Le videur et la slameuse

rikodak

Préambule

Je suis pas un poète. Encore moins une fleur bleue. Les gens disaient souvent que je leur faisait peur. Un genre d’homme de croc magnon, mi-homme mi-animal. J’ai le regard noir, les membres aussi longs que puissants et une épaisse carcasse que je trainais jusqu’il n’y a pas si longtemps de cela, dans tous les bars et autres boites de nuit. Faire peur c’était mon métier. J’étais videur dans une boite de nuit. Tous les soirs je faisais régner l’ordre. Pas pour le plaisir. Simplement pour entendre jouer la musique. La musique, c’était ma vie.

Dès que la musique se mettais à résonner, c’était comme si ma vie se mettait à danser. Les murs se coloraient, les gens me souriaient et mon corps n’était plus ce gros amas de muscles. Je m’évadais. J’étais un autre homme. Léger, sans problèmes.

Le truc c’est que j’ai jamais réussi à me contrôler. Dès que j’avais pas ma musique, je devenais  violent. J’entendais trop le bruit des gens. Leurs petites phrases, leurs petites histoires. Et plus les gens sont chiants plus ils ont des choses à dire. Avant la mort de ma mère je pouvais passer plusieurs jours sans écouter de la musique mais après ça a plus été possible. Je pouvais plus le supporter. C’était devenu une drogue. J’écoutais tout ce qui me passait sous la main : rap, raggae, électro, classique, j’étais pas très difficile du moment que je pouvais m’évader.

Forcément ça a pas duré. Ça pouvait pas duré. J’étais trop sous pression. Les journaux ont dit que j’étais un monstre. Que j’avais pas cœur. Je sais pas si c’est vrai. Moi tout ce que je voulais c’était lui faire plaisir. Faut que je vous raconte.

I

Quand ça a commencé, on était un jeudi. Ou un samedi je sais plus trop. Les jours se ressemblaient tellement. Je suis arrivé devant la boite il devait être 22h30. Beaucoup de monde se bousculaient devant l’entrée. Le son à fond dans les écouteurs j’entendais pas ce que les gens disaient mais ils avaient l’air de s’agiter. Certains levaient les bras en direction des videurs, d’autres commençaient à pousser. On sentait que ce soir ça allait être chaud. Tant mieux, j’aimais bien quand il y avait de l’ambiance.

La boite ou je travaillais c’était pas le Pérou mais il y avait des groupes « en devenir » comme mon boss avait l’habitude de dire. Le genre d’endroit qui passe beaucoup d’artistes à peu près tous pareil puis un jour il y en a un qui éclabousse tous les autres. Ce soir-là il y avait Niwa.

Pour moi Niwa c’était rien de plus qu’une fille au nom vaguement indien. Je l’imaginais bien débarquer sur scène en peau de renard et commencer à jouer comme si tout était normal. A ce qu’il parait que c’était une slameuse, qu’elle jouait avec les mots. Je savais pas ce que c’était que le slam. A vrai dire moi je m’en foutais. Ce que je voulais c’est qu’elle joue de la musique. Avec le décès de ma mère et tout ça j’ai pas pu écouter ce qu’elle faisait. Normalement j’écoutais toujours la musique des artistes qui passaient. Ca donnait la température. Là Je voulais juste qu’elle joue de la musique et oublier.

J’ai pris la porte de service et me suis dirigé vers les vestiaires. J’arrivais toujours en avance histoire de pas voir les collègues et me changer tranquille. C’était râté. Ils étaient déjà tous dans le vestiaire. Même avec le casque sur les oreilles j’ai entendu leurs gros rires traversés les murs. A contre cœur j’ai éteints la musique.

Au début que j’ai commencé à travailler dans la boite, ils ont voulu que je rejoigne leur bande. Ils ont vite compris. Je suis un solitaire. J’ai besoin que de la musique. Comme ils pouvaient pas me parler ils se sont mis à m’emmerder. Ils marquaient des insultes sur mon casier, ils me volaient des affaires mais ça n’allaient pas plus loin. Ils avaient peur de moi.

