Jaguar

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Quand je sens le vent souffler sur mon dos alors que je cours, je me sens vivre, je me sens grand. Je sais alors que c'est pour ça que je vis, pour ressentir ce bonheur. J'entends Élise rire à pleins poumons. J'imagine très bien son visage souriant, le vent dans ses cheveux. Un deuxième coup de talon et je m'élance encore plus vite. Nous allons maintenant au galop, et c'est encore plus intense.
Je m'appelle Jaguar. Je suis un pur-sang sauvé de l'abattoir grâce à une petite fille de huit ans qui se prénomme Élise. Mon ancien propriétaire voulait me donner à l'abattoir car j'avais échoué dans une course hippique. Ma cheville avait encore fait des siennes, et m'avait empêché de terminer correctement ma course, et gagner comme à mon habitude. Mon propriétaire, M. Langlois, n'avait même pas pris la peine de se demander pourquoi je ne courrais pas aussi vite que d'habitude. La seule chose qu'il voyait était le fait que je n'avais pas gagné. Heureusement pour moi, Élise était en admiration devant ma crinière blonde et ma robe marron. Elle a convaincue son père de m'acheter, et me voici maintenant courant à vive allure dans le champs de la famille Hale.

Monsieur Hale, Charlie, fervent amateur de courses hippiques a remarqué que je n'étais pas au meilleur de mes capacités, et dès lors qu'il m'avait acheté, il m'a amené chez le vétérinaire pour vérifier ce qu'il n'allait pas. Verdict, entorse au boulet qui m'a valu un mois de mise au repos dans un box. Élise est venue me voir tout les jours, m'a brossé, m'a câliné, et me revoici sur pieds. Ou sur pattes devrais-je dire. J'oublie par moment que je ne suis qu'un cheval de course. Les humains me paraissent si proches de moi, que je m'identifie facilement à eux, et en oublie par moment ma vraie nature.

Nous rentrons aux haras un peu fatigués, mais content d'avoir encore vécu un moment comme celui-ci. Je suis si fière d'elle. Elle ne savait pas monter à cheval lorsque son père m'a acheté, mais grâce à Marie, Monteuse hors-pair, elle a appris à monter comme une professionnelle en moins de deux semaines. Élise descend et me caresse la crinière, je tourne ma tête en la frôlant du chanfrein pour lui montrer ma gratitude. Je lui serai éternellement reconnaissante de m'avoir épargné l'épisode de l’abattoir. Elle se baisse et prend le cure-pied afin de me faire ma toilette quotidienne. Après tant de kilomètres, impossible d'y échapper et je dois avouer que ça me fait le plus grand bien. Ensuite viendra le moment du brossage, et lorsqu'elle m'aura donné mon repas, elle ira dans sa chambre, apprendre encore plus de choses sur les chevaux. C'est vraiment une petite fille formidable. Elle est si attentionnée, si tendre, si prévenante avec moi que chaque jour, je me demande comment faire pour la remercier de toute cette attention. Élise part, je m'endors tendrement sur la paille.

Il est 9h, Élise arrive avec mon repas. Aujourd'hui, nous allons sortir du domaine. Nous allons faire une balade en forêt. Élise s'en sent capable, et dis que je suis prêt à aller plus loin. Dans son sac, elle a prévu de quoi se nourrir et de quoi boire pour cette journée de balade. Elle a même prévu de a nourriture pour moi, quelques pommes et des carottes. Elle m’attelle et nous partons en direction du nord. Nous arrivons dans la forêt et nous ralentissons l'allure.

Super Jaguar ! J'aime beaucoup me balader avec toi, tu es mon cheval et je serai toujours là pour toi, me dit Élise.

Elle se penche sur mon dos et m’enserre de ses bras. Je ressens tout l'amour qu'elle me porte, c'est vraiment touchant. Nous continuons de marcher comme ça jusqu'à une petite rivière qui traverse la forêt de Main. Nous nous arrêtons pour nous rassasier, Élise sort alors de son sac une carotte et me la tend. Je l'engloutis en une bouchée.

