La lame de Kanja

jeffrey-gandhide

L'honneur et le courage qui semble sans limite cachent un être plus complexe

Aussi courageux que tu te prétends, serais-tu prêt à mourir pour tes convictions, ton honneur ?

Kanja lui, en était parfaitement capable, c'était même systématique : chacun de ses combats fut mené avec l'intention clair de se battre jusqu'à la mort. La défaite n'existait pas.
C'est le plus grand guerrier que le Shogunat ait connu et la rage fut sa plus grande motivation. La peur n'existait pas.
La légende raconte que son regard tétanisait les moins téméraires, « un regard de braise que même la mort n'éteindrait pas ». Partout on craignait de l'affronter, seuls les inconscient ou les prétentieux s'y aventuraient.
Pourtant, chaque guerrier qui osait le défier le touchait profondément. Il voyait en cette confrontation, bien au-delà du contexte de la guerre, la prétention d'un homme, qui se pense plus fort que lui, capable de le battre. C'est une blessure qui saigne à chaque confrontations, elle anime le guerrier d'une haine douloureuse et indomptable :
"M'a-t-il pris pour un aspirant ? Ne craint-il pas la mort ?!".
La légende raconte que plus de 100 hommes périrent sous sa lame. Sa renommé atteignit même l'empereur qui lui forgeât un katana et le fit chef des armées.
Toutefois, malgré son nouveau statut, Kanja continua d'arpenter les champs de batailles.

En quelques années la puissance de l'armée devint dominante, les principaux opposants de l'empereur tombèrent et les derniers seigneurs de nations indépendantes signèrent des accords de paix avec le Shogunat. Le temps passant, la nécessité d'avoir une armée conséquente et prête à combattre ne se justifiait plus. La menace d'un conflit majeur était peu probable et ceci, même avec les pays avoisinants. Plus loin encore la crédibilité de l'armée tomba, elle ne serait bientôt plus garante d'autorité : quel intérêt peuvent avoir des stratèges militaires ou des combattants, en temps de paix ?
Le pouvoir passa rapidement aux mains des commerçants. De riches familles se firent un nom et eurent bientôt le monopole dans les différentes contrées. Leurs influence étaient presque palpable... Auprès de l'empereur siégeait désormais un dénommé Fujiwara. Il s'était fait conseiller de l'empereur au détriment de Kanja, lui, qui malgré tout ce qu'il fût, n'était plus que l'ombre de lui même…
Kanja déplorait l'évolution de la société, que des personnes se prétendent Homme et s'érigent même conseiller de l'empereur alors que le courage même leur faisait défauts. Il voyait en ces créatures de viles esprits n'agissant que dans leurs intérêts propre et sans aucunes forme de scrupules. Il eut aimé les voir à l'œuvre, en temps de guerre, avoir la preuve qu'ils ne sont pas digne de confiance, ni même d'estime... Le courage est une vertu qui garantie toutes les autres.

Les évènement devinrent plus dramatique encore lorsqu'une nuit dans les jardins du palais, alors qu'il exposait ses craintes à l'empereur, il apprit une bien plus triste nouvelle : son maître le surnommait Kanja, L'empereur avait même fait gravé ce nom à la base de son katana (bien qu'ayant plusieurs sens, dans ce contexte, on peut attribuer le mot victime comme traduction).
"Tu es victime de ton ambition. Cette rage que tu as entretenu fait désormais ton personnage. Malgré ton glorieux passé et tes aptitudes militaires, les qualités que tu as développé ne servent plus mes aspiration". Juste après ce mot, une flèche surgit du dos de l'empereur et vint transpercer Kanja dans la poitrine. Il compris dans l'instant que c'était une tentative d'assassinat, l'empereur qui n'avait pas bougé l'avait certainement commandité…
La réaction fut immédiate, une sensation de brûlure intense se répandit dans son torse, son corps se contracta et il devait forcer pour respirer. Sentant ses forces l'abandonner il tomba vers l'avant, sa tête se posa sur l'épaule de l'empereur qui le soutint, impassible.
"Ton pouvoir et ton influence sont grands auprès des armées, je dois me protéger de toutes rébellions...".
Sa vision s'obscurcit, chacune de ses respiration était plus douloureuse... Quand d'un coup, son cœur cogna violemment : « ça ne peut pas se finir là, pas comme ça. Je ne mourrai de l'arme de personne ! ». Le battement suivant, le guerrier releva la tête. Son regard terrifiant était revenu, la flamme l'habitait, le démon n'était pas mort !
D'un même mouvement il dégaina et trancha la gorge de l'empereur.