Quand je suis rentré dans le vestiaire ils se sont arrêtés de parler. Ils étaient quatre à me fixer comme s’ils attendaient que je dise quelque chose. J’ai essayé de me jouer dans ma tête la musique de quand je suis arrivé à la boite mais ça a pas marché. J’ai entendu la voix de Yohann :

-          Voilà notre boxeur préféré qu’à dit Yohann avec son sourire dégoulinant de saleté.

Yohann c’était le leader de la bande. Il m’appelait comme ça parce que plusieurs fois j’avais tabassé des mecs qui foutaient le bordel. J’aimais bien me battre. C’était mon truc.

Je suis allé vers mon casier sans répondre. Comme je disais toujours rien il ont fini par se fatiguer de me regarder et ils se sont remis à parler. Il a fallu que quelques minutes pour qu’ils en arrivent à leur sujet favori : le cul.

-          Ce soir vous avez qui on a les mecs qu’à dit Yohann.

-          Une poète qu’a dit un autre.

-          Poète ou pas moi je chanterai bien des poèmes à ma sauce qu’à dit le troisième et ils se sont tous mis à rigoler.

-          En plus vous avez vu comme elle est bonne.

Ca a continué comme ça un petit moment. J’avais fini de mettre mon pantalon et mon sweat shirt « sécurité » et m’apprêtais à sortir lorsque Yohann m’a dit :

-          Avoue que t’aimerais bien te la faire toi aussi la petite de ce soir.

Il avait pris une voix de vicelard encore plus laide que sa voix normale. Rien que de l’entendre ça me faisait mal aux oreilles.

Comme je répondais toujours pas il m’a saisi par le bras. Il souriait plus du tout.

-          Je t’aime pas tu le sais ça ?

On s’est regardé pendant un long moment. On se serait peut-être tapé dessus si un des gars était pas venu nous séparer. Me battre c’était pas un problème. C’est pour m’arrêter que c’était plus compliqué. En partant je les ai entendu rigoler. Ils devaient se foutre de moi. J’aurais bien remis mes écouteurs sur les oreilles.

00H20 qu’il était. 40 minutes que le spectacle aurait dû débuter. Les gens dans la salle criaient son nom, tapaient dans les mains. Les plus passionnés chantaient ces chansons. Moi j’en avais juste marre d’attendre. Pour qui elle se prenait l’autre à pas venir. Quand il y avait pas de musique je devenais nerveux. Surtout que Yohann m’avait sérieusement énervé. Un moment un mec est venu me demander où se trouvait les toilettes. J’ai failli lui mettre un crochet. J’étais sur les nerfs. Puis tout d’un coup elle est arrivée…

D’abord j’ai entendu une musique. Le bruit de la soie qui glisse lentement sur le parquet, puis une odeur. Quelque chose de sucré. Et je l’ai vu. Brune, le corps fin et élancé, elle portait une robe rouge qui faisait ressortir son teint frais et léger. Puis une voix. Une voix douce et légère comme la pluie, comme une berceuse qu’on chante aux enfants.

« Tu me regarde je te souris

Tu me souris je te regarde

Tes yeux sont si magnifiques

Eternels feu d’artifice, qui illumine mes iris… »

Elle avait même pas finie son premier couplet que toute la salle s’est mise à applaudir. Elle a continué mais elle en avait plus vraiment besoin. Les gens étaient conquis. Ils chantaient pour elle. Moi je suis resté sans bouger. J’étais comme hypnotisé. Je pensais plus à m’échapper, à partir loin. Pour la première fois de ma vie j’étais amoureux. C’était bon. C’était doux comme un bon morceau de musique.

Un moment que je suis resté à la regarder bêtement comme ça. J’étais tellement bien que j’ai pas vu le mec monter sur scène. Les autres videurs l’avaient pas vu non plus parce que le mec avait déjà réussi à prendre Niwa par le bras. Il essayait de lui faire un bisou ou je ne sais pas trop quoi.

