Deux tiers

Je me suis réveillée un matin et tu étais grand... genre presque un mètre. Deux tiers de mon corps. Alors qu'hier encore tu tenais tout entier au creux de mon ventre.

Maintenant tu fais un tas de trucs tout seul.

Même que tu parles.
Tu me réclames des gaufrettes à la manille et des gâcos à la faise. Tu as appris tout ça sans moi. Tu as appris à vivre pendant que maman devait aller trimer.
Et si tu savais comme je m'en fous de ce boulot, si tu savais comme j'aimerai rester à tes côtés au lieu de te laisser à une dame qui peut même pas t'aimer si maman a oublié de la payer.

Mais il parait que c'est comme ça maintenant, que nos grands-mères ont brûlé leur soutien-gorge pour qu'on soit autre chose que des mères au foyer. Alors moi avec mon vagin, ben je m'écrase et je me contente d'être un peu comme les autres le voudraient.
Tu comprendras un jour. C'est un truc de grande personne ça. On se trouve toujours des excuses quand on a pas le courage d'être ce qu'on a décidé.

Mais peut - être qu'un jour j'aurai le courage.

Peut-être qu'à l'aube je te réveillerai et on partira dans ma bagnole toute dézinguée. On le dira juste à papa pour pas qu'il soit trop inquiet.

On ira voir Némo.

On ira courir après le soleil et mettre nos petits pieds dans l'océan.

On attendra l'été.

J'aurai le temps de te regarder vivre, le temps de t'apprendre à pas te trouver d'excuse.

J'aurai le temps de t'expliquer tout ce que tu as à demander. Sans m'agacer parce que je vais être en retard pour le boulot. Sans te dire de te dépêcher parce que il reste 5 minutes à maman et que j'vais m'faire engueuler.

On aura le temps de s'aimer.
Parce que tu sais, ça aussi c'est un truc de grande personne. On prend le temps de rien. Puis quand c'est foutu, quand on est trop vieux puis tout esseulé, ben on a plus que nos yeux pour pleurer.
Mais t'en fais pas.
Nous, on fera pas comme ça.
Nous, on va bientôt s'en aller...

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