Extrait de fiction autobiographique inspirée de faits déjà morts et de ressentis toujours vivants

alexandra-basset-9



La nuit, je devenais autre. La terne chrysalide libérait le papillon kaléidoscopique. D'inhibée à extravertie, de méfiante à espiègle, de timide maladive à ultra-sociable, de dépressive à euphorique : la métamorphose opérait. J'effleurais une version fantasmée, falsifiée, augmentée plutôt, de moi-même. Par la magie des substances chimiques, les aliénations psychiques cédaient, je pouvais enfin percuter la poésie de l'instant, ce train rutilant que j'enrageais de voir m'échapper le jour. Chaque jour, deux possibilités s'offraient à moi : prendre un ticket pour une excursion rocambolesque, ou rester dans le taudis inhospitalier et menaçant qu'était devenue mon âme, elle-même suffoquant dans une ambiance familiale morbide. Souvent, je choisissais la première. Je rejoignais un ami, souvent le même : Jim. Puis j'avalais, je gobais, je fumais, je sniffais. De l'alcool, des cristaux de MDMA, de la weed ou de la cocaïne, et quelques années plus tard, du crack avec mon amoureux de l'époque. Je n'avais pas de drogue de prédilection : ma substance, c'était l'euphorie. Peu importe celle qui me permettrait d'atteindre cet état. J'aimais tellement me laisser glisser sur le revers de ces jours malheureux, explorer leur envers étoilé et exaltant. 

Sobre, j'avais du mal à vivre, je n'y arrivais presque plus, j'étais prisonnière de pensées et de sensations tyranniques qui me martyrisaient. Il ne me semblait n'avoir le choix qu'entre deux opportunités : le suicide ou la drogue. 

Le temps pressait, j'avais la conscience viscérale que, d'un jour à l'autre, tout pouvait s'arrêter ; la preuve : mon père était parti à 37 ans, brutalement, sans nous dire au revoir. Rien n'était immuable, ni même stable, et cela générait une angoisse permanente de perte imminente et déchirante. On ne pouvait s'attacher à rien, puisque tout était voué à disparaitre.

J'ai pris des drogues, aussi, parce que je voulais écrire sur elles, sur les perceptions déformées et les idées souvent délirantes qu'elles entrainaient. Comme on dit : c'était écrit. Je le sens. Je devais passer par cette route escarpée et dangereuse, sans glissière de sécurité.

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