Il était tellement dans son truc qu’il m’a pas vu arrivé. Je l’ai pris par l’épaule et l’ai retourné vers moi puis je l’ai frappé. Lorsque mon point s’est écrasé sur son visage, j’ai entendu un petit craquement, surement son nez qui venait de se fracturer. Il a trébuché mais je ne lui ai pas laissé l’occasion de se reprendre. Un deuxième coup de poing est venu lui fracasser l’œil droit. On a entendu un autre crac. Il est tombé sur le dos. En me penchant au-dessus de lui j’ai bien vu qu’il était inconscient mais je réfléchissais plus. Mes points tapaient sur son visage sans s’arrêter, on aurait dit une petite musique. En l’espace de quelques instants, son visage n’était plus qu’une mare de sang. Je l’aurais tué si les autres videurs  m’avait pas empêché.

Après ça il y a eu des cris, les gens ont appelé les secours. Moi j’étais triste de pas avoir entendu plus de musique. La beauté ça dure jamais assez longtemps.

J’attendais sur scène. Le mec était parti sur un brancard mais maintenant il fallait éviter le scandale. C’était pas gagné avec tous les gens qui étaient sortis choqués et sans voir le spectacle. C’est mon boss surtout qui était en colère. Mon boss c’était pas un musicien mais un business man. Il pensait à l’argent. Vu comme il me regardait comme un animal, j’avais dû lui en faire perdre beaucoup. Assis dans un coin j’attendais que ça passe. Je bougeais pas.

Ça faisait un bon moment qu’on était dans la pièce quand on a entendu la porte s’ouvrir. On attendait plus personne alors on a tous été surpris et encore plus quand on a vu que c’était Niwa. Elle s’était changée. Elle avait plus sa robe rouge mais un jean et une chemise. Elle a souri un peu gênée puis elle a dit :

-          Tu peux venir 2 minutes en me regardant dans les yeux.

Je pensais qu’elle parlait à quelqu’un d’autre alors je me suis pas levé tout de suite. Je serai peut-être resté longtemps assis si mon boss m’avait pas dit d’y aller.

On est sorti dehors.

-          Tu l’as pas raté le mec tout à l’heure qu’elle a dit.

Elle me regardait avec ses grands yeux noirs comme si elle attendait que je dise un truc. Je voyais pas bien quoi alors j’ai haussé les épaules. Elle a dû croire que j’avais des remords parce qu’après elle a continué :

-          Je suis contente que tu m’aies défendue.

Et c’est vrai qu’elle avait l’air contente. Elle avait les yeux qui brillaient.

Je cherchais les mots mais il y a rien qui sortais de mon corps à part un grognement. Ça l’a fait sourire.

-          Tu parles pas beaucoup toi…

-          Oui que j’ai dit.

-          C’est quoi ton nom ?

-          Franck

-          Je suis un peu pressée mais si tu veux venir me voir demain, je joue dans une petite salle qu’elle a finie par dire. Et elle m’a tendue un bout de papier avec une adresse dessus.

Je sortais pas souvent. J’aimais pas les gens, j’aimais pas le bruit qu’ils faisaient mais en la regardant j’ai tout oublié. J’ai dit oui. J’étais heureux. Même quand le boss m’a dit de venir le voir et qu’il m’a viré j’étais heureux. J’allais plus pouvoir écouter de la musique mais j’en avais une à l’intérieur de musique, celle de mon cœur en train de battre. J’avais l’impression que c’était la première fois.

J’ai attendu un long moment que Yohann sorte du club. Il devait continuer à discuter avec le boss de comment ils allaient régler la situation. J’étais pas pressé. Il aurait pu neiger que je serai resté à attendre pareil. Maintenant que je travaillais plus au club je pouvais faire ce que je voulais. Je pouvais lui donner une bonne raclée. En me rappelant comment il avait parlé de Niwa j’avais les poings qui se fermaient de rage.

