Crachin

djam

Un homme arrive à Paris, ville qu'il déteste, pour accomplir la dernière volonté de son épouse qu'il détestait.

7h du mat. Arrivé gare Saint Lazare. Personne ne m’attend. Je sors et m’installe à la première terrasse de café que je trouve. Il caille. J’ai froid. De la buée sort de ma bouche à chaque fois que je recrache l'air piquant de l'hiver. Le serveur se pointe. « Un allongé, un croissant et un verre d’eau ». Il ne m’a pas soufflé mot pour prendre ma commande et se barre tout aussi muet. Il à l’air de détester son boulot. Bien fait ! Les parisiens sont tous des cons de toute façon. C’est bien pour ça que je n’ai jamais voulu mettre les pieds dans cette ville. Ville de cons ! J’attends qu’on daigne m’apporter ma dose de caféine avant d’allumer ma cigarette. Nicotine, Ô Nicotine. Si tu étais femme je ferais de toi ma concubine. Il n’y a personne d’autre que moi dans le rade mais les types n’ont pas l’air pressés. Je m’en fou, j’ai tout mon temps. Du temps, c'est bien tout ce qu'il me reste... Je ne sais pas pourquoi, mais depuis que je suis parti, j’ai comme un tique. Je n’arrête pas de vérifier mon sac. La boite y est toujours. Bien sûre qu’elle y est toujours, qui en voudrait ?

Après avoir eu l’impression de me faire violer le portefeuille en réglant l’addition, je décide de continuer ma route à pied. Vas savoir pourquoi... Si tous les chemins mènent à Rome, la Tour Eiffel ne doit pas être bien difficile à trouver. Une grande tige de métal qui fait sa fière au dessus de la Seine, tu parles d'une belle arnaque. À peine avais-je dépassé les grands magasins que la fatigue m’envahit. Une fatigue plus morale que physique. Pourquoi je fais tout ça ? Je suis resté marié près de trente ans avec ma femme et je l’ai détesté autant que je l’ai aimé si tant est que je ne l’ai jamais aimé. Aujourd’hui, tel un chien cherchant à satisfaire son maître, je voudrais lui offrir un dernier plaisir. Sa dernière volonté était de se faire lourder du haut de la grande dame. Ça m’avait bien fait rire. Je m’imaginais, l’agrippant par ses bourrelets pour tenter de la faire basculer de l’autre côté de la balustrade. Quand je l’avais épousé, c’était une brindille, mais avec le temps la petite plante s’était muée en une chose difforme et imposante. C’est certainement pour ça que je n’arrêtais pas de vérifier mon sac. Comment pouvait-elle tenir dans une si petite boîte ? Y’a pas à dire, c’est beau la technologie. J’aurais très bien pu balancer ses cendres dans le fond des chiottes. Qui l’aurait su ? Qui m’aurait blâmé ? Mais j’avais envie de lui faire plaisir à ma douce. Elle avait toujours voulu voir Paris. Elle ferait parti de son air pollué pour l’éternité. Une fois en haut de la dame de fer, j’ai inspiré longuement l’air frais du matin. J’avais dans l'idée faire un discours, de dire quelques mots, mais rien ne m’est venu. J’ai retiré le couvercle de la boite, j’ai attendu que le vent se calme et je l’ai laissé s’envoler.

Paris a toujours été la ville des cons pour moi et durant toutes nos années de vie commune, j’ai toujours pensé que ma femme était une conne. Pourtant aujourd’hui, quand je pense à Paris, c’est à l’amour que je pense. Celui de ma femme. Celui que j’ai perdu à tout jamais. Celui qui flotte dans l’air entre les particules de pollutions et les cendres de ma moitié. Conneries!

  • J'aime parce que c'est un peu entre deux chaises, un peu humainement contradictoire. Et le ton, et quelques tournures.
    (Juste: Paris a toujours était/ été)

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Avat

    hel

  • brutal mais juste. Chouette texte.

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Gif hopper

    Marion B

  • C'est cruellement bon :-) Et publier çà dans la rubrique "Amour et romance", c'est encore plus fort ! (Ça invite à la meditation quelque part !) Merci.

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Muraco.nashoba

    ahqepha

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