L’enfant poète

Stéphan Mary

 

Je ne me souviens pas comment j'ai appris à écrire. Je crois que j'ai toujours su. L'écriture pour l'enfant ne peut se passer de l'imaginaire que produit la lecture. Je me plongeais dans mes textes comme j'entrais dans un roman : personnages fictifs, situations rocambolesques, magie des mots, univers des adultes réinterprétés pour qu'ils soient plus beaux, moins violents, plus sereins. Je prenais la plume, la trempais dans l'encrier en vérifiant que le buvard soit bien propre puis je me laissais aller. Chaque thème de rédaction me plongeait dans des structures que je ne maîtrisais pas. J'écrivais pour vivre, pour survivre à un monde où la sorcière devenait une femme accessible, voire gentille. Il n'y avait pas de contes ou de légendes qui ne soit pas transformables. Dans l'écriture enfantine il n'y a pas de limites, tout est permis. Le méchant devient bon, le bon devient con, le con devient l'ami ou l'ennemi que le petit accompagne avec majesté dans des mondes fantasmés où le réel côtoie l'invraisemblable, si beau qu'il en reste adulte des traces fascinantes, quasi rassurantes. Mes écrits se retrouvaient collés dans les couloirs qui déversaient des dizaines de gamins dans les classes.

Ma première vexation d'écrivain eu lieu quand j'avais dix ans. L'institutrice avait demandé à rencontrer ma mère. Le coeur battant à tout rompre, j'assistais à l'entretien. Elle lui tendit une rédaction et lui demanda tout de go dans quel livre j'avais recopié mon texte. Ma mère ahurie en prit connaissance et lui répondit : nulle part, c'est vraiment elle, j'étais là quand elle a fait son devoir. J'en aurais pleuré. La maîtresse me regarda longuement et finit par dire à ma mère : elle a du talent ! mais c'était trop tard, le mal était fait. Elle avait osé remettre en question mes dispositions d'écrivain. Il faut lire les enfants, certains puisent dans leur quotidien mixé à leur imaginaire des univers si personnels, si intimes, si extra-ordinaires que s'en sont des leçons de vie d'écrivains potentiellement réalisables. L'écrit de l'enfant est un long cri de jouissance ou de souffrance, écho visible des invisibles, partage sans concession d'un si récent passé, plongé dans le présent imperceptible qui échappe à l'adulte vieilli trop tôt par un réalisme borné, bordé d'injonctions. L'écriture de l'enfant est une longue complainte, un chant, une ode à la vie où le bonheur d'écrire s'adjoint déjà à l'appréhension d'être lu. L'écriture de l'enfant est l'imminence de l'écriture vitale du poète.

 

La forme poétique est une valse à douze pieds, alexandrins de l'audition, verbalisation du thème en chansons. L'écriture poétique nécessite de la rigueur, de la tension, un développement où la rivière des mots adoubée à la forme structurelle laisse peu de place à la grandiloquence. Mais il y a différents types de poésie et le champs de l'écrit est aussi vaste, aussi fort que le torrent des mots d'un roman. Ecrire un texte poétique permet une vocalisation musicale. Parfois animale, primaire, bestiale, la poésie emporte dans son sillage une foultitude d'images, de sons, de rimes qui renvoient à l'essentiel : l'humain, la nature, le cosmos. Qu'elle soit tragique ou burlesque, comique ou dramatique, l'écriture propre à la poésie ne se contente pas de peu. C'est une exigence dans laquelle le poète évolue avec aisance, plaisir insoupçonnable pour celui qui se contente de la lire, de la dire, de la vivre. L'écriture poétique est un condensé d'hyper émotivité. Le poète est raison, devin divin qui traverse le temps et l'espace comme une comète déchire le ciel du conscient, embarquant dans une phonétique abstraite l'essentiel du sentiment, l'accessoire de l'inaccessible. L'écriture poétique est inévitablement l'écriture du fou toléré. Le poète est un enfant adulte de la forme, un adulte qui jamais ne sera rassasié de l'enfance. Ecrire pour vivre, écrire parce qu'il n'est pas question de ne pas écrire. L'écriture est vitale, la lecture est indispensable à l'écrit pour que l'écrit vive. L'enfant est poète, le poète est un enfant qui n'a rien oublié. 

  • "L'écriture poétique est un condensé d'hyper émotivité."
    " L'écriture poétique est inévitablement l'écriture du fou toléré."

    C'est tout à fait ça ! Merci à vous. Merci pour le partage de vos mots.

    · Il y a environ 11 ans ·
    Poppy 834203 640

    feather

  • Bonjour Stephan Mary,

    "L’enfant est poète, le poète est un enfant qui n’a rien oublié."
    En effet, "Il ne faut jamais tuer l'enfant qui vit au fond de chaque âme. C'est là une des plus belles sagesses de l'homme." (Paul Stendhal)
    Merci à vous pour ce très beau texte empli d'émotion.
    Je vous souhaite un agréable dimanche.
    Bien amicalement.

