L'Afrique, il y a une application pour ça.

anonymeparisnord

Chronique "Dans la tête de Steve Jobs"

J'ai peur.

Alors que Steve Jobs présente aujourd'hui la nouvelle version de son assistant personnel intelligent Siri, je ne peux m'empêcher d'être septique.

Siri est aujourd'hui une intelligence artificielle à part entière, capable de raisonner plus vite que n'importe qui. Il n'est plus ce logiciel idiot qui vous donne la météo. Dorénavant, vous pouvez simplement lui demander oralement quelque chose et il vous donnera la réponse immédiatement. Demandez-lui comment l'univers a été crée, comment fonctionne l'électromagnétisme ou encore comme séduire une femme et il vous répondra plus vite que Google. Siri est un cerveau portable. Siri se propose de penser à votre place, vous évitant ainsi de trop vous fatiguer. Cette nouvelle version du logiciel intelligent d'Apple traite d'une question les plus sérieuse : le solutionnisme voulu par les 4 fantastiques de la Silicon Valley que sont Google, Amazon, Facebook et Apple. Ce Siri est présenté comme une révolution par Steve Jobs et démontre la véritable idéologie des géants comme Apple : pour tout problème il existe une solution.

Un algorithme pourrait-il anéantir la misère ? Cette effervescence d'applications avec lesquels nous vivons aujourd'hui sont-elles réellement un progrès pour l'homme ? Randi Zuckerberg, l'ancienne  directrice marketing de Facebook s'enthousiasmait il y a quelques années pour Seesaw. Cette application permetait de demander l'opinion de tous vos amis via des sondages instantanés, pour la moindre des décisions que vous aviez à prendre dans votre vie : de la robe que vous devez acheter pour la soirée de samedi, à la boisson que vous devez commander...avant peut-être, demain, de savoir quel candidat politique soutenir. A première vu, cela semblait être une excellente idée d'accompagner une personne. Mais pourquoi empêcher l'individu de prendre une décision lui-même ? Un individu se façonne et se forge suivant ses propres choix qu'il fait tous les jours. Si une ou plusieurs applications tel que Siri viennent se substituer à ces choix, qu'en est-il de notre responsabilité ? C'est bien l'angoisse de la décision qui fait de nous des individus responsables. Cette affirmation n'a pas sa place du coté de chez Apple. Siri est l'aboutissement d'applications comme Seesaw.

Le nouveau logiciel Siri est maintenant une personne puisque les utilisateurs commencent toujours par dire "Dis moi Siri ?". Apple souhaite avec Siri démocratiser l'intelligence artificielle. Ici encore le but est d'apporter des solutions rapides à ses utilisateurs, sans même que ce dernier n'est à s'employer intellectuellement. D'un coté on pourrait voir cela comme la connaissance à la portée de tous où Apple se positionnerait en nouveau prophète de la connaissance, mais d'un autre coté cette direction amène l'ordinateur à prendre la place de l'individu. Au commencement de l'ère numérique, l'ordinateur et la machine plus largement était un outil pour l'homme. Dans l'optique de rendre un ordinateur plus intelligent, plus rapide et plus logique qu'un individu, ce dernier n'aurait plus à réfléchir ni même à raisonner, la machine ferait tout à sa place. Je ne peux m'empêcher ici de faire le lien avec cette scène finale de "2001, l'Odyssée de l'espace" de Stanley Kubrick en 1968 où l'ordinateur central HAL commence à ressentir des des émotions humaines et supplie l'astronaute Dave Bowman de ne pas le débrancher, pendant que celui-ci fait son travail avec une froideur machinale.

Tentez d'apporter une solution à tous les problèmes du monde pourrait donc aussi conduire à son déclin. Dans le monde de "2001, l'Odyssée de l'espace" les hommes sont devenus si semblables aux machines que le personnage le plus humain se trouve être une machine. C'est l'essence de la sombre prophétie de Kubrick : à mesure que nous nous servons des ordinateurs comme intermédiaires de notre compréhension du monde, c'est notre propre intelligence qui devient semblable à l'intelligence artificielle. La prophétie de Stanley Kubrick n'est plus de la science fiction aujourd'hui, nous sommes en plein dedans. Il n'était pas le seul à comprendre cela avant tous les autres. 

Evgeny Morozov, essayiste décédé depuis plusieurs années a longtemps revendiqué son scepticisme envers le solutionnisme d'Apple. En 2013, alors d'un passage dans notre capitale, Morozov affirmait : “Si vous avez tendance à oublier des choses, Apple veut vous offrir une application pour vous souvenir de tout… S'il vous arrive parfois de tergiverser (…), une application sera capable de montrer les incohérences de votre comportement pour que vos interlocuteurs sachent si vous dites la vérité… Si vous rencontrez une gêne quand vous rencontrez des gens ou des choses qui ne vous plaisent pas, un autre gadget peut vous vous épargnez cette douleur en les rendant invisible. Ensoleillée, lisse, propre… avec Apple à la barre, votre vive ressemblera bientôt à une longue autoroute californienne.”

Le solutionnisme vu par Steve Jobs reconnaît les problèmes comme des problèmes sur la base d'un seul critère : peut-on les résoudre par une solution technologique propre et agréable à notre disposition ? Pour Apple, tout ce qui doit pouvoir être perturbée doit l'être, même ma mort. Apple serait en train de fabriquer des lentilles intelligentes qui effaceraient les sans-abris de notre champs de vision. Formidable idée, à moins que vous soyez vous-même sans-abris. 

Sur cette longue autoroute californienne dont parle Morozov, se dressera bientôt des panneaux publicitaires géants avec comme slogan "La réalité ? Quelle déception !". Oui, j'ai peur.

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