Intimité

same

Un court moment de l'intimité d'une femme.

Après avoir terminé la vaisselle, l'aspirateur, la serpillère, la poussière et la lessive, je vais prendre ma douche. La salle de bain est tiède. Elle ressemble à un placard. En s'asseyant sur les toilettes on peut presque se brosser les dents au-dessus du lavabo. La douche est impraticable pour une personne de plus d'un mètre soixante quinze. Il impossible de passer SON visage sous le robinet sans se cogner la tête. La moisissure étend ses spores le long du mur progressant à la faveur de l'hiver. Je fixe ces champignons noirs comme s'ils pouvaient me sauter dessus puis je les oublie laissant abusivement couler de l'eau bien chaude sur mon corps jusqu'à la limite de l'insupportable. L'eau doit être chaude et presque me brûler. Je l'arrête juste avant que la douleur ne soit trop vive. Je la laisse couler le long de mes cheveux jusqu'au dernier moment, avant que l'extase ne se transforme en supplice. Je passe un bout de ma serviette sur la glace suspendue au-dessus du petit lavabo. Je m'essuie rapidement car le froid a vite repris le dessus. Des frissons désagréables parcours ma peau qui réagit par une chair de poule incontrôlée. En essuyant mon visage, mes yeux s'y arrêtent comme jamais ils ne l'avaient fait auparavant. Je regarde fixement les deux sillons qui commencent à entourer ma bouche. Je les sens progresser vers les commissures de mes lèvres. Le temps fait son effet. J'ai à peine dépassé les trente ans. Je me rassure en y posant de la crème bon marché mais bientôt ils seront plus seyant, inscrits là sur mon visage pour me prouver qu'on ne retourne jamais en arrière, signes de reconnaissance des femmes qui n'ont pas assez souri pour éviter ses sillons descendants ou, qui ont fait trop souvent la gueule. Au choix. Le tran-xen me guette. Le tran-xen... Je revois l'armoire à pharmacie et les piranhas volants. Les grosses gélules blanches et bleues qui flottent tout autour de lui. Les bruits distordus de son esprit qu'il ne contrôle plus...

Après avoir laissé mes pensées volatiles, face à mon reflet, je me mets à une gymnastique faciale frénétique:

« A, E, I, O, U, Y ». J'ai vu ça à la télé. Il faut prononcer de grandes voyelles avec sa mâchoire pour tonifier les muscles du visages. Je fais mes grimaces deux minutes puis j'arrête net contente de mon effort. Je n'aurai jamais une pratique assidue qui pourrait garantir la fermeté de mon ovale. Alors, je redeviens figée. Face à mon  reflet et je m'aperçois que justement je ne me suis aperçue de rien. Ces dix dernières années sont passées en un souffle et demain, bientôt, je ne serais plus ni belle, ni jeune, même si je n'ai jamais été très belle. D'ailleurs, je ne suis qu'une femme quelconque.

Je cherche le mascara dont je ne me sers jamais et, sans même regarder la date de péremption, je m'applique à le poser sur mes cils en essayant de faire ressortir mes yeux enfoncés derrières des poches naissantes. Je me sens déjà bien.

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