    Paul Stendhal

    · Il y a environ 11 ans ·
    Icone avatar

    Paul Stendhal

  • Colette, mon mari qui a été en chimio pour lui, a côtoyé aussi ses enfants si courageux et lumineux. L'on apprends beaucoup d'eux.
    Stephan, ton texte est bien construit et surtout la remarque de l'institutrice, car j'ai été toujours première en rédaction, aussitôt que j'ai su lire, j'ai dévoré tout ce qui passait sous mes yeux. La lecture pour moi, c'était l'évasion, l'aventure, ce que j'aurais aimé être, une aventurière, et qui n'a jamais bougé de son coin, à cause d'un mari attaché à ses racines. Il a eu tant d'occasion d'aller travailler au loin. Enfin, nous avons voyagé pendant les vacances à l'étranger.
    Je voudrais dire aussi, mes enfants ne lisent pas ni mes petits enfants, mon chagrin, car ils sont nuls en français, j'ai une immense collection de livres, que je vendrais un jour, ils ne lirons pas.

    · Il y a environ 11 ans ·
    Moi

    Yvette Dujardin

  • Merci pour ces commentaires humains et très touchant. Stéphan

    · Il y a environ 11 ans ·
    La main et la chaussure

    Stéphan Mary

  • Colette, je n'ai pas animé bcp d'ateliers d'écriture, mais c'est dans cet esprit que je souhaite le faire... il est important, comme le dit Mary, de ne pas oublier l'enfant que nous avons été.

    · Il y a environ 11 ans ·
    015

    carmen-p

  • Merci pour ce magnifique texte Mary! Il m'a beaucoup touché! J'ai toujours respecté les textes d'enfants, privilégiant avant tout l'idée de leurs écrits! Ne jamais toucher l'idée première, le premier jet qui leur est propre!! La syntaxe et la correction des fautes d'orthographe viendront ensuite! C'est si important pour leur identité!Merci encore!!!

    · Il y a environ 11 ans ·
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    Colette Bonnet Seigue

  • "Le poète est un enfant adulte de la forme, un adulte qui jamais ne sera rassasié de l'enfance" Combien je ressens tes mots et leur constat poétique!L'enfant est naturellement poète pour côtoyer leurs écrits au quotidien! Quand je sors d'un atelier j'ai toujours cet état de grâce emportant avec pudeur et humilité leurs mots-maux si bien écrits. Je me souviens de cette phrase gravée en ma mémoire, lorsque je faisais écrire les enfants à l'hôpital de Bordeaux (en cancérologie):"Dans ton regard, j'ai vu la fleur fragile qui se brise comme le long fil de la vie". Une autre a écrit sa mort, un autre ses douleurs en chimio!!!Je n'étais pour ma part qu'un humble et petit passeur de mots!J'avais tant à apprendre de leur sagesse pour certains confrontés à la mort! Mais ce que je retiens surtout c'est le soleil pur de leur regard!!

    · Il y a environ 11 ans ·
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    Colette Bonnet Seigue

  • Les fotes sont l'impertinence de l'enfant et les blessures de l'adulte. Les unes s'effacent et d'autres pas

    · Il y a environ 11 ans ·
    La main et la chaussure

    Stéphan Mary

  • Il m'est arrivé la même chose qu'à toi. Un jour mes parents ont été convoqués au collège...je dis un jour, mais c'était plutôt deux jours, en 6ème puis en 5èmee. L'enseignant d'alors pensait que j'avais été "aidée" à la maison ou que j'avais recopié un texte d'un livre sans veiller sur l'orthographe. Mes parents auraient bien été incapables de m'aider et j'étais l'aînée de la famille, par contre mes parents ont sanctionnée, une fois de plus mes fautes d'orthographe !

    · Il y a environ 11 ans ·
    015

    carmen-p

  • "L’enfant est poète, le poète est un enfant qui n’a rien oublié"
    Oui, l'enfant est poète et l'adulte qui l'accompagne en écriture, en tant qu'enseignant ou lors d'ateliers d'écriture devrait avoir cette phrase en tête ! Or, le plus souvent on veut guider l'enfant, éviter ses débordements, on se méfie de son imagination qui pourrait nuire à la cohérence de son texte... et j'en passe. (je vais faire plusieurs commentaires, ils passeront peut-être)

    · Il y a environ 11 ans ·
    015

    carmen-p

  • "L'écriture est vitale, la lecture est indispensable à l'écrit pour que l'écrit vive"...et que son auteur puisse s'exprimer en restant libre de ses émotions, qui sont pour lui existentielles !
    CDC et merci du partage.

    · Il y a environ 11 ans ·
    Img 1952

    Michele Hardenne

  • J'ai suivi la ligne des mots avec attention. J'aime bien la petite anecdote. Ca casse un peu l'éloge trop laborieuse (à mon gout seulement et sans prétention) faite à la poésie... mais c'est un très beau texte...

    · Il y a environ 11 ans ·
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    cerise-david

  • Je ne comprends pas Stephan. J'ai recommmencé et le com ne passe pas. Il doit être trop long et je ne l'ai pas sauvegardé ! On verra demain ! (mais je vais peut-être te l'envoyer en mp).

    · Il y a environ 11 ans ·
    015

    carmen-p

  • Je déteste les poèmes, mais je t'aime d'avoir écrit ce texte.

    · Il y a environ 11 ans ·
    Jom3

    jom

  • Mots poétiques qui 'parlent'du poète magnifiquement je trouve. Bravo pour cette belle sensibilité et de l'exprimer si bien.

    · Il y a environ 11 ans ·
    Default user

    tendresse

  • Long commentaire disparu. Tant pis !

    · Il y a environ 11 ans ·
    015

    carmen-p

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