God sees no colours - Prologue

elhys

Prologue

L’aube du premier jour

Francis (1ère partie)

Paris, Communauté Internationale des Droits des Blancs (France), 20 janvier 2043

                Francis Dufresne passa une main dans ses cheveux, nouant sa serviette autour de sa taille.

- La Ligue des Guerriers du Soleil Noir, représentée par Bandele Kongo, son président, a décidé de recruter plus de dix mille nouveaux Massaï, qui rejoindront l’Armée du Gorille Noir dans quelques jours, en Côte d’Ivoire…

Il s’alluma une cigarette, éteignant le poste de télévision qui trônait au milieu de son salon.

- Enculés de noireaux ! grogna-t-il en recrachant une première volute de fumée.

S’approchant de la baie vitrée de son loft, il ouvrit la porte-fenêtre et sortit sur le balcon. Il vérifia que son fusil de sniper était chargé et prêt à l’emploi, puis s’accouda sur la rambarde.

                Ses yeux coururent le long du ghetto noir dans lequel étaient regroupés – entassés était un mot plus juste – tous les gorilles du pays. Francis était un ancien membre du GIGN. Lorsque le conflit mondial des couleurs avait éclaté, il avait été engagé par le gouvernement de la Communauté Internationale des Droits des Blancs afin de gérer la cité-prison de la banlieue parisienne qui avait été créée pour contenir les africains qui vivaient dans ce pays.

                En attendant de les rapatrier vers les Terres du Soleil Noir, ils devaient être contenus et tenus à l'écart de la foule. L’organisation de l’expulsion, encore trop gentille au goût de Dufresne, prenait du temps. Des conventions politiques se mettaient doucement en place, assurant la sécurité des rapatriés, garantissant aux autres territoires qu’il n’y aurait aucun blessé. Les accords amiables étaient passés, avec documents administratifs signés. 

                Dehors, les gorilles couraient dans les rues. C’était jour de marché. Tout était surtaxé pour eux. C’était à ce moment précis que Francis devait être vigilant, prêt à tuer. Il avait ordre de tirer sur toute personne devenant violente ou gênante pour le bon déroulement de la vie en communauté. Aussi, Dufresne en tuait régulièrement trois ou quatre, histoire de s’éclater un peu. Les cadavres restaient au milieu des rues. On avait interdiction de dresser une sépulture pour un Noir ou un Jaune dans l’enceinte de la Communauté Internationale des Droits des Blancs.

                Le conflit mondial des couleurs avait fait ressortir le plus moche de ce que pouvait être l’humanité. On avait torturé, violé et tué des centaines de milliers de personnes dans le monde entier, uniquement parce qu’ils avaient une couleur de peau différente. A présent, afin d’éviter la précipitation de la guerre imminente, on protégeait les étrangers en vue de leur expulsion du pays, laissant le temps à tous les territoires de préparer leurs soldats et leurs armements.

                Francis trouvait tout ça absurde. En tant que combattant expérimenté, il savait que, dans une bataille, tout se misait sur l’effet de surprise. Le principe était de se préparer plus vite que son adversaire et de frapper fort sitôt que l’on était prêt. C’était pourtant simple. Il suffisait pour cela de détruire quelque chose qui comptait aux yeux de l’ennemi. Exécuter des ressortissants noireaux serait une idée tout à fait louable si l’on voulait mettre le feu aux poudres et déstabiliser l’adversaire afin qu’il attaque sans avoir fini de se préparer.

                - Tu es là ? demanda une voix derrière lui. Tu surveilles ton bétail ?

Jeanne Laroche se dirigeait vers lui, entièrement nue. Elle passa les bras autour de lui, posant ses mains sur son torse musclé. Ils avaient passé la nuit ensemble, collés l’un à l’autre. Il pivota et lui déposa un tendre baiser sur les lèvres. Il passa une main dans sa longue chevelure rousse puis lui sourit.

- Pas le choix, c’est l’boulot ! dit-il.

                La jeune femme prit la cigarette de Francis et tira une bouffée.

- Ils sont si écœurants... cracha-t-elle, en même temps que la fumée. Je n’aime pas qu’ils soient là, si près de nous, de nos enfants…

Francis regarda Jeanne dans les yeux. Elle paraissait les détester profondément. Cela s’ancrait plus loin en elle, plus loin dans son passé, bien avant le conflit mondial des couleurs. Cela lui faisait presque peur. La guerre qui se préparait s’avèrerait très dure, pour tout le monde.

                - Nous les éliminerons ! dit-il tendrement, caressant délicatement les reins de sa fiancée. Ces sauvages crèveront !

Il croyait ce qu’il disait. Il savait que les blancs gagneraient la guerre imminente. L’Histoire avait montré que ces barbares n’avaient ni les compétences, ni l’armement nécessaires pour cela. Les Terres des Ténèbres disposaient peut-être de ressources naturelles exploitables, mais leurs pierres et leurs lances ne suffiraient jamais à se défendre dans un conflit mondial.

