CHUT !

amisdesmots

semaine après semaine je vous propose de lire un vieux roman que j'ai publié sur Amazon et dans lequel je pense certain d’entre vous se retrouveront. Premier chapitre:








Quoi que l'on fasse,l'écriture est une discipline imparfaite qui convient uniquement aux gens imparfaits en quête de l'inaccessible étoile .


Chapitre 1

... je suis, un pauvre type, la seule écriture qui compte à mes yeux, c'est la mienne. »


La lettre se terminait par cet aveu de son plus brillant espoir, il n'en crut pas ses yeux.

André Laumière pensait avoir découvert cet auteur à la phrase acerbe mais juste que bon nombre de directeur d'édition cherchaient en vain. Il y avait bien ce pseudonyme qu'il n'aimait pas et qu'André lui avait pour ainsi dire imposer de force : Guillaume Apolinaure, un peu trop évident pour un écrivain, mais Jean-Pierre Rand son vrai nom ne ferait pas vendre un seul livre . Aucune couverture aussi sophistiquée soit-elle ne serait en mesure de sauver la platitude de ce patronyme. Lorsqu'il signa son premier livre aux Éditons Laumière, le contrat qu'on lui présenta mentionnait en condition première de conserver coûte que coûte ce nom d'emprunt. A contre cœur Jean-Pierre Rand fit donc le deuil de sa civilité officielle.

Lorsqu'ils se rencontrèrent, André vit en lui un type inébranlable. Sitôt dans son bureau, il lui serra la main, sentant les cales de peau dans sa paume, retenant un cri de douleur alors que Jean-Pierre Rand faillit lui briser les doigts.

Un agriculteur émigré de son Berry natal cinq ans plus tôt, voila ce qu' il était. Lorsqu'il lui demanda pourquoi il écrivait, le colosse se contenta de dire qu'il avait suffisamment remué la terre et que, maintenant, alors qu'il avait vendu ses biens sans regrets, il envisageait de vivre de ses économies en s'adonnant à l'écriture.


Vous savez pourquoi je suis tombé amoureux de votre roman, Monsieur Rand.


Il se racla la gorge en feuilletant l'épais contrat d'édition.


Je pense que vous êtes, comment dire… 


Ne dites rien, si vous ne trouvez pas vos mots, coupa Jean-Pierre Rand.

Vous voulez sûrement dire qu'avec la gueule que j'ai, je ferai très bonne figure dans le microcosme littéraire français, qu'il serait toujours jouissif pour les intellos dont je ne ferai jamais partie de voir arriver dans leur réserve un paysan au visage couperosé et au verbe franc allez dites le, un genre de Michel Simon... bien que je ne possède pas le quart de la moitié de ses talents d'acteur. Ne me racontez pas d'histoire, il se peut même que vous n'ayez jamais lu un mot de mon roman. Ne me prenez pas pour un imbécile.


Vous vous trompez ! Vraiment ! Je lis à longueur de journée les manuscrits sélectionnés par le comité de lecture, et puis comment aurais-je pu succomber au délit de discrimination faciale que vous sous-entendez ? Si je ne m'abuse, vous n'aviez pas agrafé de photo lors de votre envoi. J'ai senti, comme les autres membres du comité, que vous parliez vrai, ce qui est paradoxal certainement pour un romancier, mais ces histoires de femmes enterrées et de fermes enceintes…, vraiment c'est très beau et bien écrit ! Il y a du Zola dans votre plume...


Des lieux communs, des « tics littéraires » rien de plus. Je ne vous aime pas Laumière vous mentez très mal.


Plusieurs semaines après ce rendez-vous....


Bien écrit ! Jean-Pierre Rand, alias Guillaume Apolinaure, ne voulait pas entendre ce mot qui ne voulait rien dire à ses yeux. Lorsqu'on lui servait du « magnifique » ici et là dans les librairies où il se rendait à contrecœur pour d'interminables séances de dédicaces, il jetait un œil inquiet au flatteur et griffonnait en toute hâte quelques mots complaisants sur la quatrième de couverture de son dernier roman « Terre Humaine ». Il n'aimait pas s'exposer dans ces lieux. Un jour, une jeune femme qui venait d'acheter son livre lui jeta à la figure :


« Il est nul votre livre, vous ne faites pas honneur à la langue Française, reprenez ce torchon qui me brûle les doigts » !


Il la regarda s'éloigner d'un pas vif en réalisant qu'il venait d'essuyer l'affront d'une célèbre écrivaine.


C'était….. Vous ne l'avez pas reconnu ?


Le libraire se pencha à son oreille.


Ophélie Latombe...


Je ne lis pas, vous le savez bien, tout m'emmerde. La seule écriture qui compte est la mienne. J'emmerde les écrivains et plus encore ces femelles qui tripotent les stylos, voyez ce que je veux dire ! Elles ne tripotent pas assez de...


Oui oui ! je crois que je comprends, calmez vous un peu Guillaume que diable


Il se leva de son fauteuil pour clamer haut et fort à l'assemblée médusée :


Cette gonzesse est atteinte de diarrhée littéraire, elle chie des phrases.


Le libraire gêné disparut dans sa réserve. Il y eut comme un flottement dans l'air, personne n'osait bouger, les clients se regardaient ou fixaient leurs chaussures.


S'il n'y a plus d'amateurs, je m'en vais !


Jean-Pierre Rand enfila son grand manteau de laine, sortit sa pipe de sa poche et se fraya un passage entre les clients désabusés, laissant derrière lui la pile de livres qu'il venait de foutre par terre. Quelques insultes fusèrent dans son dos : goujat, prétentieux. Il n'avait rien contre cette Ophélie Latombe, il avait vu des interviews sur elle ; elle parlait très bien de son œuvre mais il ne croyait pas une seconde à la sincérité de ses propos. Reste qu' elle avait du charme et qu'elle jouait parfaitement la comédie du génie littéraire angoissé....

....suite dans quelques temps rester à l'affut !

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