Le rêve d'une petite soeur

Zoé Winter

Elle est contente que l'enfant ait un horizon vers lequel se tourner, pour ne pas regarder la saleté à ses pieds.

Thème : voyage

Contraintes :

Mots obligatoires : échiquier – vent – mal de mer

Phrase d'intro : un jour, je prendrai le large


 10/04/24


 – Un jour, je prendrai le large ! avait-elle affirmé tout sourire, les fossettes creusées, ses grains de beauté comme des étoiles.

Sa grande sœur avait acquiescé, contente que l'enfant ait un rêve, un horizon vers lequel se tourner, pour ne pas regarder la saleté à ses pieds. Elle lui avait demandé où elle comptait aller, et elle avait répondu très sérieusement :

– Chez mon amie, elle a récupéré des mangues.

La grande sœur avait éclaté de rire.

– Quand tu seras grande, banane ! Où iras-tu ?

– Je ferai le tour du monde, pour commencer. Voir les grands bâtiments dont on parle tout l'temps. T'sais, le pont en Chine…

– La muraille de Chine ?

– Ouais ! Et plein d'autres trucs super grands et tout !

Elle s'interrompit lorsque sa grande sœur lui versa de l'eau tiède sur la tête, frottant doucement ses cheveux.

– Et après… Avec tout le monde, on s'installera dans un endroit tout vert, avec des arbres et plein d'animaux. Il y aura plein de fruits et légumes et d'la viande et une cascade ! On élèvera plein de moutons. Y aura même un chien !

La grande sœur leva les yeux vers le ciel. Le soleil brûlait, et pas un seul nuage à l'horizon pour le cacher. Autour d'elles, les villageois bougeaient le moins possible, certains jouant sur un échiquier abîmé aux pièces manquantes, d'autres fumant lentement. Ils étaient serrés dans l'ombre des cabanes en bois pour souffrir un peu moins de la chaleur.

Tout autour, la terre était desséchée, craquelée. Au loin, l'air brûlant qui remontait du sol troublait la vision, créant de minuscules mirages. Si on plissait assez les yeux, on pouvait presque croire que la mer n'était pas si loin.

Son attention revint vers la chevelure noire de sa petite sœur, qu'elle peignait patiemment.

– C'est un beau rêve, Iwa. Je souhaite de tout cœur qu'il se réalise.

***

Les criquets chantaient. Sous ses sandales, les pierres grinçaient et roulaient. Elle ouvrait largement la bouche pour aspirer avidement de l'air, la sueur dégoulinant le long de son visage, de son dos, de son corps. Ses vêtements collaient à sa peau, son sac était lourd. Elle clignait des yeux, sa casquette la protégeant avec peine des rayons écrasant du soleil. Le point culminant de la montagne semblait si loin, et elle savait qu'après, il faudrait qu'elle redescende de l'autre côté. Sa langue était sèche, ça faisait des heures qu'elle avait bu les dernières gouttes de sa gourde, et son estomac la lançait, sans qu'elle ne sache si c'était à cause de la chaleur ou de la faim. Elle avait l'impression d'avoir le mal de mer, avec sa tête qui tournait et sa perte d'équilibre, et elle priait pour ne pas vomir, ce qui ne ferait qu'aggraver sa déshydratation.

Enfin, en grimpant un rocher, un vent caressa ses joues. Elle s'arrêta un instant, reprenant sa respiration, essayant de déglutir sa salive. Elle passa une main sur son front, essuyant sa sueur. Elle ferma les yeux, profitant un instant de la brise, puis se retourna. La terre desséchée s'étendait à perte de vue. Aucune âme humaine dans les environs. Elle était à des kilomètres et des kilomètres de chez elle. Elle repoussa les larmes. Elle faisait ça pour Iwa, qu'elle serrait contre elle. Elle ne pouvait flancher. Elle se remit en marche.

Des heures plus tard, alors que le crépuscule approchait, elle entendit le son d'une rivière. Ses yeux s'écarquillèrent, et alors qu'elle se traînait encore il y a un instant, toutes ses forces lui revinrent d'un coup. Elle se mit à courir, cherchant désespérément d'où venait ce bruit. Il y avait un ruisseau entre les pierres. Elle en aurait pleuré de joie. Elle jeta son sac, s'écroula devant et y plongea la tête. Elle but, but, l'eau froide pénétrant son corps, s'infiltrant dans ses muscles, leur insufflant un second souffle. L'eau trompa sa faim, apaisa son mal de crâne et ses crampes. Elle se sentait revivre. Quand, enfin, elle fut désaltérée, elle se laissa tomber de tout son long sur le sol. Au-dessus d'elle, les étoiles commençaient à apparaître.

– Tu vois, on avance, Iwa. On est pas près d'arriver, mais on avance.

La boite remplie de cendres à côté d'elle ne lui répondit pas, mais elle était sûre que, quelque part, Iwa l'avait entendue.


Dessin :

https://www.deviantart.com/naarci/art/Sophie-804206979

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