                 Obsédés par cette lutte des couleurs, les Hommes en avaient presque oublié les origines du conflit. Francis, lui, ne s’en souvenait pas. Il ne voulait pas s’en souvenir. Tout ce qui importait, c’était que ce qu’il avait toujours cru, toujours pensé, s’était produit. Les Hommes s’étaient toujours détestés à cause de questions telles que la couleur de peau, la religion, l’origine ethnique et d’autres différences importantes.

                Jeanne n’était pas un cas isolé. Tous avaient eu des raisons, un jour ou l’autre, d’en venir à haïr le reste du monde. Ces raisons étaient différentes pour chacun, plus ou moins grave, et dépendaient surtout de la manière dont on les avait vécues. Les grands idéalistes qui avaient longtemps voulu croire que tous étaient égaux avaient fini par abandonner tous ces idéaux stupides. Les hommes naissaient tous différents et ils devaient le rester. Après tout, les animaux avaient une hiérarchie établie. Les Hommes aussi.

                A présent, la situation était telle que le monde n’allait pas tarder à s’embraser, allumé par le feu de la haine et de la colère, du ressentiment et de la vengeance. Telle était la situation actuelle, et Francis n’en demandait pas moins. Enfin les querelles éclateraient, enfin le monde allait comprendre que la couleur dominante, sur cette Terre, était le blanc, couleur de pureté et de vérité. 

                Oui, la guerre allait bientôt éclater… et elle consumerait le monde dans le brasier mis en place par l’humanité tout entière au cours des trois derniers siècles…

Paris, Communauté Internationale des Droits des Blancs (France), 12 mars 2018

                La vie manquait cruellement de saveur depuis qu’il n’était plu avec Julie. Elle était partie, enceinte et pleine de rancœur, avec un autre homme, beaucoup plus vieux qu’elle, beaucoup plus riche. Il n’en avait strictement rien à foutre. Il se préparait à entrer dans les commandos. Quelques semaines auparavant, et c’était la cause de la rupture, il avait été abordé par un commandant des forces spéciales qui lui avait proposé un poste. A seulement dix-huit ans, Francis s’était dit qu’il fallait saisir l’occasion. Seulement voilà, Julie avait appris, le même jour, qu’elle attendait un enfant. Elle ne voulait pas d’un père absent. Elle voulait qu’ils s’installent et qu’ils élèvent leur enfant ensemble. Le jeune homme ne le voyait pas de cet œil, lui qui ressentait le besoin viscéral de faire ses preuves.

                Alors il était là, assis au bar, à enchaîner les verres de whisky, cherchant à noyer sa morosité dans un liquide ambré, entre deux glaçons. Sa vie semblait partir en vrille depuis quelques temps. Il était célibataire et on venait de diagnostiquer un cancer du foie à sa mère, alcoolique chronique de son état.

- ‘Scuse-moi man, lança une voix derrière lui. T’aurais une clope pour Mista Flagaman ?

Il tourna le regard vers le type qui venait de l’interpeler. Un noir, plutôt grand, fringué genre reggae. Mista Flagaman arborait des tresses décorées de minuscules coquillages peints de toutes sortes de couleurs, lui conférant l’air le plus ridicule du monde.

                Francis se leva. Dans la famille Dufresne, on n’aimait pas trop les étrangers. Il fit mine de passer à côté du type sans le regarder. Il ne voulait pas avoir d’emmerdes, surtout qu’il était saoul. Il se connaissait. Quand il avait trop bu, il pouvait devenir mauvais. Il prit la direction de la sortie, traversant la foule qui se déhanchait sur un air bien trop rythmé pour être dansé. Arrivé dehors, il sortit une cigarette et l’alluma.

- Alors ? T’as pas entendu mon pote te parler Ducon ? le toisa une voix derrière lui.

                Un groupe de cinq noirs, dont Mista Flagaman, venaient de sortir après lui. Ils le regardaient durement, les bras croisés sur leurs torses musclés. Le rasta s’avança vers lui et lui décocha un coup de genoux dans le ventre. Plié en deux, Francis rendit tout l’alcool qu’il venait d’ingurgiter à la Terre. Il se laissa tomber à genoux pour vomir tout son saoul. Le reste du groupe vint l’entourer.

- Eh ben alors ? On est malade ?

- Qu’est-ce que vous m’voulez ? parvint-il à articuler malgré les crampes d’estomac.

L’un des types le prit par la nuque, lui tira la tête en arrière puis le poussa violemment en avant. Francis eut une nouvelle crampe d’estomac quand son visage toucha la flaque qu’il venait de répandre sur le sol.

                Le type le rejeta violemment en arrière et sortit un cran d’arrêt. Francis roula sur le sol et se releva tant bien que mal. Deux des types le saisirent et immobilisèrent ses bras. Il voulut se débattre mais les noirs qui l’entouraient faisaient deux fois sa carrure. Mista Flagaman se saisit de l’arme blanche  et fit quelques pas vers lui. Il fouilla dans les poches de Francis et prit son portefeuille.

- C’est que mon fric que voulez ? demanda le blanc en riant presque. Y a dix euros, prenez-les !

Mista Flagaman le gifla violemment. Il prit les dix euros, se les mit dans la poche et jeta le portefeuille dans la flaque de vomi.

