Le Méandre Bleu

aeden

« Moi, le méandre bleu qui vers le ciel se tord,

Me plonge en une extase infinie et m'endort... »

« Il y a ce corps, d’abord, allongé sur le sol et dont les membres, soigneusement désarticulés, semblent tendre et défaillir vers quelque liberté. Il y a ce corps, et, d’une certaine façon, je crois que c’est assez. Qui douterait de cela ? J’ai, au fond du ventre, l’impression farouche que ça ne suffit pas. Que voudrais-tu savoir ? Le parfum de la lumière ou la couleur des sons ? Qu’espères-tu trouver un jour sinon quelque autre cadavre putréfié sur ta route ? Il est loin le temps des pieds nus le long des chemins, le môme, il est loin le temps des amours folles dans les cours de récréation. Sous la couleur dorée de sa peau, c’est un cimetière que tu as trouvé, le môme. Qu’espères-tu encore ? Je pourrais te dire les contes inénarrables, je pourrais t’inventer des fables, te faire rêver, t’effrayer à te faire hurler, je pourrais, mais ça ne compte pas. Tu as le regard fuyant et sous ton visage jeune, tes joues roses et tes cheveux fins, ne vois-tu rien venir ? Tu as tout essayé. Soyons franc, regarde-toi en face. Quoi ? Il n’y a plus aucune excuse, plus aucun prétexte qui ne pourrait te protéger, ta psychologie donne dans l’absurde et, comme un métronome usé, tu t’essouffles et tu t’épuises, le môme. Vas-y, hurle que tu t’en fous. Moi, tout ça m’agace. »

C’était le délire, vraiment, un incroyable foutu bordel qui s’est, en une seule seconde, enfoncé dans nos vies jusqu’à nous faire chavirer. J’ignore le nom de cette chose, j’ignore sa définition même sinon qu’elle fout tout en l’air d’une façon spectaculaire. Pourtant, dans mon excitation naissante ou dans la lueur de mon œil, je sais bien que, quoi que j’en dise, j’étais exalté. « Le méandre bleu qui vers le ciel se tord ». Nous étions immortels, nous étions beaux. Rien d’autre ne comptait sinon que de vivre heureux, rassasié : nous avons joui, tant de fois. Cette vie-là, c’était comme un orgasme répété, fulgurant et rythmé, qui, chaque fois qu’il semblait s’éteindre, repartait de plus belle. Nous avons été pulvérisés par le rythme de ces nuits-là. Eux, moi, ce qu’il restait de nos projets, de nos rêves, ce qu’il restait du nous au-dehors de nous. Nous avons tout obtenu parce que nous avons tout risqué alors, dans la confidence de nos nuits partagées, nous avons été heureux, libre ; nous avons joui, nous avons joui tant de fois.

C'est vrai, j’en n’ai rien à foutre d’être ce môme-là. Je me fous de tes avertissements, je me fous de la mélancolie latente qui s’est fichée au cœur de mon existence jusqu’à faire de mes rares émotions de constantes résurgences d’un idéal démoli. Tu veux la vérité ? C’était grandiose, j’ai pris plaisir à ruiner toutes les choses qu’on m’avait averti de préserver. Je n’ai besoin de personne, je n’ai besoin de rien, si tout ceux que tu me proposes, si tout ce que tu m’apportes, ne rivalise pas avec ces nuits-là. Peux-tu promettre un feu d’artifice entre mes reins ? Peux-tu m’apporter l’infini sur un plateau ? J’avais dans les yeux tellement d’étincelles, j’ai vu l’infini mille fois dessiné dans son dos humide et parfois même, ce méandre bleu qui vers le ciel se tord.

Qu’as-tu à répondre à cela ? Crois-tu que l’équilibre m’intéresse ? Crois-tu que tu pourrais me rendre heureux ? Moi, je fume au nez des dieux de fines cigarettes et je me fous d’avoir raison, je me fous pas mal d’avoir tort. Tu ne pourrais pas comprendre ce que c’est, toute ta stabilité est basée sur l’absolue certitude que ces émotions-là ne sont que des illusions.

Je me fous des illusions ; tout ce que je veux, c’est signer ma perte, et, coûte que coûte, comme ce méandre bleu, vers le ciel me tordre.

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