La frappe

ttr-telling

- "Pivotes ton pied. Tu me fais quoi là? Balances tes hanches ! Allez ! T'arriverais même pas à assommer une mouche là." Il regardait, mécontent, son élève taper de manière chaotique un sac de sable qui bougeait à peine sous les faibles impacts.

"Stop. Arrête. C'est n'importe quoi là." Il tendit une main vers la garde de Tina, pour faire descendre ses gants. "Qu'est ce qui t'arrives? Je vois bien que t'es pas dedans là, ca sert à rien de frapper comme ça, tu vas juste réussir à te faire mal. Qu'est ce qu'il se passe?". Il fixait sa protégée, tentant de déchiffrer l'expression de son visage.

Tina ferma les yeux quelques instants, en penchant la tête en avant, laissant ses épaules s'affaisser. 

Elle n'était pas très grande, un petit mètre soixante. Des cheveux longs et bruns, attachés tant bien que mal en une queue de cheval relevée, qui lui tombait malgré tout jusqu'entre les omoplates. Elle avait des yeux d'un bleu cristallin, et un regard intensément froid, capable de vous geler sur place.

Elle pris une longue inspiration avant de retirer ses gants en s'éloignant du sac de frappe. Elle alla s'asseoir sur l'un des bancs qui étaient vissés contre les murs de la salle.

- "Désolée Nathan, t'as raison, j'suis pas dedans." Elle laissa tomber sa tête en arrière, alors que son coach prenait place à côté d'elle.

- "C'est le boulot ou c'est perso?" Demanda-t-il d'une voix douce. Il essayait de caler sa respiration sur celle de Tina, accélérée par l'effort.

- "Les deux." Répondit-elle après un petit temps de réflexion. Nathan attendait patiemment à côté d'elle. Leur respiration, maintenant commune, se calmait progressivement. Lorsqu'elle atteint un niveau proche de la norme, elle repris la parole. "J'ai une élève, Sabrina. Elle a 7 ans. Je suis certaine qu'elle est battue. Peut être même pire." Sa respiration s'accéléra de nouveau, en même temps que la tension montait dans sa voix. "Les services sociaux veulent pas bouger. Je les ai prévenu, j'ai envoyé plusieurs mails, même ma directrice et l'assistante sociale avec qui on travaille ont fait des courriers." Elle eu un rire nerveux. "Ils nous ont simplement répondu qu'ils prenaient note de notre déclaration, et qu'ils allaient enquêter en temps voulu..." Elle serra ses poings, blanchissant les articulations qui n'étaient pas couvertes par les bandes de boxe.

Le silence s'abattit de nouveau.

- "Et le perso?" Demanda simplement Nathan.

Elle regardait ses mains sans les voir, perdue dans ses pensées.

- "Ca se confond. A chaque fois que je ferme les yeux, je revois le visage effrayé de cette gamine lorsque sa mère vient la chercher. Je me sens impuissante. Inutile. Je suis en colère contre les parents. Contre le système. Contre moi..." Sa vue se brouillait, alors que les larmes enflaient sous ses paupières.

Nathan posa doucement sa main sur l'avant-bras de Tina. Elle sentit la chaleur et la douceur de sa paume.

- "En effet, ça doit pas être simple de gérer cette situation." Dit-il d'une voix réconfortante. "Mais tu n'es en rien responsable de ça. Tu as fait ce que tu pouvais. Tu n'as pas les moyens de faire plus." Il retira sa main, craignant d'être trop intrusif s'il prolongeait ce contact. "Le monde est ce qu'il est. Concentre toi sur les choses qui t'appartiennent. Sois présente pour écouter la petite sur tes horaires de boulot, si elle souhaite te parler. Mais tu n'es pas sa mère. Tu n'es pas une parente. Tu es simplement son institutrice. Tu ne peux pas porter le poids des évènements qui ne relèvent pas de ta responsabilité Tina." Il se redressa, et lui tendit ses gants de boxe. "Et si ce poids s'impose à toi, alors mets lui un gros direct du gauche, comme tu sais si bien le faire." Il lui adressa un sourire plein de bienveillance alors qu'elle levait la tête vers lui.

Elle ne put réprimer un sourire face à ce visage si lumineux. Elle passa sa paume sur ses yeux pour en chasser l'humidité accumulée, se remis debout, secoua énergiquement la tête et pris les gants que Nathan lui tendait.

- "T'as raison." Fit-elle simplement. Elle enfila les gants dont elle referma les scratch avec les dents, et retourna vers le sac qu'elle visait un peu plus tôt.

- "Allez, comme je t'ai appris. Solide sur tes appuis, les bras relâchés, les hanches mobiles. Et respire !" Fit Nathan qui se tenait près d'elle.

Elle pris une longue inspiration, glissa son pied gauche légèrement derrière elle pour stabiliser ses appuis et relâcha les muscles de ses bras.

Elle ne voyait plus le sac face à elle. Elle n'entendait plus le brouhaha de la salle. Le monde qui l'entourait n'existait plus. Son regard fixait un point invisible. Elle repensait à Sabrina. Elle repensait à la réponse des services de protection de l'enfance. Elle repensait aux gestes brutaux et aux mots secs de la mère. Elle repensait à la petite Tina. Celle qui avait alors 7 ans. Celle qui n'avait pas été protégée.

Elle repensait à lui.

Elle expira d'un coup l'air accumulé dans ses poumons. Elle fit pivoter la pointe de son pied gauche, balança sa hanche, envoya son bras, et serra le poing dans son gant juste avant l'impact.

Plusieurs tête se tournèrent dans la salle, après avoir entendu le bruit mat mais bien net de la frappe, qui avait percuté leurs tympans malgré le bruit ambiant. La plupart écarquillèrent les yeux en voyant le sac osciller comme s'il avait reçu un tacle d'un rugbyman.

Des larmes coulaient le long des joues de Tina, alors qu'elle sentait une serrure se déverrouiller, enfouie bien loin au fond d'elle.

- "Bravo Tina. Voilà aussi à quoi peut servir la boxe. Tu lui as mis une belle raclée. Je suis fier de toi." La félicita Nathan, en l'applaudissement doucement.




TTR.

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