L'enfant soldat

Lisa Mody

C'est la guerre. Tout est noir. Et il fait si froid.

Le garçon tremble. Il repose sur le flanc, glacé, terrifié. Plus loin, il entend des bruits de fusils et de bombes. Les cris déchirants des blessés qui agonisent. Il n'en peut plus. Son corps entier est engourdi par le froid. Il repli ses jambes maigres contre son corps efflanqué. Il pose ses doigts sur ses orteils sales pour les réchauffer.

Il croit qu'il va mourir. Il se dit que lui aussi il aurait aimé vivre. Il est las, il ne veut plus bouger. Ses yeux se ferment doucement, et le jeune garçon s'endort.

Le vent joue sur sa peau, fait voler ses cheveux sombres. Il fait chaud. Il rit. Il est heureux. Plus loin, il voit sa mère et son père, beaux et joyeux. Ils se tiennent serrés dans les bras, et se sourient avec tendresse. Dans le champs, il y a milles coquelicots, milles pâquerettes, et milles pissenlits qui brillent sous le soleil. Il rit, encore et encore, fermant les yeux pour pleurer de joie devant la beauté de son monde. Il tombe par terre et ses doigts se referment sur une poignée de terre. Il la laisse s'écouler doucement au dessus de son crâne et sourit en la sentant rouler sur sa peau et tomber sur ses vêtements. Il sent son cœur se serrer et rit, rit de la beauté de son univers. Il regarde encore une fois la ferme, la ferme où il a été élevé et où il a grandit. Il se relève péniblement, à cause des courbatures, et se tient droit, devant sa famille, devant sa patrie. Il sourit doucement à tout ce monde qui lui manque, et ouvre les yeux.

Il n'a plus froid, il n'a plus mal. Il sent son cœur emplit d'une joie nostalgique. Il se lève, attrape son fusil, son couteau et sa gourde. Il enfile ses chaussures mouillées et glacées et lève ses yeux déterminés vers le ciel. Il murmure.

« Mon père, ma mère. Je vous vois, mais vous me manquez. Je sais que vous êtes là, mais j'aimerais vous voir...

Ma patrie, ma France. Je me bats en ton nom. Je me bats pour ton soleil, pour ta chaleur et pour toute la beauté que tu as et que tu es. J'aurai aimé vivre pour toi, mais s'il le faut, je mourrai pour toi. »

Il prit une poignée de terre boueuse et la colla sur son front. Les yeux fermés, il récita les paroles que son père lui avais appris son père, les 7 vertus majeures ;

Courage, tempérance, humilité, prudence, force, charité, justice.

Il marcha vers la bataille, sans trembler ni gémir, sans courir ni se presser. Il y alla d'un pas ferme, fier et noble. Il n'était plus un petit fermier, il était le fils de la France, et il allait se battre pour elle.

Les soldats virent arriver le petit garçon chétif armé d'un vieux fusil et d'un couteau, avec de la terre sur les chevilles et sur le front, et pointèrent leurs canons sur lui. Il n'y avait ni peur, ni espoir dans les yeux de l'enfant. Il y avait toute l'humilité du monde dans le vert chaleureux des yeux du gamin. Et il souriait. Un sourire solennel, calme et brave.

« Je vis pour la France, et je meurs pour elle. »

La voix encore fluette du garçon avait ébranlé les vieux soldats qui l'avaient pris en ligne de mire. Ils ne comprenaient pas la langue, mais il comprenaient le sentiment qui était dans les paroles. Un sentiment qu'on oublie vite sur le front, au milieu des cadavres des amis, des ennemis. Il y avait de l'amour. Celle qu'un petit garçon voue à sa mère, celle qu'un homme voue à sa patrie.

Les alliés étaient là, cachés derrière des arbres et dans les fossés. Avec des cris furieux et bestiaux, ils se soulevèrent tous ensemble et bondirent en avant. La bataille faisait rage. L'enfant, au milieu, se battait comme un tigre. Son courage ne l'empêcha pas de prendre une balle à la jambe. Puis une autre, du même tireur, dans la poitrine. Il tomba lourdement, laissant son fusil tomber par terre. Sa tête heurta le sol avec douceur, et les yeux du garçon se fermèrent. Il murmura encore une fois.

« Ma patrie, ma France. Je me suis battu en ton nom. Je me suis battu pour ton soleil, pour ta chaleur et pour toute la beauté que tu as et que tu es. J'aurai aimé vivre pour toi, mais le destin est autre. Et je meurs pour toi. »

La guerre est finie. Le monde est beau. La France a retrouvé ses couleurs.

Le jeune homme baisse les yeux. Il regarde la tombe à ses pieds. Il pense au courage de l'enfant enterré ici. Il sourit doucement.

Il était sur la bataille. Il avait vu le gamin tomber. Il avait entendu ses dernières paroles. Ses paroles si connues, pour avoir été répétés par les soldats français à d'autres, et encore à d'autres. L'histoire de ce gamin était devenue une légende. Celle d'un enfant élevé contre les fusils, protégeant de son corps chétif la liberté de la patrie. Et s'était à ce gamin qu'on pensait en se jetant dans la mêlée. Au sacrifice atroce qu'avait fait un jeune garçon pour « la beauté de la France ». C'était toujours elle qui donnait du courage aux soldats, elle qui révoltait les hommes et leur donnait l'envie de lutter.

Aujourd'hui, le monde était beau à nouveau.

Le jeune homme prit une poignée de terre et la fit s'écouler doucement au dessus de la tombe. Il rit doucement, secoua la tête.

Il regarda le paysage et sentit monter en lui une vague de bonheur.

C'était des champs, des maisons, des routes. C'était également des bleus, des verts, des rouges, des violets et toutes les autres couleurs.

Le soleil se levait seulement, et envoyait de faibles rayons dorés sur la croix blanche.

Les champs étaient rempli de fleurs. Milles coquelicots, milles pâquerettes et pissenlits mêlaient leurs odeurs en un parfum envoutant. Là bas, une ferme brûlée étaient en reconstruction. C'était un nouveau monde. Un monde libre.


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