FELINE DU DIMANCHE

paoladele

Si vous étiez une jeune maman au cœur hiberné par des mois et des mois de solitude conjugale et votre meilleure amie vous propose de fêter ses 30 ans dans une soirée SM/FETISH dans une boîte parisienne, vous feriez quoi exactement ?

Vous auriez bafouillé  « t’es folle ! Ce n’est pas mon genre de soirées… En plus, je n’ai rien à me mettre !». C’est ce que j’ai fait.

N’empêche que le lendemain matin, je me suis précipitée chez Zara pour acheter des bottes noires en cuir lustré, haute et sexy ; juste au cas où.

L’après midi, j’ai fait un tour au BHV pour faire un point sur les chaînes en métal mais je n’ai rien pris, faute de dextérité bricoleuse suffisante. Je n’aurais jamais su les assembler dignement autour de mon cou ou de ma taille.

Le soir j’ai demandé à ma copine de me prêter sa robe en vinyle - trop sobre pour elle - et j’ai acheté un masque de Cat Woman sur Internet. J’ai complété ma tenue avec un boa rouge qui jurait pourtant avec le reste. J’aurais préféré un martinet mais ça coûtait  trop cher - pas moins de 75 €-  Et aucune autre occasion en vue pour l’amortir. Je me suis donc contentée du boa gagné à la dernière fête du CE.

Les soirées SM/FETISH, quand on y va en « touriste » sont reputées moins stricte coté dress-code. A l’entrée, j’ai flippé quand même.  Gare à la faute de style qui trahirait mon amateurisme : une Cat Woman un peu toc qui au lieu de raconter l’histoire de Blanche Neige à sa fille, s’offre une sortie nocturne à la limite de la bienséance.

En réalité ce que j’ai vu n’était pas plus indécent que ça : oui d’accord, les marques rouges sur les nudités fraîchement fouettées, ça émoustille toujours. Ou la queue (plutôt la file dirai-je, gare aux ambiguïtés) d’attente pour passer sur les croix en X où tu t’allonges. Là, un gentil monsieur, 100% cuir, qui a le sens du service, s’occupe de toi avec un outillage très technique qui va du martinet de base (dont je connais le prix maintenant) jusqu’à des bijoux en métal qui s’attachent sur les tétons, sur la bouche ou sur les génitaux : en passant par des bonnes spatules de pâtisserie pour les fessées, l’ever-green de ce genre de pratiques.

Tout de même, il y a un truc qui m’a vraiment dégoûtée : le goupillon, la seule arme domestique apte au nettoyage du biberon,  utilisé pour explorer les régions intimes d’une avenante femme masquée.

Et moi dans tout ça, perdue dans cette fausse décadence scénarisée où la mise en scène dominait incontestablement sur la recherche du plaisir ?

A part un garçon qui m’a demandé avec beaucoup de politesse si j’habitais à Versailles et si j’étais « soumise ». A part un autre, un « esclave » super-timide aux grosses lunettes et un bas sur la tête au lieu de la cagoule (lui aussi il avait fait avec les moyens de bord) qui m’a léché les bottes comme un chaton lécherait son lait, la soirée est restée plutôt calme.

 Mes prouesses se sont limitées à faire du people-watching ; à choisir des détails que j’aurais pu raconter aux copines ;  à repérer les « touristes » comme moi et leur demander une clope sans courir le risque d’être recrutée pour la séance suivante de bondage.

L’inattendu s’est en revanche présenté à moi sous les traits d’un garçon chevelu aux yeux liquides et invitants, aux jeunes rides sexy et au sourire timide et irrésistible qui portait un imper à la Matrix et  qui m’a embrassée tendrement 10 minutes après que je lui avais taxé une cigarette.

J’offrirai jusqu’à mon masque de Cat Woman pour reconstituer dans ma mémoire ce moment de grâce: ma main droite paralysée, la cigarette se consommant entre les doigts, la douceur de ses lèvres, la délicatesse de son premier bonjour dans moi, mon visage en état de béatitude caché derrière mon masque.

Ce soir-là je me suis sentie sexy et désirable. Ce soir-là j’étais un chat qui voit et ressent tout.Ce soir-là j’ai pris le risque de retourner un baiser volé qui m’a réveillée pour toujours.Si quelqu’un m’avait dit que le SM consistait en ce frémissant et timide échange d’intimités, je me serais consacrée à cette pratique beaucoup plus tôt. Sans attendre la prochaine hibernation.

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