La Sentence

aziraphale

Tic tac. Clac, clac, clac, dring !

Ce serait bientôt l'heure. Il le sait, il l'attendait. On avait fait amener, spécialement pour l'occasion, une petite horloge électronique en plastique rouge vif, qui affichait l'heure, les minutes et les secondes, et même le jour le mois et l'année dans un cadran numérique aux chiffres blanc sur fond noir. La petite horloge rouge égrenait le temps, qui, il l'avait toujours pensé, était un sacré morceau souvent beaucoup trop long : la petite horloge se chargeait de découper en plus courts morceaux de temps, forcement plus facilement supportables. On se prenait à attendre la prochaine seconde, pourquoi pas la prochaine minute ? Et puis d'un coup c'était l'heure qui était passée, le jour derrière nous.

Au tout début, il n'aurait jamais pensé, non, jamais, que ça puisse finir comme ça. Il avait fait le fier devant eux, bombé le torse en défiant l'assemblée comme le coq qu'il était. Il s'était expliqué, avait justifié chacun de ses actes avec un sourire provocateur, tout confirmé, même certains faits dont il n'était pas réellement l'auteur. Il avait soutenu avec l'assurance de celui qui sait que grâce à lui, de nouvelles choses, de grandes choses, prendraient naissance grâce à ses actes. Il créait un précédent -un antécédent !- pour d'autres, et si l'assemblée ne pouvait pas comprendre cela, peu importait, elle ne le subirait que plus fort, plus tard. A chacune de ses phrases, il avait planté son regard sur chacun de ses auditeurs, de ses juges, sans aucune exception, tour à tour, avec la rigueur implacable de l'horloge et une insistance presque inquisitrice, en revenant immanquablement sur celui, cet homme en manteau rouge et au regard si fatigué, qui prononcerait, d'une voix qui n'admet aucune divergence, l'avis final -sa relaxe, il en était sûr- avec peut-être même des excuses publiques et des remerciements pour ses actes héroïques. Mais il se trompait, bien évidemment.

"Coupable. Avec circonstances aggravantes. Appliquez la Sentence."

Le premier mot ébranla son univers. Les trois suivants émiettèrent ses fondations, et les trois derniers le réduisirent à néant. Il ne fut d'un coup plus qu'un homme, non un héros, un homme trahi, trahi par ce qui lui semblait être le monde entier, une totale et unanime trahison, quand il vit que personne dans l'assemblée ne semblait vouloir protester contre la sinistre sentence, que tous approuvaient, au fond de leurs yeux, qu'il soit condamné, lui. Lui, qui avait agi pour eux, à la place d'eux ! On l'avait emporté, presque trainé, et il se laissa faire, muet, ses yeux exorbités par l'incompréhension. On le jeta dans une cellule, quatre mur, un lit et un lavabo, pour y attendre la Sentence. Ce qu'il fit, des jours durant. Il avait oublié combien, malgré la régularité presque maladive de son horloge. Il savait juste qu'il attendait la Sentence.

Et la Sentence, c'était aujourd'hui : la petite horloge en plastique rouge vif ne saurait mentir. Il se leva, tentant tant bien que mal d'avoir l'air, sinon digne, au moins vivant, quand le bourreau, un grand être malingre, à la limite de l'existence, fit interruption dans la cellule, pour l'emporter. Il se laissa menotter sans la moindre réaction, tendant même les poignets.

On le fit marcher dans de longs couloirs gris, sans portes ni fenêtres, avec pour tout éclairage, à intervalles réguliers, de pâles néons aux airs maladifs et aux lumières clignotantes, et, parfois, une lampe à incandescence aux fils dénudés, presque absurde de par sa lumière tout juste jaunâtre et son allure ronde. Au bout d'un couloir, se découpa la silhouette sombre d'une porte métallique. Le bourreau ouvrit la porte avec l'air de Charon qu'on aurait obligé à pousser seul la porte du Tartare, et fit rentrer le condamné dans une grande salle ronde, dont les murs courbes semblaient presque brulants à force d'être blancs et immaculés. Au centre, un fauteuil de bois, élégant de sobriété, juste verni, visiblement totalement neuf.

"Coupable ! Asseyez vous. La Sentence va être appliquée."

Il s'assit, posa ses mains sur les bras de bois, son dos sur le dossier lisse. Le bourreau vint alors à lui, et, solennellement, lui remit un petit objet rectangulaire, couleur de sang, qui affichait des nombres figés. La petite horloge en plastique rouge vif, qui semblait être arrêtée sur un décompte de cinq secondes. A la fin de ce décompte, qu'il devrait actionner lui-même, la Sentence aurait lieue. Quand il pressa son index dessus, le bouton-poussoir fit un petit...

Dring. Tic... Tac. Clac, clac... Clac !

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