J’ai vu Londres sous les flammes d’un démon du rien brisé

bis

**************** http://www.youtube.com/watch?v=H-k_Eg7zXuc ****************

Il était quatre heures du matin et cinquante-sept minutes sur la montre de Big Ben. L’aiguille oscillait entre le futur et maintenant. Les non-dits lugubres se réverbéraient sous la pénombre rougie par l’incendie. Les chats en rut faisaient l’éloge des sensations de feu. Parcourus de frisson, ils avançaient au gré des flammes destructrices. Les oiseaux grillaient, la fumée faisait comme une ombrelle par une nuit féroce. Une nuit de souffre. Puis les cris des gosses.   

Il était quatre heures du matin, presque cinq. Les humains hurlaient, démunis de l’avoir et de l’être. La chaleur et son enfer absurde couvraient le pays d’un drap de fin du monde, avec des fils brulants, des matières à s’en couper les mains.

La lune et les étoiles déchues mourraient asphyxiées, le Rouge et le Noir corrompus faisaient pleurer le squelette dément de Stendhal aux heures d’un petit matin sans fin.

Il était puissant, il était beau d’un désespoir immoral : le Londres des flammes juché sur un parvis de violence létale. Les uns criaient pendant que placide et serein, de ses cornes d’airain, le démon fissurait, tranchait, terrassait. La peur à son maximum pénétrait la danse des flammes. Et certaines devenaient noires…

Elles voulaient se repaitre goulument du fond de terreur d’un être sur le déclin. Aux commissures de leurs lèvres se dessinaient les cicatrices des hurlements d’avant, du silence de maintenant.

Le si profond silence…

Quatre heures et quelques poussières empourprées du matin. Et Big Ben se tenait au-dessus du chaos fou de la misère et des souffrances. Oracle sans sentiments, la tour et ses aiguilles continuait d’afficher le temps tout puissant, son inexorable avancée. Le démon sonnait de ses hallalis de terreur la victoire des cauchemars sur les amarres brisées de la réalité tandis que les derniers espoirs rejoignaient la fumée.

Au-dessus, tout au-dessus.

Les maisons cramées, les bâtisses en ruine, les appartements détruits, l’enfer à Londres. Tout était brulant, tout était cramoisi de colère et de folie. Le démoniaque esprit ricanait en se laissant tomber dans un couvent de flammes malsaines aux couleurs criardes. Marée de lave et ressac infernal, un dernier chat restait en suspens. Sur le fil de la fin. Il miaulait, péniblement, tentant d’alpaguer quelques restes de sa sève vitale égarée au détour d’une explosion et d’un saut manqué. Le félin famélique arrachait au silence des flammes  atones leur souveraineté morbide.  Ses cris fustigeant la pénombre et la royauté figée.

Le démon les perçut.

Il se tourna.

Vers le survivant.

Son aura grandiose et maléfique l’enveloppait de puissance et de démence. Pour la première fois, le feu avait peur lui aussi. Pour la première fois, Big Ben et ses aiguilles insensibles hésitèrent. Le ciel moribond, content d’être caché pour cette fois, riait sous sa cape de souffre puant.

Placé à deux mètres du chat, le démon s’arrêta. Un sourire transperça son visage atroce pendant que véloces et riantes, les flammes entouraient le binôme improbable.

La sordide abomination parla d’une voix trop grave pour être terrestre: « Penses-tu pouvoir arrêter le monde en criant comme cela ? Petit chose, petite chose. Je rigole mais dans mon monde, gémir est très mal vu. »

Un frisson passa dans les flammes à la vue du désappointement manifeste de la bête, Big Ben en eut un haut-le-cœur et le ciel eut si peur qu’un coup de vent passa dans le fatras cadavérique du dessous terrestre anarchique.

Il était cinq heures pile à présent.

Et Big Ben tremblait.

Et le chat, perdu dans son embrouillamini de terreur et d’horreur, mourut de peur face à son interlocuteur.  

Londres était en flammes, Londres était perdue.

Londres était belle dans la mort.

Et son indécence d’être encore jolie sous les corps meurtris.

Londres était au petit matin.

Big Ben ressentait même du chagrin.

Face au démon, face au destin.

Face à ce rien qui faisait exploser les villes.

Face à ces chiens qui avaient maudit l’heure pile.

Pour les humains, pour tous leurs crimes.

La bombe nucléaire avait fait une autre victime.   

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