Il prit la fuite et disparu dans les bois avant que l'empereur ne touche le sol.
Au loin dans la forêt, réfugié dans une cabane abandonnée, il cassa la flèche, retira la pointe et pensa sa blessure. La pointe devait être empoisonnée, c'était évident. Pour l'empereur, il fallait s'assurer de sa mort pour ne pas craindre la sienne…
Kanja ruminait, lui qui fût le bras droit de l'empereur, chef des armées, guerrier légendaire et craint de tous. Lui qui avait contribué au règne sans partage de l'empire, on le réduisait à un criminel, qu'on assassine ? "Je dois me protéger de toutes rébellions" c'est sûr, ces mots n'était pas de lui, ce maudit Fujiwara le tenait dans sa paume... Malheureusement, il avait tranché le dernier reliquat d'une époque révolue. Le pouvoir était désormais aux mains des marchands, l'empereur lui même était devenu un pantin. Les champs qui auparavant étaient le théâtre de batailles épiques sont désormais des cultures. Les routes qu'il sillonnait avec son armée sont aujourd'hui empruntées par des commerçants. Quelle valeur peut avoir même le plus grand des samouraï dans un tel contexte ? Le monde était dirigé par des lâches orgueilleux, qu'avait-il à prouver, lui, digne héritier du bushido ?
Alors qu'il nettoyait sa lame, il lui revint les paroles d'un vieil ivrogne croisé lors de l'achat de son premier Katana. L'homme lui demanda ce qu'il projetait de faire avec ce noble fruit de l'artisanat : "je veux prouver au monde entier, que je suis le plus grand guerrier du shogunat".
Le vieil homme rit un court instant et lui répliquât que son plus grand ennemi était l'origine de cette ambition. A cette pensée, Kanja sourit, il se dit que tant qu'il aurait des choses à prouver... il existerait des gens pour en douter.
Son ambition le mena sur les champs de batailles, il y brilla par sa hargne et son courage ; elle fit de lui le chef des armées et un être estimé de l'empereur ; adulé un temps, il était aujourd'hui une menace ; elle lui avait fait rompre son bushido mais surtout : elle avait fait de lui un rônin…

L'issue était inévitable mais pour lui une chose était sûr : il mènerait dignement son dernier combat.

Le contact froid de la lame sur son ventre le fit frissonner…
Le rituel imposait de planter la lame et trancher dans la largeur de l'abdomen puis de haut en bas.
Assis sur ses chevilles, torse nu, il prit une grande inspiration. Le regard fixe, l'air déterminé, il enfonça la lame dans son flan gauche, presque sans broncher. [Il est important de s'imaginer cette douleur qui doit-être insupportable, pour se figurer la force incroyable qui lui permet de la dominer]. Il trancha jusqu'à son flan droit en ne laissant échapper qu'un gémissement. Le sang coulait continuellement le long de la lame et sur ses mains. Sa vision devint floue et s'obscurcit lorsqu'il retira la lame. Alors qu'il l'amenait en position pour la deuxième partie du rituel, ses mains tremblèrent et il se courba sous la douleur, son front luisait de sueur et il fût pris de vertiges. Dans un effort inconcevable pour une telle scène, notre guerrier se redressa, serra le manche (le bois craqua sous la pression de sa main) et l'enfonça d'un geste vif, dans le haut de son ventre. Un cri bref s'échappa à ce moment, qu'il contrôla les dents serrés, l'instant d'après. Il saisit la lame de sa main gauche (si fort qu'il s'en ouvrit les doigts), se redressa en crachant du sang, les larmes inondait ses yeux mais il avait le regard de braise. Dans un cri puissant qui fit échos, il poussa la lame jusqu'au bas de son ventre.
A bout de forces, le corps engourdit, sur le point de perdre connaissance, il s'écroula sur son flan droit dans une marre de sang. Ses organes internes gisaient désormais sur le sol.
Cette lente et insoutenable agonie lui offrait cependant une fin d'honneur, à l'instar d'un glorieux passé, pas si lointain encore... Le courage de mille hommes n'aurait pas suffit à mener même la moitié de ses combats. Cet homme célèbre, au vécu troublant mais d'un courage légendaire, est mort seul, au milieu de la forêt. Son histoire malheureuse et étrangement inspirante lui survivra. Voilà la seule histoire qui nous fera pleurer la mort d'un démon : La mort de Kanja.
 
 
La lame de Kanja, GANDHIDE.

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