Eau et gaz à tous les étages

parallaxe

Eau et gaz à tous les étages

Voir un espace pour la première fois, cela veut dire être sans la moindre mémoire de l’endroit, c’est être libre de toute habitude. C’est aussi ce que ressent le voyageur qui découvre un pays, un paysage, un endroit, une chambre d’hôtel, pourvu qu’elle ne fasse partie d’une chaîne. Les espaces privés sont ces lieux où l’on s’installe en accumulant inévitablement des objets et  des souvenirs de manière permanente, La vie sédentaire rend improbables ces endroits initialement dépouillés et vides.

Je tournais pour la première fois la clef dans la serrure du studio de la rue des Marronniers. Pour ne pas être déçue, j’avais tout fait pour éviter de m’imaginer le lieu. Le seul nom de la rue me renvoyait pourtant des images, et alimentait ma curiosité. Je fis un dernier effort pour simuler l’absence d’attente de ce qui se trouvait derrière et je poussais la porte. Pas un son, pas même  un léger grincement. J’hésitais avant de franchir le seuil comme si je voulais remettre le moment à plus tard, un bien grand mot pour désigner la simple action d’entrer le studio. En fait, qu’espérais-je y trouver ? Un abri ? Une sorte de solitude clandestine qui me permettrait de mettre je ne sais quoi en route ? Je voulais travailler en toute liberté. C’était tout ce que je savais. Le reste, j’allais le découvrir. Sans plan fixe, je voulais que le lieu me dicte ce qui allait se passer.

Ce studio, je ne l’avais même pas choisi. Il m’avait été offert par le hasard des circonstances. Je n’ai dû  prendre aucune décision. Je n’ai dû choisir ni entre celui-ci ou un autre. Même la ville m’était imposée. Les choix étaient faits pour moi et cela me convenait parfaitement. Ainsi, l’aspect des espaces que j’allais découvrir sortait du cadre de mes responsabilités. Ils n’avaient rien à voir avec mes goûts, mes préférences, mes habitudes. Je me demandais même si j’allais être capable de garder cette attitude pleine de distance une fois à l’intérieur. Les proportions, la lumière, des détails apparemment banals pouvaient me perturber. Je le savais mais comment éviter cela ?

Je franchissais le seuil de la porte et je me retrouvais dans la pièce principale du studio. A ma gauche, dans le coin du séjour il y avait deux portes, derrière la première, la salle de bains, l’autre était celle de la cuisine. Droit devant se trouvaient deux fenêtres identiques avec vue sur des toits; derrière je distinguais la tour Eiffel : elle avait l’air d’être étrangement proche. Sa base en était cachée par des toits. Sa présence ne laissera pas de doute : chaque fois que je regarderai dehors, elle me renverra à cette métropole avec son passé presque insaisissable.

Au 8ème étage de ce bâtiment dans la rue des Marronniers, je me sentais comme sur un immense monceau composé de couches, de sédiments emplis d’artéfacts, de tessons et de traces de vies de gens disparus, ciselé par les siècles et les rêves. Encore étrangère, sans attachement à cette ville en dessous de moi, je ne suivais aucun trajet dicté par l’habitude et je me déplaçais en hésitant devant les plans aux stations de métro. Depuis la gare de Lyon je suis restée sous terre pour ne resurgir qu’à la Muette, tout près du studio.

Je posais mes affaires par terre; il n’y avait rien. C’était le vide autour de moi et cela m‘était agréable. Le vide parfait, pas même une odeur et une absence totale de couleurs. A part de la moquette marron foncée, le bois des stores et les loquets des portes en cuivre, l’une d’elles était en chromé, tous les murs et la surface des armoires encastrées étaient peints d’un blanc mat. A première vue ce blanc cachait tout ce qui pouvait déranger car je ne sentais pas la moindre gêne. Rien ne venait me perturber. Le blanc dissimulait, unifiait, rendait tout acceptable jusqu’aux petites rainures formant des encadrements sur les portes de placards. Peut-être à l’origine,  étaient-elles peintes en rose avec du papier peint aux compositions florales collées dans chaque cadre.

Je fermais la porte d’entrée et posais la clef sur la première étagère de ce qui semblait être une bibliothèque située entre les deux fenêtres. La tour Eiffel était toujours là pour me rappeler la présence de la ville. Le fait de poser la clef à cet endroit précis allait-il devenir une habitude, la première? Je voulais pourtant rester dans cet espace sans laisser place à la mécanique régulière du quotidien le plus longtemps possible.

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