La robe verte

louison-ty

Les retrouvailles avec le jardin de mon enfance.

Mes pieds, orphelins de tout ornement, foulent les gravillons. Mes plantes les écrasent sans peur. 

Je suis de retour au jardin. Je suis la plus vieille fleur à présent, l'inconnue parmi les coquelicots

Je prends mon temps pour poser mon derrière. Délicatement pour ne pas la surprendre, le temps qu'elle se souvienne.

Enfant, l'herbe me fascinait. Je me jetais dedans, mes genoux se teintaient de vert fluo, rapide comme un coup de feutre. Ma jupe, mon short, peu importe l'habit, venait se froisser sur les centaines de membranes qui résistaient à ma force agitée. 

A cette époque je ne prenais pas le temps. Je me roulais, j'enfouissais mon visage dans l'espace microscopique à la recherche de fourmis et inspirais l'air terreux jusqu'à bout de souffle. Ma peau frissonnait sous la fraicheur végétale, elle faisait des bulles de plaisir dressant mes poils en étendards. Puis, après les ébats, elle se tendait, piquait, grattait. Ma mère devait me couvrir de crème épaisse blanchâtre en me bercant de conseils pour ma peau trop sensible, atopique, disait le médecin de famille. Je regardais les marques des brins d'herbe encrées dans mon pelage se couvrirent d'urticaire. Je ne lui en voulais pas, moi qui venais la blesser à main nues tous les jours. Et tandis que l'on massait mon cuir, je voulais m'y rouler encore, une dernière étreinte, encore une fois.

Mes mains sont plus dures qu'alors, plus sèches. Je les laisse s'enfoncer dans la terre dans laquelle je jouais à cacher mes trésors. Mes ongles, ma bague, j'enfonce tout mon épiderme et ses accessoires pour y disparaître. Je courbe le dos, je penche le cou vers le ciel, pour lui faire face. Mon coeur est droit vers lui et mon regard se perd dans le bleu azur qui n'existe nul part ailleurs que dans ce jardin. Mes cheveux ne touchent pas encore le sol. Ils sont trop courts à présent. Je me souviens de ma traditionnelle tresse africaine qui tirait mon crâne endolori et liftait mon front pour faire de mes yeux deux traits tendus. Je ressemblais à une poupée russe me disait-on, alors que je voulais simplement délivrer tout ca dans le mistral. 

Mes bras tendus se dénouent pour atterir sur le terrain vert. Je ne regrette pas mon gilet laissé dans la voiture. Ca me chatouille sous l'aisselle droite. Une petite fleur jaune se tortille pour se libérer de mon embrasse et je la laisse s'échapper la tête la première vers le soleil. C'est une de ces fleurs que l'on se colle sous le menton pour y découvrir un jaune vitrail. Dans la cour d'école la légende racontait que plus la tâche était forte plus nous aimions le beurre. Nous laissions la nature être maître. Nous n'avions pas encore tout décidé. Je connaissais pourtant mon goût pour le beurre, le salé à gros grains craquants, mais j'attendais toujours le reflet, je réessayai à chaque cueillette. J'attendais, les pétales appliquées sous le menton, la réponse de ma copine, la décision de la fleur.

Je la laisse vivre cette fois, pour toutes les autres que j'ai violemment déraciné pour l'expérience. Je fais glisser mes doigts sur sa tête. Elle se plit légèrement, aussi douce que dans mes souvenirs, aussi joyeuse que nos rires d'antan.

Maintenant, c'est tout mon corps qui est étendu. De ma joue, tournée vers le fond du jardin, jusqu'à mes jambes et pieds nus, l'herbe me caresse, m'effleure. Elle tangue, vrille, coule sous les remous du vent pour dessiner les contours de ma robe.

C'est à une autre échelle que je découvre mon enveloppe. Les arbres ont grandi eux aussi, certains se penchent tels des vieillards fatigués près à se briser. Nos écorces s'effritent ensemble dans un jardin de vestiges qui n'a rien d'éternel.

Je place mes bras en croix, je m'offre tout entière, j'ouvre mes jambes pour laisser l'air printanier s'engouffrer dans mes cuisses. Je me surprends à rêver que je suis un serpent, que cette pellicule va se détacher pour me libérer des fardeaux. Ne restera qu'une mue à la tête blondine, quelques épluchures. Je laisserai ainsi ma peau à cette herbe et cette terre. A eux qui m'ont pris dans leur bras sans fatigue, sans rechigner, à eux qui n'ont pas changé. Je serai un peu eux aussi, je serai là, à jamais. Dans ce coin de paradis qui conserve toutes mes joies avant l'orage, tous les regards avant les jugements.

Le moteur se met en marche derrière le petit portail de bois blanc. 

Je frotte mes bras avec argne, je raye mes genoux passionnellement dans une dernière étreinte. Je te blesse une dernière fois, pour une ultime assemblée.

Sur le chemin du retour, la voiture est lourde de mélancolie. Je remonte ma jupe et mes manches de coton. Les stigmates de tes brindilles sont là, les rougeurs apparaissent et la voix de ma mère s'élève.

Je m'endors en sourire.

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