La solitude d'une coureuse de fond.

Anne

Un jour on m’a donné ce conseil : « Si tu es triste, cours un bon coup. C’est un vrai remède à la douleur. »

Le moment venu, j’ai suivi le conseil, et… j’en ai fait un texte !

Tracer, courir le long des murs de la ville. La langue pendante, les flancs battants. Courir, courir encore. Tousser, étouffée par l’air qui viole mes poumons, de la trachée aux artères en ramonant des alvéoles qui n’en peuvent plus.

Courir à perdre haleine pour échapper à la peine, courir pour me désembourber de mon chagrin en détalant devant lui comme un animal traqué.

Me faire mordre par le froid de la nuit, forcer mes limites afin d’avoir mal à autre chose qu’à mon cœur, me distraire de l’indicible chagrin, chercher une autre douleur bien réelle, physique. Que la chair se révolte pour étouffer les cris de l’âme. Rompre mes os, rompre ma peau, changer de douleur, troquer mon corps contre mon cerveau et lui trouver des limites pour qu’à son tour il me fasse mal.

Je tombe.

Je suis tombée sur le pavé. L’incommensurable peine alors s’arrête, interloquée. Elle se fige, regarde la blessure, observe le sang couler.

Mon cœur s’arrête, j’ai changé de douleur et j’observe ma carcasse qui prend le relais. Brave petit soldat qui part au front à la place de mon âme.

Je me suis faite mal. J’analyse la montée de cette autre souffrance bien tangible et, dans l’accalmie, je souris. J’aperçois mon reflet dans la vitrine d’un magasin d’électroménager. Mon rimmel a coulé, des perles de sueur ont capturé des mèches de cheveux pour les tatouer sur mon front en de désordonnées arabesques. «C’est donc moi ça ?». Je reconnais mes traits. Cette désarmante familiarité ôte tout dramatisme à l’image. Ce chemisier, je l’ai mis ce matin. En un éclair, je revois les tiroirs de ma penderie. Bien rangés ils comptent sur moi pour que je continue à les alimenter avec d’autres effets sagement pliés. Je me ressaisis et remets mes cheveux en ordre. Oui, j’ai vraiment l’air d’une folle.

Je regarde autour de moi. La rue suinte de solitude, elle aussi. La rue c’est ma copine, elle me comprend. Je vais l’arpenter gentiment maintenant, arrêter de marteler ses pavés de mes talons abrupts, de courir comme une démente à la recherche de sa raison. Je boite un peu, ma tête s'est vidée d'un coup, mes poumons ont repris du large, mais ma gorge brûle encore de ma course…

Alors enfin, dans le calme revenu, comme un miaulement qui se libère, j’entends s’élever en moi un nom, son nom. Cet assemblage de lettres qui donne vie à l’absent et que je n’ai pu prononcer jusqu’alors.

Le vide qu’il a laissé dans mon cœur, fait écho à l’enfant qui pleure en moi. Et mes larmes enfin trouvent leur chemin pour couler, en fines rigoles, paisiblement, le long de mes joues…

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