Un peu plus loin, j'aperçois une troupe d'hommes. Je ne sais pas qui ils sont, mais j'ai un ressenti étrange à la vue de leurs habits. Habillés de vert, ils sont presque camouflés dans toute cette verdure qui nous entoure. J'essaye d'attirer l'attention d’Élise, mais elle est bien trop occupée à manger son yaourt pour me voir. Je recule d'un pas, je m'agite, je me cambre, Élise me voit. Elle se précipite sur moi et je lis sur son visage qu'elle panique. Je ne me suis jamais comporté comme ça, elle doit être affolée. Je me calme, elle me caresse, mais je vois du coin de l’œil que les hommes arrivent, ils sont armés, ils se dirigent vers nous. Il faut partir. Il faut partir avant qu'il ne nous voit. Je reconnais là l'odeur de mon ancien propriétaire. S'il me voit seul avec Elle, il ne se gênera pas pour me prendre et envoyer valser la fillette. Il faut qu'elle comprenne. J'attrape avec la bouche son sac à dos, et recule. Elle comprendra peut-être. Elle me regarde affolée, et me demande de lui rendre son sac. Je le laisse tomber, et recule encore d'un pas. Elle semble comprendre, et regroupe ses affaires, sans pour autant se dépêcher.

OK, on va partir, laisse moi récupérer mes affaires d'abord ! Je ne pensais pas que tu étais pressé de partir, mais OK. On y va. Me dit-elle en souriant.

Elle ne se rend pas compte du danger qui se profile au loin. Enfin, elle monte sur la selle, et s’apprête à me donner un coup de talon quand j'entends le bruit du fusil. Il est là, il n'est pas loin derrière nous. Je me cambre, et file à toute allure, laissant au sol ma cavalière.

« Je ne peux pas la laisser. Je e sais pas ce qu'il vont lui faire, il faut que je fasse demi-tour ! » Après cette pensée, mes pattes s'arrêtent et je repars en sens inverse.

Je la vois au sol, je me sens coupable. Heureusement, ils ne s'en sont pas pris à elle. Elle remonte à cheval, et nous repartons vers le Haras.

Arrivés à destination, Élise file à l'intérieur de la maison, je ne l'avais jamais vu comme ça. Elle ne prend même pas le temps de me caresser alors que je viens de lui sauver la vie. Je me suis peut-être trompée sur cette petite. Peut-être ne m'aime-t-elle pas autant qu'elle le sous-entend. Je regarde et attends. Je me dis qu'elle ne peux pas me laisser comme ça, elle va revenir. Il faut qu'elle revienne.

Je la vois sortir de la maison suivi de près par son père. Je reconnais cette odeur. Il était dans la forêt avec M. Langlois. Ma peur grandit. Pourquoi était-il là-bas ? Est-ce qu'il veut me tuer ? Est-ce qu'il voudrait faire de la peine à sa fille ? Non, je ne pense pas... Pourtant, c'est bien lui, c'est bien une odeur que j'ai senti tout à l'heure, odeur mêlée à celle de mon horrible ex-propriétaire.

Il vient me voir, et me caresse. Me serai-je trompé ? Mon odorat est-il défaillant ? Je e sais pas, et je n'ai pas envie de cogiter avec ça ce soir. J'ai bien trop envie d'aller me coucher.

Mais non ma chérie, tu vois bien qu'il est en pleine forme ton cheval. Il est un peu fatigué, mais rien d'alarmant. Après une bonne nuit de sommeil, il sera de nouveau comme ce matin !

Mais Papa, il s'est cambré en forêt, il a peut-être mal quelque part ? Il s'est peut-être encore une fois fait une entorse au boulet ?

Je e pense pas ma chérie, mais on verra demain. S'il ne va pas mieux, j’appellerai le vétérinaire pour qu'il vienne le voir et te rassurer sur son état de santé. Tu sais, c'était sa première balade en forêt, tout ça l'a peut-être effrayé, il n'a pas l'habitude, Dit Charlie essayant de rassurer Élise .

Oui peut-être, on verra demain. Je vais le mettre au box, et je rentre papa, ajoute-t-elle.

Bien ma chérie, mais ne traîne pas trop surtout.

Charlie se dirige vers la maison, tandis qu’Élise me ramène au box. Après son rituel du soir, elle file dans sa chambre.

Est-ce moi qui ai tout imaginé ? Pourtant, cette odeur....et ce coup de fusil....je ne l'ai pas inventé, c'était bien réel. Mais, pourquoi Élise n'a pas parlé à son père du coup de fusil ? L'a-t-elle entendu , ou l'ai-je inventé ?

Sur ces pensées, le sommeil me rattrape après cette longue et éprouvante journée.

Le lendemain, Élise vient me voir à l'aube. Elle me regarde de haut en bas pour voir si tout va bien.

Comment tu te sens mon Jaguar ? Ça va mieux qu'hier soir ? On va se balader pour voir si ton boulet va bien ?

