aime beaucoup les arcs en ciel, il y en a souvent, j'essaie de voir où est leur bout à chaque fois, mais le soleil les fait toujours disparaître avant. Ma rue est très longue, avec toutes ses grandes maisons (maman me dit qu'elles s'appellent mitoyennes), mais elle est pleine de voitures qui n'arrivent pas à se croiser et tout est bouché.

« Tout le monde veut venir en voiture, à la dernière minute, et il y a beaucoup de quatre-quatre, ça ne facilite pas les choses » répète papa tous les jours.

Je dois bien tenir mon petit frère par la main, Maman tient Tobby pour aller plus vite, c'est un chien et il ne comprend pas pourquoi je ne dois pas être en retard.

« Encore une voiture mal garée sur le trottoir qui nous empêche de passer, et une autre garée dans le virage, ces français ne respectent rien, même pas le code de la route » Tous les matins, maman est très en colère contre les voitures. Je ne sais pas comment elle devine que ce sont les français, mais elle doit avoir raison.

A l'école, en plus, la maîtresse et la directrice nous expliquent souvent qu'il faut faire un effort et venir à l'école à pied, en se garant plus loin pour éviter les embouteillages. Mais une fois j'ai entendu Alahna et ses copines parler dans la cour, elles disaient que ce n'était pas pour rien que leurs parents avaient un quatre-quatre, il fallait bien qu'ils le montrent, et elles ont rajouté que dans les séries américaines à la télé tout le monde venait à l'école en voiture. Je ne comprends pas pourquoi elles veulent faire comme les filles américaines.

La pauvre dame de la circulation- on l'appelle « la sucette » parce qu'elle tient un gros panneau rond au bout d'un manche pour faire arrêter les voitures devant l'école- a beaucoup de travail, je n'aimerais pas être à sa place. Un jour il y aura un accident répète maman aux autres parents, et si un enfant se fait écraser, on fera fermer l'école française. Les voisins ont déjà fait plein de pétitions, maman et papa étaient très contents de les signer.

Je suis toute contente car demain c'est le huit mai, j'aurai huit ans, et dans deux semaines je ferai ma communion. Sur le mât de l'école, on a déjà mis le drapeau jaune et blanc du Pape. Tous les jours en classe, on apprend nos prières, et demain on ira à l'église avec la maîtresse pour la première répétition. Il y aura une grande fête à la maison avec toute la famille, même les cousines de Galway, ma robe sera plus belle que celle d'une mariée, et j'aurai beaucoup d'argent, maman m' a promis que mes grand-mères seraient très généreuses.

En passant devant « Simplement délicieux », la boutique de sandwiches et de bonbons, je demande à maman de s'arrêter, mais elle ne veut pas ce matin, il y a encore la queue et on est très en retard.

Tout à coup en contournant une voiture sur le trottoir, Keelan me lâche la main et part en courant pour s'amuser. J'essaie de le rattraper, en criant, maman ne va pas être contente.

D'ailleurs elle s'est mise aussi à courir derrière moi avec Tobby, je vais encore me faire gronder.

Keelan passe derrière une autre voiture mal garée, mais cette fois j'arrive à lui reprendre la main, il est vraiment embêtant. Tout à coup j'entends un bruit de voiture qui freine, et maman qui hurle « Tobby, Tobby, non! » Alors j'ai très peur, je me retourne, les autres mamans sur le trottoir se sont arrêtées et regardent un gros quatre-quatre. Je vois une dame très bien habillée en descendre et se baisser devant mon chien qui ne bouge plus. Je serre très fort la main de Keelan et je n'ose plus avancer. Je sens de grosses larmes couler sur mes joues. J'ai reconnu la dame et sa voiture, c'est la maman d'Alahna. Et cette fois je me sens vraiment très en colère, maman s'est trompée, ce n'est pas une française qui a écrasé mon Tobby.

Signaler ce texte