Et le Prince est là...3

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ET LE PRINCE EST LA …

J’ai mon téléphone rose dans les mains, l’exemple du progrès des modes de communication. C’est un objet encombrant sans interlocuteur. Il est joli, il est vain, il est dérisoire. Je viens d’apprendre il y a trois heures par un message sur l’écran de mon ordinateur envoyé par le dieu Facebook que l'homme que j’ai aimé à 20 ans a quitté la terre il y a 10 ans. Je n’ai pas le numéro du ciel. Et que nous dirions-nous d'ailleurs ? que je suis en vie et que c’est con d’être parti là-haut à 28 ans ?

Juste deux semaines avant Raphaël a ressurgi sur l’écran. Il y a 16 ans tu avais été l’amoureux consolateur et tu rejoues ce rôle aujourd’hui. Se retourner sur son passé en deux clics, c’est facile, c’est troublant.

Je suis allée sur ta tombe au cimetière de Pantin. C’était loin, il faisait chaud. Quand je suis sortie du métro, aucune indication. J’ai marché au bord d’une quatre voie. J’ai marché trop loin, suis revenue sur mes pas, ai demandé mon chemin. Et pourtant j’avais pris un plan. Un grand fleuriste à droite avec des fleurs assez horribles. J’ai touché une rose « ce sont des fausses m’a dit la vendeuse avec un sourire gentil de compassion », j’ai pensé encore si tout cela pouvait être faux, j’ai dit « j’en veux une blanche ». Ridicule avec cette rose, mes deux sacs face à l’homme à la guérite, « je cherche l’allée des acacias de Besson », j’ai demandé « ça existe ? » comme si je voulais encore qu’on me dise non ce n’est pas vrai. « Allez demander en face » prêt à m’accompagner alors que c’était juste là. L’entrée était plutôt belle, l’accueil administratif, « le nom du défunt ? », un fonctionnaire en face de mon chagrin de te retrouver là après 10 ans de silence et de recherches vaines. « Quanquin » et j’ai épelé difficilement avec la gorge nouée, « l’année ? » «1999 » c’était le peu que je savais de ce qu’on n’avait bien voulu me dire sur ta mort, ou encore des « circonstances particulièrement horribles de l’accident » rien de plus. Il a tapé sur son clavier, regardé son écran : « Quanquin, Cyrille, c’est ça ?

C’était donc vrai, tu étais bien là. Une adresse pas des plus agréables. J’ai laissé un blanc. Et puis j’ai posé la question qui n’arrivait pas à sortir : « vous n’avez pas la cause de la mort ? », « non nous n’avons rien ». Il a été chercher un plan. Il m’a demandé « vous êtes à pieds ? » « oui » « c’est loin ». Je ne savais pas que l’on pouvait venir dans un cimetière en voiture. Je pensais si vous saviez déjà tout ce que j’ai marché pour venir jusqu’ici, si vous saviez le temps que  cela m’a pris de le retrouver ici. Je ne suis plus à ça près.  Je me suis tue bien sûr. En quoi cela le concernait-il ?

Et j’ai marché, le lieu était désert à part des gens qui attendaient pour un enterrement. Le convoi est passé. C’était loin en effet. Une tombe de gazon. 

J’ai essayé de trouver les numéros qu’on m’avait indiqués, certains étaient effacés. Je suis revenue en arrière, ai marché le long de la ligne en passant devant ton emplacement, puis ai compris que tu étais là. Pourquoi ton nom n’était pas inscrit ? Je n’étais même pas sûre d’être au bon endroit si ce n’est les plaques des élèves du lycée JZ à leur professeur CQ 1999. Presque rien, de l’herbe, une croix.

Les fourmis nombreuses allaient sur mes pieds.

Raphaël m’a appelé.

Le soir, Côme m’a dit « il s’est réincarné en fourmi et est venu avec ses amis »…

 Je m’arrêtais pour la regarder.

Je suis plus haut que la cime de cet arbre et je la vois.

Je m’approchai d’elle, elle eut un mouvement de recul, c’est toi, Cyrille ? Elle voit son visage là-haut dans le nuage à la cime du cèdre. Je ne l’avais pas croisée, mais retrouvée, apaisé. Elle se retourne et lève la tête vers moi, vers lui là-haut qui sourit.  Il ne peut pas disparaître, il est une partie d’elle, de son histoire, de ce passé que l’on ne peut pas renier. Je vis son regard lire dans le mien le bruit de nos silences, de nos secrets, de nos disputes, de notre amour, de l’émotion qui fait taire les mots et frémir le désir enfoui et de plus en plus présent de reprendre cette main, l’effleurer, la saisir, lui dire, l’unir pour un temps comme avant quand nous avions vingt ans.

Côme est là.

Tu  as vieilli et tu as aimé et  été aimée, c’est l’important. Il te regarde.

La lumière des années t’a blanchie et tu disparaîtras, deviendras lumière blanche, le corps en diffraction dans l’espace.

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