Il faisait encore nuit quand Yohann est sorti de la boite. Caché derrière une voiture il m’a pas vu quand il est passé. Je l’ai suivi quelques temps mais ça a pas marché. Il a vite repéré que j’étais derrière lui. Il a pas aimé la surprise

-          Qu’est-ce tu veux qu’il a dit. Il a essayé de parler fort mais on voyait bien qu’il était plus trop serein.

Il allait dire un autre truc mais je lui ai pas laissé le temps. Je lui ai rentré dedans. Je lui ai mis un coup de poing qui l’a envoyé par terre. Sonné il bougeait à peine. On aurait dit un petit insecte. Je lui ai mis un coup de pied dans le ventre. Je prenais mon temps. Je savourais chaque seconde. Je connaissais ma partition par cœur. Yohann Il faisait des petits bruits puis quand je lui ai mis une série de coups il en a plus fait. J’étais content.  

II

Je connaissais rien à l’amour. Tout ce que je savais, je l’avais appris avec la musique. Depuis tout petit que j’en écoutais. Surtout des chansons d’amour. Et dans les chansons d’amour, les gens ont l’air de jamais en avoir assez. Ils en veulent plus. Je me demandais si dans la vie c’était pareil. Parce que jusqu’à présent dans la mienne, il c’était pas passé grand-chose. Je sortais pas. J’avais pas d’amis. En fait j’étais pas habitué à ressentir des trucs en dehors de la musique alors d’aller voir Niwa dans son bar, ça m’a rendu nerveux. Je savais pas ce qu’elle attendait de moi.

Le bar était pas grand. Quand Niwa m’avait donné sa carte, j’imaginais qu’elle allait jouer jouait dans une grande salle. Avec un décor dorée partout. Mais en rentrant à l’intérieur, j’ai été déçu. Il y avait des graffitis sur les murs. Puis Niwa elle était pas toute seule à chanter. Il y avait un groupe qui passait avant elle. Il chantait un truc pas trop mal mais personne les écoutait. Les gens préféraient boire que d’écouter de la musique.

Je me suis assis à une table. Le groupe a continué à jouer pendant encore quelques minutes puis Niwa est arrivée. Elle a fait la même entrée qu’à l’autre soirée, celle avec la chanson sur les yeux. Cette fois je m’y attendais mais ça m’a quand même fait de l’effet. Surtout qu’il y a un moment dans le spectacle où elle m’a regardé. J’avais le cœur qui battait fort.

Après le show elle est venue me rejoindre à une table. J’avais tout préparé : le verre, le placement de sa chaise. J’avais même dit aux mecs qui étaient derrière de se barrer. Ils faisaient trop de bruit. Ce que j’avais pas préparé c’est qu’elle parle autant. Elle a parlé sans s’arrêter comme si elle était encore sur scène. Elle parlait de sa mère qui lui avait donné son surnom. De son arrivé dans la musique. De la scène et d’encore pleins d’autres trucs. Ca la dérangeait pas que je dise rien. Elle parlait pour deux.

Moi je regardais sa bouche. Les mots y sortaient comme d’un instrument, léger et fort. J’aurais pu l’écouter pendant des heures. Je la regardais comme ça depuis un long moment quand je l’ai entendu rigoler. Ça l’a toujours fait marrer la façon dont je la regardais. J’ai compris plus tard que c’est qu’elle me trouvait bête.

-          Qu’est-ce qu’il y a qu’elle a dit

-          J’aime bien ta musique

Ça l’a fait sourire. J’aurais fait n’importe quoi pour qu’elle continue à me sourire comme ça.

-          Tu sais il y en qui aime pas ma musique… Il trouve que de faire rimer les mots entre eux c’est pas de la musique.

Elle a regardé les gens autour de nous. Personne faisait attention à elle.

-          Tu vois les gens qu’elle m’a dit en regardant la salle à moitié vide, ils s’en fichent de ma musique. Bien sûr il y en a qui si intéresse mais la plupart en ont pas grand-chose à faire. Je suis juste une artiste parmi d’autres.

