Ka

masque

Ka regarda le désert à travers la vitre. Il faisait chaud à crever. On roulait bien. Le sol réfléchissait un jour éclatant, ça lui faisait comme une couche de cellophane. Un brillant évanescent qui planait tout autour.

Ka se racla la gorge. Il était tiré d'affaires, il le savait depuis toujours. Le convoi progressait. Sur le plateau du pick-up, devant lui, un nègre tenait une mitraillette et surveillait les alentours, casquette en visière, dégaine de mercenaire. Il baignait dans la lumière.

Ka se tourna vers le conducteur. C'était Mo. Il lui dit quelques mots. C'était quelque chose comme : « Ce nègre pourrait nous dézinguer en un instant, s'il pointait sa mitraillette sur nous. Nous sommes à la merci d'un nègre.
    - Le pare-brise est blindé, répondit Mo ».

Après cela, quelques heures s'écoulèrent encore, puis ce fût fini. Pendant ces quelques heures, tout semblait calme. Ka buvait de l'eau dans une bouteille en plastique. Il méprisait ses ennemis. C'était un homme d'une trempe rare.
Ka n'était pas inquiet. Même dans les pires moments, il ne cessait pas de croire en sa bonne étoile... en sa destiné merveilleuse... romanesque... Il n'avait pas peur de mourir. Il aimait le goût du sang. Il combattait pour la Justice.

Il aimait ce qu'il voyait : le sable, les cailloux, le soleil, la longue file paresseuse des véhicules, l'azur d'où pleuvait la mort. Plus il vieillissait et plus son émerveillement face à la vie grandissait, plus le monde lui paraissait un endroit lumineux. Un feu l'habitait.

Le désert se poursuivait où qu'il porta son regard. Il lui semblait que l'immensité l'appelait. Il était le centre de l'univers, le trou noir qui palpite au cœur des galaxies, la raison d'être des choses. Son estomac le tourmentait. Je crois qu'il sentait par anticipation la douleur suffocante et le sang lui aveugler les yeux, peut-être même l'ultime sursaut qui précède le néant.

Mo fume une cigarette, et je suis à l'arrière du véhicule. J'essaye de pénétrer le cœur des hommes mais c'est une entreprise pénible. La violence des guerres que nous traversons, d'aventure, ne fait jamais qu'effleurer celle du doute que nous nous infligeons à nous-mêmes et tout ça est d'un ridicule affligeant, vu de l'extérieur, et tout est là. Il y a des gens, des maîtres, qui vous émerveille, dont les phrases ouvrent des profondeurs insondables, des abîmes sous les pas des marcheurs. Moi j'ai pris la résolution d'en être, ou plutôt j'aimerais la prendre, j'aimerais me lever un matin et savoir ce que je doit être, et que tout me soit donné dans une soudaine évidence, une intuition sublime, que mon travail cesse d'être laborieux, difficile, qu'on m'apporte la clairvoyance sur un plateau, comme ça, sans rien attendre en échange, et que mes sens restent ouverts, impressionnés, que je n'oublie pas de regarder la vie avec les yeux d'un enfant, ce qui revient du reste à obéir à ma nature, et tout serait d'une limpidité éclatante.

Dans le ciel planait le reflet d'un drone. Ka affirmait : nos vies s'écoulent et nous n'en sommes pas maîtres mais tout a un sens et tout est à sa place, l'univers se répond à lui-même et nous devons nous en remettre à lui, sentir l'élan créateur et amoureux qui nous traverse à tout jamais, et tout s'éclaire.

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