Légende d'Ombres

Françoise Grenier Droesch

Dracula s’acharne, une plume d’oie entre les doigts, courbé au-dessus de la page vierge. C’est qu’il en pince pour cette jeune fille. Il rêve de son long cou de cygne :

Mon amour, ma beauté, venez partager mon festin …

En lettres de sang, celui de ses victimes.

L’encre afflue trop vite au bout du bec, s’étale sournoisement. Les taches masquent des caractères, révélant le mot « ombre ». L’une d’elles plus téméraire que les autres rebondit en une giclée oblique,  frappe au visage. Le vampire saisit un buvard, le plaque sur sa peau puis sur les effrontées qui se dispersent à l’opposé.

Viens ici sale petite garce ! Raté ! Le papier claque. Elle s’échappe en faisant un pas de côté. Une sorte de couinement abominable emplit la pièce.

Voilà que se dresse un rempart de formes vaporeuses. Elles traversent le buvard, le réduisent en lambeaux. La Lune s’invite dans cette orgie de taches devenues ombres vivantes et menaçantes.

D’un seul coup, elles gagnent son bras, s’accrochent à la gorge. Telles des sangsues, lui sucent le sang.

Au matin, un tas de charbon carbonisé.

Ici git Dracula.

Signaler ce texte