Et tout d’un coup elle avait l’air vraiment triste. Ma mère elle était pareille. La musique c’était sa vie mais les gens l’écoutaient pas. Il y a que moi qui l’écoutais. Jusqu’à sa mort qu’il y a que moi qui l’ai écouté. Ca l’avait rendu tellement triste qu’elle s’était suicidée.

-          Tu as un public quand même que j’ai dit

-          Oui mais il y en a beaucoup qui s’intéresse pas à ce que je fais. Sans compter ceux qui me critiquent et qui m’empêche de faire ma musique.

-          Ceux qui s’en fichent moi je leur apprendrai !

J’avais parlé un peu fort parce que quelques personnes dans la salle ce sont retournées. Niwa elle m’a regardé un peu surprise. Il y avait aussi de l’intérêt dans son regard.

-          Tu ferais quoi pour moi par exemple ?

-          Je tuerais.

Avec Niwa ce qu’était bien c’est qu’elle avait pas peur de moi. Je pouvais lui dire tout ce que je voulais, elle avait pas peur. Elle m’a toujours pris pour sa chose.

Pendant quelques minutes elle a plus rien dit. Elle avait l’air de réfléchir. Finalement elle m’a proposé de sortir.

Je comprenais pas pourquoi on était allé dehors. On marchait mais sans aller nulle part. Niwa regardait tous les gens jusqu’à ce qu’un moment on arrive dans une rue où il y avait personne, juste un mec qui téléphonait. Il nous a regardé puis il a repris sa conversation. Je me demandais ce qu’elle cherchait en regardant tout le monde comme ça quand elle m’a dit :

-          Lui par exemple.

Elle m’a montré le mec au téléphone. 

 Comme j’avais pas compris elle a continué :

-          Tu le tuerais ?

-          Oui que j’ai dit sans hésité.

-          Prouve-le

Elle souriait plus quand elle a dit ça. Elle était belle aussi quand elle souriait pas.

Le mec était vraiment costaud mais je m’en fichais. Je me suis avancé vers lui. C’est que quand j’ai été à quelques pas de lui qu’il a levé la tête et lâché son téléphone. C’était trop tard. Je lui ai mis un coup de boule qui lui a fait faire quelques pas en arrière. Le mec devait avoir l’habitude de se battre parce qu’il s’est vite repris. Il m’a défié du regard puis il a levé sa garde comme un boxeur. J’ai pas vu arriver son coup de poing. Une violente douleur m’a piqué l’œil droit. J’allais avoir un cocard. Il a essayé de me mettre un autre coup de poing mais cette fois j’étais sur mes gardes. Je l’ai esquivé. Je lui envoyé un coup de pied mais pas suffisamment rapidement. Il a pris ma jambe et m’a fait tomber par terre. Il s’est jeté sur moi pour pousser son avantage et me mettre des coups. J’aurais pas tenu longtemps si il avait pas fait une erreur. Il s’est penché vers moi ce qui m’a permis de lui mordre la joue. Il a crié de surprise et de douleur. J’en ai profité pour le renverser. C’est moi qui était maintenant sur lui. Je lui ai mis 1, puis 2 puis encore d’autres coups de poings. Il bougeait déjà plus quand j’ai entendu un cri :

-          Arrête !!!

Il m’a fallu encore quelques instants pour me rendre compte que c’était Niwa. Ça m’a stoppé net.

En la regardant j’ai vu qu’elle tremblait de partout. Quelques personnes avaient dû entendre des bruits parce qu’on a vu des gens nous regardé de loin. Ils savaient pas trop ce qu’ils devaient faire. On en a profité pour partir en courant. Le mec était toujours par terre.

Je l’ai raccompagné à sa voiture. Sur le chemin elle arrêtait pas de parler de la bagarre. Pour moi c’était rien mais elle, on aurait dit que je lui avais fait un cadeau. Elle était toute excitée. Elle arrêtait pas de dire que c’était incroyable. Qu’elle avait jamais vu quelqu’un se battre comme moi. J’étais content que ça lui fasse plaisir même si je comprenais pas bien pourquoi.

