Jacques roule

stratos7777

"Si ça ne tenait qu'à moi, j'interdirais la cigarette et enfermerais les personnes qui continuent malgré tout de fumer."

S'en est trop, je n'en peux plus d'écouter les conneries de ce Jacques sans rien dire. Depuis tout à l'heure je reste calme parce qu'après tout je ne le connais ni d'eve ni d'adam mais la il faut que je réagisse. Je sors mon paquet de clope de la poche de ma veste et en décharge son contenu entièrement sur la table en criant :

"Clopes gratuites, profitez en avant que Jacques nous gouverne tous !"

Hagard, ce petit homme grassouillet à la calvitie naissante se tourne vers moi alors que j'allume au même moment l'une des multiples cigarettes éparpillées sur la table à manger. Emma rigole et en attrape une aussi en ajoutant "Désolé Jacques".

Ça y est, je crois que j'ai toute son attention. Pour en être vraiment sûr je souffle ma fumée dans sa direction. Il écarte la fumée avec sa main d'un air vraiment agacé. Je jubile.

"Donc Jacques, futur président français ou plutôt futur dictateur, expliquez-moi que ferais-vous quand des gens comme moi ou même Emma ici présente, partiront en prison. Emma est une très bonne prof' de mathématiques. Hélas elle fume. D'ailleurs la plupart des profs' de collèges fument, pour évacuer le stress que provoquent une trentaine d'élèves de 13 ans en pleine crise d'adolescence. Vous mettrez tous ses honorables professeurs au cachot pour de simple mégot ? Bravo." dis-je en fixant ses yeux plissés, comme s'il ne comprenait pas ce que je disais.

"Et...et bien, s'il le faut oui ! Mais je pense qu'il faut d'autant plus s'attaquer à ces collégiens dont vous parlez plutôt qu'à leurs professeurs. L'autre jour je faisais mon jogging hebdomadaire et..." je le coupe et dis d'un air surpris "Vous courez ? Sérieusement ?", il doit au moins peser une centaine de kilo pour 1 mètre75.

"Effectivement oui, mais laissez-moi continuer je vous prie." répond-il, devenant complètement rouge d'énervement.

Je lui fais signe de la tête de continuer et il reprend :

"Lors de mon jogging, je passe souvent devant un collège et depuis plusieurs années de plus en plus d'élèves vont au portail pour fumer. Vous imaginez ! Ils n'ont pas encore l'âge de boire qu'ils fument déjà ! Mais où va-t-on ?"

"Les jeunes sont bien plus précoces que ceux de votre génération, ils se découvrent plus vite, mais surtout, ils ont cette haine aigu envers les autorités. Alors, le fait d'interdire leurs donneraient d'autant plus envie de fumer. Vous savez que nous sommes, en France, parmi les plus gros consommateurs de oinj, comme disent toujours ces mêmes collégiens."

"Comment ?" dis mon interlocuteur, l'air déconcerté.

"Joint en verlan, Jacques. J'aurais aussi pu utiliser les mots pétard, spliff ou bédo."

"Ah d'accord je comprends mieux, j'ai affaire à un fumeur de marie-jeanne."

Je rigole et réponds "Tout à fait, d'ailleurs un autre problème viendrait si l'on interdisait la clope : Comment ferais tous les fumeurs de marie-jeanne pour rouler leurs joint ? Ils seraient obligés de faire du 100% cannabis. Super pour la France, des millions de personnes tomberaient dans la paranoïa et perdraient la mémoire !"

"Ils l'auraient bien mérités non ? Tout le monde sait qu'il ne faut pas toucher à la drogue."

"Tout le monde sait aussi qu'il ne faut pas manger trop gras, pourtant tout le monde craquent face à un bon saucisson. Certains plus que d'autres..." dis-je en fixant son bidon.

"Ed !" me dit Emma en m'attrapant le bras.

Jacques me regarde avec une haine immense. J'ai peut-être été trop loin, mais après tout il le mérite. Je prends une clope, l'allume pour fêter ma victoire tout en gardant le type en ligne de mire. Finalement il me demande, toujours en me fixant "Vous en avez sur vous ?".

J'attends quelques secondes, Emma ne comprend pas trop ce qu'il se passe. Moi non plus à vrai dire mais, ça me plait.
"J'en ai." je lui réponds sans dévier du regard.

"Les gars, vous commencez à me faire peur. Vous n'allez pas vous battre quand même ?" dis Emma, inquiète.

Jacques se lève d'un mouvement brusque et sa chaise tombe par terre dans un fracas. Il continue de me fixer et fini par dire :

"Je roule."

Signaler ce texte