- Putain ! Nan ! Ca c’est pas cool les mecs, je…

La phrase de Francis s’éteignit dans un souffle lorsque la lame du cran d’arrêt lui traversa le flanc. La bouche ouverte, les yeux écarquillés, il sentait un liquide chaud se répandre sur son ventre. Ses tortionnaires le lâchèrent. Il tomba à genoux, portant une main à son estomac.

- Ca c’est pour tous les racistes de merde dans ton genre, Dufresne ! lança Mista Flagaman. De la part de Julie !

                Un léger sourire apparut sur les lèvres de Francis. Cette pute lui avait envoyé des nègres juste parce qu’il ne partageait pas ses opinions politiques. Il fallait au moins lui laisser ça à la Julie. Elle avait le sens de la mise en scène. Toutefois, il connaissait la raison profonde de la haine qui avait poussé son ex à le punir de la sorte. Avant qu’elle parte, il l’avait giflée. Il s’en était voulu presque aussitôt. Il n’avait pas réussi à retenir son geste. Maintenant, il gisait, blessé, dans un mélange de sang et de vomi. Des petits points noirs dansaient devant ses yeux, comme des mouches qui venaient tourner autour de la puanteur de ses derniers agissements. Il avait battu sa copine. Il méritait tout ça. Mais que l’affront viennent de nègres, ça, il ne le pardonnait pas.

                Alors qu’il commençait simplement à sombrer dans l’inconscience, quelque chose d’autre vint obscurcir son champ de vision. Une terre craquelée, comme brûlée. En son centre, un immense arbre mort. Un arbre aussi grand que la tour Eiffel. Ce décor lui coupa le souffle. L’ambiance pesante qui y régnait lui fit verser une larme. Ou peut-être était-ce la douleur. Une grue vint se poser à côté de l’arbre. Il cligna des yeux et, lorsqu’il les rouvrit, une petite japonaise aux longs cheveux noirs se tenait devant lui, un sac à dos à la main. Elle le regardait avec un air grave.

- Appelle les secours, articula-t-il difficilement.

Elle resta là, debout, à le regarder gravement, comme hypnotisée par lui. Elle portait une chemise de nuit d’hôpital et elle était pieds nus sur cette terre craquelée.

- Quand les couleurs divisent la paix, dit-elle simplement avant de faire demi-tour pour marcher vers l’arbre.

Francis sombra dans l’inconscience alors que ces mots résonnaient dans son esprit.

  • Merci psycose !! Ca fait plaisir.

    · Il y a presque 11 ans ·
    Default user

    elhys

  • Très belle écriture et narration, une histoire de fiction sur un futur bien sombre, belle imagination, bravo !

    · Il y a presque 11 ans ·
    Mains colombe 150

    psycose

  • Merci à tous pour ces commentaires !!! Ca fait plaisir !! D'autant plus que ce n'est pas le genre de récits dont j'ai l'habitude. En règle générale, je suis plutôt fantastique. Merci à tous !! La suite arrive bientôt... J'espère qu'effectivement, ce n'est pas une vision d'avenir !! ^^ Merci Octo pour le partage !! ^^

    · Il y a presque 11 ans ·
    Default user

    elhys

  • Merci de faire passer Octobell, hâte de voir la suite aussi moi... :)

    · Il y a presque 11 ans ·
    Noir

    suzelh

  • c'est un bon début ... qui appelle la suite ... une ambiance particulière, particulièrement bien rendue ... sur un sujet sensible !

    · Il y a presque 11 ans ·
    Img 5684

    woody

  • C'est extrêmement bien écrit, ce prologue nous tient en haleine, on bascule dans une atmosphère oppressante... C'est fort !
    Inutile de dire que j'attends la suite avec impatience !
    Bravo.

    · Il y a presque 11 ans ·
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    rafistoleuse

  • Ca me rappelle le "K" de D.Easterman... Sans doute pas construit sur les mêmes bases mais y'a quelque chose.. reste à savoir où nous conduit ta prose... Pour l'humaniste que je suis, les effets de style et la construction ne comptent pas pouŕ ce genre d'écrits alors j'attendrai donc la suite pou commenter precisement.
    Meric Octobell pour le partage.

    · Il y a presque 11 ans ·
    Drapeau quebec 54

    smilling-cocoon

  • tres bon recit, et l'histoire inconfortable mais terriblement bien ecrite, bravo

    · Il y a presque 11 ans ·
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    christinej

  • Un texte qui (je le souhaite) restera de la dystopie. A nous tous de faire en sorte que cela n'arrive JAMAIS ! Texte bien écrit et tellement d'actualité ! Bravo !

    · Il y a presque 11 ans ·
    Avatar loup 54

    matt-anasazi

  • "Quand les couleurs divisent la paix" Rhalalalalalalala !!!
    Ce texte est tellement ignoble et effroyable qu'au bout d'un moment je le lisais comme on regarde un film d'horreur au cinéma ! les mains sur la figure, les doigts juste assez écartés pour distinguer l'écran. C'est glaçant... Et terriblement bien écrit !
    Brrr !

    · Il y a presque 11 ans ·
    Logo bord liques petit 195

    octobell

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