La minute ennuyeuse de Monsieur Parfait

corinne

Et voilà, tu es contente?

Par ta faute, je vais devoir subir une minute ennuyeuse dans ma vie parfaite jusque là. Déjà que tu m’obliges à écrire moi qui déteste, moi qui ai au demeurant une voix de ténor irrésistible. Mais si je te concède l’aumône de quelques paroles, tu vas pleurnicher sans fin sur mes Weston, te pendre au revers de mon veston Gucci, t’agripper au pli de mes pantalons de tweed. Hors de question de tacher l’étoffe de tes larmes mouillées ou de la froisser de tes mains pleines de doigts rognés.

Vraiment avec ma tachycardie, je ne me sens pas de supporter tes reproches pitoyablement éculés, totalement infondés, tes jérémiades et cris inutiles à hérisser mes oreilles sensibles de mélomane. Ce soir, je brillerai à la générale de Tosca à l’Opéra Garnier, où la jet-set et les télévisions du monde entier pourront apprécier l’éclatant sourire de mon légendaire fair-play. Il me tarde. Dommage, je n’ai pu obtenir d’entrée pour toi, représentation réservée aux VIP. Tu regarderas sur ton écran, ça t’occupera.

Que fais-tu d’ailleurs ce soir? Tu vois que je me soucie encore de toi alors que plus rien ne m’y oblige. Qui es-tu pour moi, au fond? Ah si je n’étais pas là, ma pauvre fille… Comment vas-tu te débrouiller sans bouder et me harceler en rentrant du travail, sans ton passe-temps favori: gâcher mon yoga ayurvédique ou l’écoute d’un bon vieux cool jazz. Heureusement les boules Quiès atténuaient sans que tu te doutes tes propos véhéments de vipère avant que tu daignes préparer le dîner. Je regrette déjà ta canette aux mangues et ton tiramisu parfumé au Marsala. Tant pis. Regarde-toi, tu n’as jamais su garder ton self-control, faudra faire un effort si tu veux progresser. Je me tue à te le dire: ouvre tes chakras, fais-moi plaisir! Enfin ce que j’en dis, c’est pour toi.

Ton numéro de ventriloque gesticulant me distrayait, j’en ris encore. Très au point, ce pantomime. Tu pourras le tester sur le prochain. Si tu retrouves quelqu’un, j’entends. Arrange-toi un peu, tu pourras prétendre à un homme simple, moyen, évidemment loin de ma perfection mais bon… Tu auras connu l’extase grâce à moi. Modestement mais je reste lucide, mon exception confirme la règle de ta vie ordinaire. Tant de gens hélas végètent comme toi, ça me désole, me consterne même lorsque je les croise durant mon jogging au Parc Monceau. Vous courrez tous après des métros et des montres comme de ridicules fourmis, et pourquoi hein?

Oui je pars, tu ne me donnes pas le choix. Mais sache qu’il m’en coûte de devoir trouver dès ce soir une fille belle forcément, disposant d’un appartement aussi bien situé que suffisamment spacieux pour mes précieuses affaires. Tu veilleras d’ailleurs à ce qu’elles soient correctement emballées et livrées à l’adresse que je t’indiquerai. Pour l’heure, je descends prendre l’air et dire adieu à ce quartier que j’aimais tant, à la boulangère et au libraire qui me manqueront.

Quant à mon chien, ne vas pas le traumatiser après mon départ avec ta mine déconfite qui fait pitié. Un peu de tenue, que diable! C’est stressant pour lui, faut le ménager sinon tu seras obligée de le faire suivre par un psy. Aïe, ça te coûtera la peau des fesses. Mieux vaut le laisser dormir dans le lit -toi dans le sofa- pour qu’il se fasse à l’idée que je suis parti. Le pauvre va sans doute espérer mon retour. En vain. Ca me crève le cœur de lui faire ça. Mais la garde alternée nuirait trop à son équilibre psychique. Tu me l’amèneras un week-end sur deux. Conseil d’ami, n’oublie pas sa promenade de 23h sinon tu peux dire adieu à ton tapis Berbère que je détestais, je peux bien te l’avouer aujourd’hui. Dieu m’est témoin que par tact, je ne voulais pas te faire de peine. Mais tes goûts sont à hurler. Fallait que je t’aime pour supporter cette déco à la Valérie Damidot! Enfin ce soir je respirerai mieux dans un autre univers, plus reposant pour ma vue.

Ultime chose attention, tu seras dehors à mon retour de balade. Tu ne t’humilieras pas ainsi avec une scène déplacée. Une once de pudeur ne nuit pas. Je ne te fais pas l’affront de rester alors que tu me sors des yeux et que tu m’indisposes, or donc ne me fais pas celui de rester après avoir plié dans le sac Vuitton un smoking, mon pyjama de satin Lanvin et ma brosse à dents avec mes initiales. Tu le laisseras en vue. Demeure digne surtout, je compte sur toi, petite. Et même s’il semble impossible voire inconcevable d’oublier un homme tel que moi, tu prendras sur toi. Faut souffrir pour être belle alors ça ne peut que t‘arranger non? Tu devrais me remercier. Afin de te consoler de ma perte, pense à mon bonheur, dis-toi que je serai libre et joyeux dès la fin de cette lettre pénible. Bref, tutti va bene!

Allez je t’embrasse… quand même va. Tiens, je laisse ma photo sur ton chevet pour que tes lèvres frôlent mon beau visage avant de t’endormir. Si tu y parviens. A défaut de robe, blanche sera ta nuit. J’ai beaucoup d’humour!

Je t’envoie demain par sms ma nouvelle adresse, on s’appelle pour le chien. Ciao.

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