Arrivé à sa voiture, elle s’est tournée vers moi. Elle me regardait comme on m’avait jamais regardé. Avec amour. Elle m’a pris la main et en voyant les traces de sang et les cicatrices elle a dit :

-          Tu te bats souvent ?

-          Ouais assez que j’ai dit

C’était vrai que je me battais souvent. Des fois j’avais l’impression que ma vie c’était que ça. Me battre et prendre des coups. J’aurais aimé qu’il sorte autre chose de mon corps que des coups mais j’y arrivais pas. Ca faisait partie de moi.

Elle a eu l’air d’hésiter un peu puis finalement elle m’a demandé :

-          Ca te dirait d’être mon garde du corps ?

On aurait dit une enfant. Elle me suppliait du regard mais il y avait pas besoin. J’aurais fait n’importe quoi pour elle.

J’ai dit oui et elle a poussé un petit cri de joie. Elle m’a sauté dans les bras.  

-          Tu m’accompagneras sur mes tournées. On ira dans toutes les salles de concert. Et si quelqu’un m’embête, tu t’en occuperas hein ?

Niwa elle était comme ça. Quand elle était contente ça se voyait. Elle parlait encore plus que d’habitude.

Moi j’étais un peu perdu avec tous ces projets mais je lui ai quand même dit oui. Ca a dû lui plaire parce qu’après elle a fait glisser sa main sur mon pantalon. Et pour bien que je comprenne, elle m’a dit qu’elle avait envie. Moi aussi j’avais envie. On a pris la voiture et on est allé faire l’amour chez elle. J’étais amoureux pour la première fois de ma vie.

III

Ça a été la période la plus heureuse de ma vie. J’accompagnais Niwa partout où elle allait. Les clubs, les hôtels, les restaurants, on était inséparable. Bien sûr des fois elle en avait marre de moi. Elle partait et pendant 1 semaine je la voyais pas. Il y avait plus de musique. Ma vie s’éteignait. Heureusement elle revenait toujours. Elle me disait qu’elle était partie en vacances. Je la croyais pas mais c’était pas grave. On était ensemble.

Ce qu’elle aimait bien Niwa c’est que je faisais toujours ce qu’elle voulait. Avec le temps elle prenait même plus la peine de me demander si j’étais d’accord. Elle me montrait quelqu’un qu’elle aimait pas. Ça pouvait être n’importe qui. Un mec dans une salle, dans la rue, même un journaliste qui avait écrit une saloperie sur elle. Moi j’allais le voir et je lui cassais la gueule juste qu’à ce qu’il puisse plus se relever. C’était notre petite routine.

Le problème c’est qu’un jour, elle m’avait dit d’aller corriger un journaliste et j’y ai été trop fort. Le mec est mort. Pendant plusieurs jours qu’ils en ont parlé à la télé. Ils parlaient de crime odieux. D’acte incompréhensible. Je voyais pas bien ce qu’il voulait dire mais ce qui est sûr, c’est que Niwa elle avait bien compris. Après ça a plus été pareil.

Je crois qu’elle avait peur pour sa carrière. Ça lui plaisait que j’aille abimer des gens, après on faisait toujours l’amour, mais que le mec soit mort, c’était trop. Toute la journée elle a pleuré en se demandant ce qu’elle allait devenir. Moi j’attendais. Je me disais que ça allait passer mais rien n’y a fait. Un moment elle est venue me voir en me disant qu’elle voulait plus jamais me revoir.

Pendant plusieurs mois qu’on avait vécu ensemble Niwa et moi alors d’être séparé d’elle c’était difficile. Partout que j’entendais sa voix. Même quand j’écoutais de la musique que j’entendais sa voix. Je l’entendais me parler à l’oreille comme elle faisait quand elle avait envie de faire l’amour. Je l’entendais rire. Je l’entendais caresser les mots de sa voix douce. Niwa et moi on pouvait pas ne pas être ensemble. J’ai tenu quelques jours puis je suis retourné la voir.

