LE MUGUET

Camille Arman

LE MUGUET


Le 1er mai,  elle adorait. Ce jour-là, ses parents s'extirpaient des tours pour aller cueillir le muguet au fond des bois avec un collègue de travail prénommé Gaston. Ce qui amusait Célia à cause de la chanson « Gaston y’a l’  téléfon qui son et y'a jamais person qui y répond ! ».

La famille se levait aux aurores, déjeunait rapide, prenait le premier train vers la Gare de l'Est, puis direct à pied jusqu'à la gare du Nord. Ils étaient habillés comme des ploucs : vieux sac à dos, béret et pataugas pour le père, pantalon moulant les formes généreuses de la mère, survêtement orange pour Célia.

Alice et Gaston chantaient en chœur pendant tout le trajet, « Tout ça parce qu'au bois d' Chaville y'avait du muguet ». On n'y échappait jamais. C’était faux, c'était gai. C'était comme un rite, un hymne au muguet. Cela ne faisait de mal à personne sauf à nos oreilles trop sensibles, alors on se taisait, papa et moi. On souriait. De la joie simple des gens simples qui vont aux bois.

A peine descendus de la petite gare, on passait sur la tombe de la mère du collègue. Célia allait chercher «  à boire pour les fleurs » au robinet. Cela lui laissait le temps de regarder les tombes. Les plus fleuries étaient les plus récentes.  Après, on devait s'habituer...

Elle laissait l'eau glacée glisser sur ses paumes : extase totale....Puis elle se reprenait, allait porter le broc aux adultes.  Dans ce décor bucolique, rien ne l'atteignait.

Le cimetière était à la lisière de la forêt. A cette époque de l'année, le soleil brillait, les oiseaux amoureux chantaient, se répondaient. Le temps de l'hommage à l'ancêtre décemment passé, on allait gambader derrière les arbres, histoire de trouver les petites clochettes blanches.

Ce qu'elle aimait, c'était sentir l'odeur de la terre humide, c'était regarder le soleil percer à travers les futaies, c'était courir entre les arbres, jeu innocent, jeu interdit les autres jours de l'année.

Ce qu'elle aimait, c'était s'arrêter pour ne pas effrayer le coucou qui chantait, si mélancolique. Sa question lancée comme une invite à laquelle personne ne répondait...

Ce qu'elle aimait, c'était regarder les fougères, les mousses et les jacinthes bleutées. Elle ne les cueillait jamais, les délaissait vite afin que sa mère ne vint jamais les dévaster. Alice avait une sainte horreur de voir toute chose en liberté.

Extrait de "Chrysalide" Camille Arman, ed Carrefour du Net, 2012

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