Chrysanthème

atsuna-revane

« Et quelles fleurs voudriez-vous comme thème central du bouquet ? »

« Celle-là, » dit l'homme en pointant une fleur blanche et délicate du doigt. Le fleuriste lui jeta un regard étonné et sembla hésiter un instant avant de reprendre la parole.

« Vous allez... A un enterrement ? »

L'homme lui rendit son regard étonné. « Non. Pourquoi ? »

« Hé bien, ce sont des chrysanthèmes. En général, c'est ce que l'on offre pour un décès. »

L' homme sembla alors légèrement surpris, et quelque peu gêné, ses joues prenant une légère teinte rouge. « Ah ? Je les trouves bien jolies pour des fleurs sensées être offertes en un jour si triste... »

Le fleuriste sourit devant l'ignorance de son client. Il était rare que les gens ne sachent pas cela : les chrysanthèmes étaient les fleurs des cimetières. « Si vous désirez une jolie fleur, prenez la rose. Simple, efficace, appréciée de toutes... »

L'homme se racla la gorge nerveusement et jeta un regard à sa montre en soupirant. « Non, je veux celles-là. Elles sont très bien. »

« Bien, » répondit le fleuriste, s'affairant déjà à préparer le bouquet.


*

L'homme, un grand blond aux yeux bleus, vint s'asseoir dans l'herbe, au milieu de ses compagnons de la journée. Tous le fixaient étrangement, comme d'habitude, comme tous les dimanches depuis qu'il venait s'immiscer dans ce groupe taciturne et froid. Mais il s'en fichait bien. Il était là pour elle et pour personne d'autre.

Comme à chaque fois, il posa le bouquet de fleurs blanches près d'elle, avec un sourire timide.

« Bonjour, princesse. Je t'ai apporté les fleurs que tu aimes. J'ai dû changer de fleuriste parce que l'autre était fermé, alors ça a pris plus de temps que d'habitude, mais j'espère qu'elles te plaisent quand même. »

Seule la brise printanière vint chatouiller ses joues, en guise de réponse. Le regard de la demoiselle semblait comme figé, fixant un espace devant elle, duquel le jeune homme ne faisait pas partie. Cependant il garda son sourire, bien que celui-ci fut triste et las.

« tu sais, cette semaine a été atroce, sans toi. J'ai cru que jamais elle ne finirait... Chaque seconde sans toi est un instant de torture digne des Enfers. Enfin, je commence à m'y faire je crois. » Il laissa s'échapper un rire cynique et nerveux. « Ils me regardent tous comme si j'allais m'effondrer sous leurs yeux. Ils savent combien tu comptes pour moi. Il savent... Même eux ont compris que tu étais, que tu es mon oxygène. »

Une voiture passa dans la rue un peu plus loin, et le vent se fit légèrement plus fort. Un nuage passa dans le ciel. Mais la demoiselle toujours se taisait.

« C'est bizarre mais... Je continue de croire qu'un jour, tu rentreras à la maison, que tout sera comme avant, que tu me souriras en m'annonçant 'je suis de retour'. Je continue d'espérer que ce n'était pas un adieu. »

Le regard rempli de peine, il se retourna vers la pierre blanche et froide sur laquelle était gravé le nom de la femme qu'il aimait, accompagné de deux dates – naissance et mort. Doucement, du bout de l'indexe, il frôla la photo de la jeune femme qui souriait d'un air absent fixant le vide, et frissonna. Une larme unique coula sur sa joue, comme tous les dimanches. Le vent secoua ses vêtements autour de lui. Il semblait brusquement si fragile, si faible sous le poids de sa vie...

Difficilement, il déglutit, reprit son sourire amer et se releva. La douleur de la perte se lisait sur ses traits, dans ses yeux, dans tout son corps.

« Je vois qu'aujourd'hui non plus, tu n'as pas trop envie de parler. C'est pas grave, mon ange. Je reviendrai, dimanche prochain. Peut-être que tu auras envie de me dire quelque chose ? »

Le vent vint lui caresser le visage tendrement, resserrant par la même occasion ses vêtements autour de son corps affaibli.

Il embrassa le bout de ses doigts pour les poser sur le visage figé de la jeune femme et se releva. Le regard perdu au loin, il s'en alla d'une démarche lente et trahissant toute sa fatigue.

Il viendrait ainsi sur la tombe de celle qu'il aimait, et ce, jusqu'à ce que la Mort lui permette de s'allonger dans son dernier lit à ses côtés.

23/2/2009

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