J’ai sonné à sa porte mais personne n’a répondu. C’était bizarre sa voiture était en bas de chez elle. J’ai sonné pendant 5 minutes avant qu’elle vienne finalement ouvrir. J’ai essayé d’articuler un sourire mais dès que j’ai vu sa tête j’ai arrêté. Elle était pas contente de me voir.

-          Qu’est-ce que tu fous là qu’elle a dit sur un ton sec.

J’ai commencé à chercher mes mots mais il y a rien qui est sorti.

-          Dit quelque chose bordel qu’elle a dit au bout d’un moment.

-          Je…

Je voulais lui dire qu’elle me manquait mais au même moment il y a un mec qui est apparu derrière elle. Il avait une serviette autour de la taille et rien d’autre.

-          Qu’est-ce tu veux toi qu’il a dit en me regardant droit dans les yeux.

Il m’a fallu quelques secondes pour comprendre.

Niwa aussi elle vu que j’avais compris parce qu’elle a essayé de faire comme à chaque fois qu’elle me donnait un ordre : elle a haussé la voix mais cette fois ça a pas marché. Je l’écoutais plus. Je l’ai poussé sur le côté et je suis rentré dans l’appartement.

Le type s’y attendait pas. Il a agité les bras dans tous les sens. Je crois qu’Il a essayé de m’impressionner mais ça a servi à rien. Je l’ai poussé jusque dans le salon puis je lui ai donné un coup de poing. Il est tombé sur la table à moitié dans les vapes. Je commençais à lui mettre des coups de poings quand j’ai senti une grande douleur dans le dos. Niwa venait de me planter avec un couteau de cuisine. J’ai voulu crié mais le souffle me manquait.

Je me suis relevé en m’appuyant sur une chaise. Niwa elle criait « arrête, arrête » comme le soir ou j’avais tapé le mec à la sortie du bar. Elle criait mais j’étais ailleurs. Dans ma tête il y avait une petite musique. Celle que ma mère passait en boucle lorsqu’elle était triste. Je la revoyais dans son fauteuil. Elle mettait la musique en route, celle ou jouait du violon dans l’orchestre et elle partait pendant des heures. Des fois elle revenait que quand j’allais me coucher.

Quand j’ai tué Niwa, la musique s’est arrêtée. Pendant quelques secondes il y a eu un silence, un long silence reposant puis les sirènes ont résonné de très loin dans la rue. C’était fini.

EPILOGUE

En prison il y a pas de musique. La vie est en sourdine. A l’arrêt. Ça me manque pas trop la musique. Il y a juste quand je pense à Niwa que j’ai envie d’écouter un morceau. Parfois je me rappelle la première fois que je l’ai vu mais ça me rend triste alors j’essaye de pas y penser. Je me change les idées en regardant la télévision. Je passe mes journées à regarder la télévision. J’essaye d’écrire des chansons aussi mais les mots me viennent pas facilement.

Aux inspecteurs j’ai essayé de leur parler de la musique. Je leur parlais de Niwa, de sa belle voix, des mots qu’elles faisaient rimer mais eux de la musique ils s’en fichaient. Ce qu’ils voulaient c’est des faits. Du coup J’ai plus rien dit. Je crois que c’est pour ça que tout le monde dit que je suis un monstre. Parce que je dis plus rien.

Les journaux ils disent que je suis un monstre, une bête sanguinaire. Ils ont dit la fois où j’ai tué le journaliste et quand j’ai étranglé Niwa ils l’ont dit aussi. Ils ont montré des photos de moi. De quand les inspecteurs ils m’ont demandé de regarder droit devant. Du coup tout le monde veut me tomber dessus dans la prison. Ici je fais pas peur. Les gens me crachent dessus mais je dis rien. j’ai plus envie de me battre. Je suis fatigué. Il y a juste quand j’entends les échos d’une musique lointaine passé à travers les barreaux que je me rappelle que je suis pas une bête. J’ai peur de la mort.

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