La Lune

Soda Pop

Tout était calme, et tragique. Les nuages qui s'amoncelaient depuis le début de soirée formaient une voûte sombre qui plongeait le lac dans une pénombre crépusculaire. Un ciel chargé, presque noir, dans lequel passaient des vols d'oies semi-sauvages, de canards colvert et de poules d'eau. De temps en temps, l'un de ces vols plongeait en flèche et s'abattait dans les roseaux traversant un brouillard de surface particulièrement épais.

De la fenêtre de ma chambre, j'admirais ces instables édifices que Dieu fait avec la brume. Toutes  ces expressions de l'impalpable, pleines de caprices et torturées. Mais une seule avait l'intention de me courtiser cette nuit-là ; la Lune.

Celle-ci regarda dans ma direction et se dit : « cet âme me plaît » Et elle s'arracha gracieusement de son voile de nuages pour passer sans bruits à travers les vitres. Puis elle s'étendit sur moi avec la tendresse légère d'une mère et déposa ses couleurs sur mon visage. Mes prunelles en sont restées vertes, et mes joues extraordinairement pâles.

C'est en contemplant cette visiteuse que mes yeux se sont si étrangement agrandis ; et elle m'a si amoureusement serrée à la gorge, dans sa douceur immense, que j'en ai gardé pour toujours l'envie de pleurer.

Cependant, dans l'effusion de sa joie, la Lune remplissait toute la chambre comme une luciole libérant son trop plein de luciférine en un feu d'artifice de lumière vivante; et toute cette clarté phosphorique pensait et disait : « Tu subiras à jamais l'influence de mon baiser. Tu seras le prince des hommes aux yeux verts dont j'ai serré aussi la gorge dans mes douceurs nocturnes. Tu aimeras ce que j'aime et ce qui m'aime : l'eau tumultueuse, les nuages, le silence et la nuit, la mer immense et verte, les fleurs prodigieuses, les chats qui se pâment sur les toits et qui geignent comme des femmes d'une voix rauque et douce, le lieu où tu ne seras pas, les parfums qui troublent la volonté, les animaux sauvages et sensuels qui sont les emblèmes de leur folie. Et tu seras aimé de mes amants, courtisé de mes courtisanes ! ». « Et c'est pour cela, maudit enfant privilégié, que je suis maintenant étendue à tes pieds, cherchant dans toute ta personne le reflet de la nurse empoisonneuse d'âme sensible et pure ! »

 Depuis cette nuit, je me nourris de sa présence éternelle et miraculeuse, de sa grandeur, de sa beauté, de sa gloire et de tout ce qui fait croire en l'immortalité…    


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