Elle attrape mon harnais et me traîne jusqu'à la piste. Elle me monte, et me fait faire deux tours de pistes. Lorsqu'elle voit que je suis en pleine forme, elle me ramène au box, en me promettant une autre balade cette après-midi, mais moins loin cette fois-ci.

Je mange mon repas, et bois dans dans le bac remplit ce matin.

Ma cavalière vient me chercher, et nous partons pour faire le tour du domaine. Aujourd'hui encore, il y a du vent. Ce sera encore agréable de sentir ma crinière taper contre mon épaule, et entendre rigoler la fillette qui est rassurée depuis qu'elle m'a vu ce matin. Elle n'a pas du dormir longtemps cette nuit. Je n'arrête pas de me repasser en boucle la scène d'hier après-midi, mais j'arrive pas à savoir si mon imagination me joue des tours ou si cela s'est vraiment produit. Je sens mes muscles se contracter tout à coup. Je n'arrive plus à courir, j'ai mal. Je m'arrête violemment et fait tomber Élise. Je me cambre, je hennis comme jamais, je lis la terreur sur le visage angélique d’Élise. J'aimerai m'arrêter mais je ne peux pas. Je cours dans tout les sens, j'entends la fillette qui appelle son père paniquée, je saute dans tout les sens, et crie de plus en plus fort. Pourquoi mes muscles me font-ils aussi mal ?

Charlie arrive avec une corde. Il m'attrape à l'aide du lasso qu'il vient de créer. Il m’immobilise et me ramène tant bien que mal au box. J'ai mal, je n'arrive pas à marcher, je suis contracté, je n'arrive pas à me détendre, et je ne comprends pas pourquoi.

Le vétérinaire arrive. Son odeur. Je reconnais son odeur, mais je ne sais plus où je l'ai sentis. Il m’ausculte de haut en bas, et finit par dire :

Rien d'anormal dans son état de santé. Je crains qu'il ait atteint sa maturité et que son comportement se modifie. On ne pourra plus faire grand chose à ce niveau là. Il a été sauvé une fois, mais là, on ne pourra rien pour lui.

Quoi ? Crie la fillette. Ça veut dire quoi ça « il a été sauvé une fois mais là, on ne pourra rien pour lui » ?

Je ne crains qu'il faille l'emmener pour de bon à l'abattoir, renchérit Charlie.

Non, je ne veux pas, c'est mon cheval. Je lui ai promis que je serai toujours là pour lui, et ce sera le cas. Même si son tempérament devient plus difficile, j'apprendrais à le gérer, mais c'est mon cheval, il est hors de question qu'il soit amené à l'abattoir.

Ma chérie, Charlie tente de consoler sa fille, on ne peut pas prendre le risque qu'il te fasse du mal. Et puis, tu n'as que huit ans, tu ne pourras pas avoir le dessus sur lui quoi qu'il arrive. Il vaut mieux s'en séparer maintenant avant qu'il ne fasse trop de dégâts. Tu comprends ?

Oui, mais je l'aime moi, je ne veux pas qu'il parte, je ne veux pas qu'il soit tué, sanglote Elise.

Je comprends ma chérie, je sais que tu l'aimes, mais là, on a pas le choix.

Charlie se tourne vers le vétérinaire :

Vous pouvez le prendre avec vous docteur. On ne peux pas prendre le risque de le garder. Tenez, ce sont ses papiers.

Il tend une grosse enveloppe au vétérinaire qui l'attrape et la fourre dans sa poche. Puis, il attrape mon harnais. Je me retourne et vois Élise en pleure dans es bras de son père. Je ne peux pas croire que je suis capable de tuer cette adorable personne qui a toujours été là pour moi. Je monte dans le box et vois le vétérinaire refermer la porte.

«  Cette fois, c'est la bonne Jaguar, personne pour te sauver aujourd'hui. » Sur cette pensée, nous quittons le Haras. Élise ne me regarde pas, peut-être à-t-elle trop mal pour s'aventurer à un regard vers moi.

Arrivée à l'abattoir, le boucher demande mes papiers. J'entends des hennissements de l'autre côté de la porte. J'ai peur, je recule de quelques pas, mais le vétérinaire tiens fermement mon harnais, m’empêchant d'aller où je veux. Je ne peux que attendre.

Il n'y a pas le papier destinant l'animal à l'abattoir ? Demande le boucher.

