Je n'entendais rien d'autre. [ Défi N°8/club "Jetez l'encre !" ]

rafistoleuse

Je me souviens, la première fois que je t’ai rencontrée. Y avait le soleil qui reflétait sur l’eau, des groupes de jeunes avachis sur les marches, des airs de guitare qui flottaient ci-et-là, des peaux rouges-roses-noires. Toi, tu faisais tâche, sur ce cliché d’été. T’avais un pull que d’autres filles auraient porté comme robe – en laine, en plus. Je me suis dit qu’il fallait une sacrée dose d’inconscience pour porter un truc aussi lourd. T’es passée devant moi, tu t’es assises un peu plus bas, à gauche. Tu cherchais ta place. Je te voyais te poser quelques minutes, comme si tu jaugeais la qualité de l’emplacement par rapport au monde, au bruit, au soleil, à la distance minimum que tu voulais établir entre les autres et toi. En ce qui me concerne je ne voyais plus que toi. Ton dos, pour être exact. Je me demandais ce qui te passait par les oreilles. Je te regardais repousser  mécaniquement cette mèche sans quelle tienne jamais. Je devinais ton agacement. Ca me faisait doucement rire, tu me semblais imperméable au monde qui continuait autour, j’aimais ça, t’étais dans une autre galaxie.  Tu ne me voyais pas. Pourtant ce sont des trucs qui se sentent, les regards que les gens posent sur toi. Alors je me suis lancé. J’ savais pas ce que j’allais te dire, pour engager la conversation alors j’ai dit « bonjour ». Comme un con. Puis ça embraierait bien sur autre chose, non ? Tu m’as dit « merci », sur le coup je n’ai pas compris.  Je te faisais de l’ombre, en fait. « Reste là, t’es parfait ».  Je suis resté là, debout, on a parlé pendant des heures. T’avais une façon de me regarder, avec tes yeux gris tu me désarçonnais. Je crois que ce jour là, je n’ai pas dit grand-chose de censé. Mais t’étais un public parfait. Je voulais arrêter le temps. Te dire que je ne m’étais jamais senti aussi bien avec quelqu’un. Juste que j’aurai pu faire n’importe quoi pour toi. Que t’étais si belle, que tu ne le réalisais même pas. Et puis tu m’as dit qu’il fallait que tu t’en ailles, que t’étais attendue ailleurs. Je t’ai dit que je t’attendrais ici. T’as rigolé, puis tu m’as dit « ok ».  Y avait rien de certain, puis les certitudes ça n’a jamais été mon truc. J’ai fait comme si ça ne voulait rien dire, j’essayais de taire tous mes sens en ébullition. J’avais l’espoir qui cognait fort dans ma poitrine.  Je ne savais pas encore à quel point t’allais bouleverser ma vie. Je n’entendais rien d’autre.

***

Je me souviens, la première fois que je t’ai rencontrée. Et ça me fait mal, rien que d’y repenser aujourd’hui. Toi, tu faisais tâche, sur ce cliché d’été. Et t’as jamais réussi à te fondre dans mon paysage, cette noirceur en toi, je l’avais pas immédiatement décelée. Je me suis dit qu’il fallait une sacrée dose d’inconscience pour porter un truc aussi lourd. Moi je t’ai laissé prendre ton temps, pour te sentir bien , j’espérais avoir cette faculté de déployer les ailes que je t’avais accrochées dans le dos. Tu cherchais ta place. T’avais tant de plomb, que t’étais clouée sur place. En ce qui me concerne je ne voyais plus que toi. Tu me remplissais de tes ombres, mais tu ne m’écoutais même plus. Je me demandais ce qui te passait par les oreilles. Moi j’essayais de réveiller quelque chose en toi, je voulais te secouer. Je devinais ton agacement. Mais t’étais exilée ailleurs. Tu ne me voyais pas. T’étais vide, tu me faisais froid. Alors je me suis lancé. Je t’ai saisie par les épaules, je voulais que tu cries, que tu me foutes des baffes j’en sais rien, que tu réagisses mais tu m’as laissé faire. Comme un con. Je crois que t’étais plus belle avant moi.  Je te faisais de l’ombre, en fait. T’as enfin daigné m’adresser la parole.  Je suis resté là, debout, on a parlé pendant des heures. Jétais tellement perdu, je t’aimais tellement, je voulais tellement te sauver.  Je crois que ce jour là, je n’ai pas dit grand-chose de censé.  Tu m’as dit qu’on avait été trop vite, que t’avais pas eu le temps de guérir. Je voulais arrêter le temps. Utiliser tous les mots du monde pour te dire à quel point je te trouvais magnifique, en dedans, en dehors. Que t’étais si belle, que tu ne le réalisais même pas. Tu m’as répondu, que je n’aurais jamais le courage de patienter, que je finirai par me lasser de tes doutes en béton armé, de ta paranoïa incontrôlable. Je t’ai dit que je t’attendrais ici. Que je m’en sentais capable, que tu me rejoindrais un jour où l’autre, que je ralentirai le pas, que t’aurais du temps pour penser, pour panser mais … Y avait rien de certain, puis les certitudes ça n’a jamais été mon truc. Tout ce que je savais c’était que j’avais besoin de toi. J’avais l’espoir qui cognait fort dans ma poitrine.  Les yeux baissés, t’es sortie en claquant la porte avec fracas. Et pendant des années, je n’ai plus entendu que ça.  Je n’entendais rien d’autre. 

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