Dernier amour

Isabelle Thiebault

Il l’avait cherchée toute sa vie. Sans relâche, sans répit … sans succès. Il n’espérait plus et s’était résigné à ce sentiment d’inachevé.

Mais elle avait débarqué, un matin d’automne, sans prévenir, sans aucun signe annonciateur. Et sa vie s'était soudainement parée de couleurs chatoyantes.

Légère, insouciante, délurée comme une enfant.
Elle le rendait heureux, comme il n’avait jamais été.
Il s'ennivrait de l’émerveillement de la découverte, de cet état fusionnel auquel il s’abandonnait sans réserve.
Il vivait à travers elle, euphorique lorsque son rire joyeux raisonnait en cascade cristalline ; ému aux larmes lorsqu’elle devenait grave.
Elle ne le quittait plus, ni le jour, ni la nuit.
Parfois, sans explication, elle devenait cruelle, narguant sa faiblesse. Alors elle se refusait à lui. Prostré, supplicié, il implorait qu’elle veuille bien le reprendre.

Il ne dormait presque plus, de peur de perdre les précieux instants passés en sa compagnie. Il ne s’accordait que de courtes siestes, dans le vieux fauteuil en cuir du bureau.
Il avait fermé sa porte aux intrus, voisins, amis…. Le courrier s’empilait dans sa boite … et la vaisselle sale débordait de l’évier. Elle n’en avait que faire ! Elle n’exigeait que sa totale soumission. Et il voulait lui appartenir. Il était son esclave, soumis à tous ses désirs.

Il lui semblait parfois que la fièvre s’attaquait à son corps, chaque jour plus fragile. Lui qui n’avait jamais vraiment pensé à la vie, il avait soudain peur de la mort, de la perdre trop vite …. Mais l’angoisse disparaissait dès qu’elle recommençait à virevolter sous son regard émerveillé.

Il arrêta de répondre au téléphone. Il restreint ses déplacements au seul bureau, dont les volets restaient toujours fermés. Il ne quittait plus le piano, la partition et son grand amour. Il lui restait si peu de temps … Ses derniers jours ne pouvaient appartenir qu’à elle : sa petite musique de nuit. 

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