Non, il n'y était pas destiné au départ, mais son comportement se modifie avec l'âge, et M. Hale ne veut pas que sa fille soit en danger à cause de lui. Il demande donc à ce que vous le preniez, et me demande également de vous remettre ceci.

Le boucher ouvre, et trouve une liasse de billets en échange de son silence sur le papier manquant.

Très bien, je vais vous le prendre, mais je me dois de faire des analyses auparavant. Je ne peux pas vendre de la viande impropre à la consommation.

Ca marche. A bientôt.

Le vétérinaire donne le harnais au boucher, et repart. Bizarrement, je me sens plus en sécurité avec lui qu'avec le docteur.

On entre dans l'abattoir, les bruits qui s'en échappent sont atroces. Le boucher me faire une prise de sang et l'analyse. Peu de temps après, il vient vers moi, me caresse et me dit :

Tu échappes encore une fois à l'abattoir mon beau.

Je ne comprends pas mais suis amené en peu de temps au Haras. Je vois Élise qui est encore en pleure. Un sourire apparaît lorsqu'elle me voit.

Monsieur Hale ! Je ne peux pas prendre votre cheval, sa viande est impropre à la consommation.

Quoi ? Mais pourquoi donc ? S'énerve Charlie

Il a été empoisonné monsieur. Un poison qui se mélange généralement à l'eau. Je suis désolé, mais voilà votre argent, et votre cheval.

Élise se jette à mon cou. Charlie la retient. Marie arrive et demande ce qu'il se passe. Charlie lui résume la situation et Marie paraît outrée.

C'est toi qui a remplit le bac d'eau ce matin ! C'est toi qui a empoisonné le cheval de ta fille ? Et par dessus tout, tu oses me raconter cette histoire comme si de rien était, comme si tu étais innocent ?

Mais.....

Tu te demande comment je le sais ? Je t'ai vu descendre avant tout le monde ce matin, je t'ai vu aller remplir le bac d'eau, et il n'a pas pu être empoisonné avec l'eau d'hier puisque c'est moi qui l'ait remplit. Tu devrais avoir honte d'avoir voulu tuer le cheval de ta fille !

Oui, OK c'est moi. C'est bon, tu es contente ? J'avoue, c'est moi qui ai mis le poison dans son eau, s'énerve Charlie, c'est moi aussi qui ai essayé de lui tirer dessus hier après-midi dans les bois.

Pourquoi est-ce que tu as fait ça ? Pourquoi veux-tu tuer le cheval de ta fille ? Tu te rends compte du mal que tu lui fait ?

Oui je me rends compte, M. Langlois m'a fait une offre que je ne pouvais pas refuser. Il a tellement eu du mal à se remettre de son échec à la course qu'il voulait que l'on tue ce cheval. Le docteur était au courant, il savait ce que j'avais fait mais je l'ai payé pour qu'il se taise et qu'il emmène ce cheval à l'abattoir. Langlois offrait une somme d'argent que je ne pouvais pas refuser, alors oui, j'ai voulu tuer ce cheval et vous offrir les 100 000 euros qu'il me proposait!

Comment as-tu pu …. ? regarde ta fille, regarde comme elle pleure ! Et tu ne t'en veux pas pour tout ce mal que tu lui fais ? Renchérit Marie.

Je suis désolé, je ne pensais pas qu'elle tenait tant à ce cheval, je m'en veux, et j'espère qu'un jour vous pourrez me pardonner mon geste, mon erreur, sanglote Charlie.

Elise est en pleure, sa maman la console, elle me regarde et me fais comprendre qu'elle est désolée pour tout ce qui vient de se passer. Elle me ramène au box et demande à ses parents de la laisser seule avec moi.

Jaguar, je t'aime, je serai toujours là pour toi, tu te rappelles ? Je te protégerai du mieux que je pourrais durant toute ta vie, je t'aime de tout mon cœur.

Elle se couche sur mon flanc, et je mets ma tête à côté de la sienne. Nous nous endormons tout les deux comme ça, blottis l'un contre l'autre, et je suis sûr qu'elle passe une meilleure nuit que celle d'avant.

Comment peut-on en arriver là pour de l'argent ? Je ne m'étais donc pas trompé. J'avais bien senti ces odeurs dans la forêt. C'est réconfortant de savoir qu'on peux encore faire confiance à son flair, qu'on est pas encore assez vieux pour divaguer ou pour mourir. Finir à l'abattoir, moi ? Jamais ! Après tout, ce ne sont que les animaux qui finissent comme ça, et je sens que dans le cœur d’Élise, je suis bien plus qu'un animal.

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