la maison de saint prix

Yodette

Une maison carrée. A l’étage, deux chambres, un double séjour, une cuisine, une salle de bain. En bas, un garage, une cave, une chaufferie, un atelier et un débarras. Autour, un grand terrain avec un grand chêne et quelques arbres à fleurs.

 Quand est ce que tout cela a commencé ? A l’abatage du grand Chêne.

 Mon Grand Père qui vivait seul dans la maison avait peur de voir le chêne s’effondrer sur la maison et sans aucune autre forme de procès, l’a abattu. Lui, le grand Chêne de mon enfance. Celui au pied duquel mon grand père, encore fort, coupait du bois. Celui au pied duquel il faisait brûler les feuilles mortes à l’automne, créant ainsi les cendres dans lesquelles ma cousine et moi, petites filles gardées par nos grand parents aimions enfuir les noisettes afin de les croquer toutes chaudes. Il y avait aussi les chenilles noires et jaunes que nous récupérions dans le jardin et que nous ramenions dans notre chambre pour l’élevage. Notre chambre, qui était celle de nos mères et que nous occupions à chaque période de vacances. Quand je dis nous, je pense ma cousine, moi et nos barbies. Une à chaque anniversaire, et aussi à Noël : c’était le seul cadeau que je souhaitais…

Parfois, pendant ces vacances de toussaint, où le temps de l’île de France ne permet pas de jouer dehors, nous entreprenions de partir en exploration dans cette maison. Le grenier, véritable machine à remonter le temps, nous a ramenées tout droit dans les années 60.  De vieux bigoudis, un casque chauffant, des poupons aux cheveux en plastique dur, un mannequin de couture …quelles trouvailles ! La collection de porte clés de ma mère, une photo de nos mères en pat’ d’eph’ sur une moto et voilà nous avons recréer l’ambiance d’une époque : celle de la vie heureuse d’une famille en banlieue.

Maintenant que je suis grande, je crois que Grand-mère a souvent regretté de quitter Paris. PARIS, la-ville-où-il-y-a-tout. Eux qui habitaient dans le Paris des années 50, rue de la goutte d’or. A l’époque, le quartier était différent et mes grands parents ont eu ici leurs deux filles. Et puis un jour mon Grand père a décidé. La famille quitterai Paris et irait vivre en banlieue : à Saint Prix, dans le val d’Oise. Fini les immeubles haussmannien, voici le pavillon, fini les petits commerces, voici l’hypermarché. Mon Grand père, ingénieur chez Talbot, travaille. Ma Grand-mère, élève ses deux filles. Les filles grandissent, sortent, fréquentes, puis épousent des garçons de la banlieue. D’un coup la maison de Saint Prix se vide. Puis, tous les trois mois, elle se remplit avec de nouveaux sons. Des rires cristallins, des poupées : ma cousine et moi, du même age, investissons les lieux. Ma Grand-mère trop heureuse, nous emmène dès qu’elle peut, prendre le train : et nous passons de hauts immeubles, de vieux murs de pierre, des rails, quelques grafitis, puis nous sortons de la gare : et là c’est le Paris autour de la gare du Nord dans les années 80. Un souvenir très fort est celui que ma grand mère adorait se déguiser ; et les boutiques de déguisement autour de la gare sont nombreuses. Des masques en plastique à l’effigie de nos héroïnes préférées : blanche neige, ou autre…voilà ce que ma grand mère ne manquait jamais de nous offrir. Le samedi, c’est toute la famille qui se retrouvait dans la maison. Mon Grand père, ma Grand-mère, leurs filles, et leurs familles respectives composées d’un mari, de filles aînées et de fils cadets. Dix au total. Nous étions dix et tous les week ends, le rendez vous était pris et jamais manqué. Le chêne est là, et sous son ombre bienveillante, dort la caravane pour les vacances.

Puis petit à petit, tout glisse. Ma grand-mère atteinte de la maladie de Parkinson ne verra jamais l’an 2000. Mon Grand père se retrouve en patriarche bienveillant sur la famille, et celle-ci se ressert autour de lui. Puis, voilà, les choses commencent à changer de façon infime, imperceptible. La marche implacable du temps et les changements qu’il amène s’amorce. Tout à coup, on trouve que la maison a besoin de quelques réparations. Un matin, on se surprend à se délecter de replonger dans la collection de vinyls ou celle de CD qui n’a pas changé, pas évolué depuis des années. Bizarrement, on trouve que la télé est énorme, cubique. Ca nous choque ; et puis, les casseroles, Dieu qu’elles sont lourdes ! en fonte et en acier : on a plus idée de faire des casseroles pareilles aujourd’hui. Et puis un jour on s’aperçoit que c’est la maison le problème.Une maison construite tout à l’étage, avec un escalier en béton. Comment voulez vous être serein quand votre aïeul habite une maison inadaptée et dangereuse pour lui ?

Enfin, un soir, la vie reprend ses droits et tourne la page pour vous. Les moments tristes arrivent et c’est le grand ménage. Le dernier dépoussiérage de la maison qui en livrant ses secrets refait vivre une dernière fois les émanations du passé.

Un brocanteur passe et ne laisse rien d’autre à ma mère qu’un stylo pour signer l’acte de vente de la maison de son enfance, le projet de vie de ses parents, et le cœur de notre passé.

Demain, une nouvelle famille venant de Paris à la recherche de plus d’espace pour grandir prendra possession de la maison pour y écrire une nouvelle histoire.

Oui, la page a commencé à tourner à l’abattage du grand chêne.

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