L'étoile brisée

dechainons-nous

Règlement de contes !

Le grand méchant loup, s'ennuyait dans sa banlieue, toute la journée il trainait savates, et jouait à se faire peur. Vers 17h, il avait pris l'habitude de venir voir passer le petit chaperon rouge, une bimbo des quartiers hauts qui s'en revenait de la citée du savoir.
Le chemin longeait la cour des miracles séparée tout du long par du grillage de bonne facture. 
Elle était belle, les souliers vernis, la jupe écossaise plissée à mi cuisse, le blouson d'ailleurs, et le rouge à lèvres soulignait ses yeux de biches de noir vêtus. La démarche rebondissante faisait rythmer de concert sa jupette et le cœur du névrosé.

Sauter par dessus le grillage et culbuter la vie de l'ange blond, se visualisait dans les pupilles de l'animal, mais les rondeurs municipaux veillaient et les mâtins policiers n'attendaient que cela pour le mettre en charpie.

Les karchers avaient meurtri les âmes, mais la malveillance de ce mal foutu monde s'était enracinée profond dans les caves des HLM. La fleur de béton est sauvage et persistante et rend caduque tous les efforts de la Marianne. Le cache misère qui avait endormi la société bien pensante, épaississait la taille des séparations sociales.

Maryline dans son instinct sentait l'animal accompagner sa démarche. Au fil du temps elle s'était habituée à cette ombre feutrée, et apprivoisa sa peur. Cette adrénaline se transforma en aphrodisiaque, et dans ses rêves les plus secrets, la belle se voyait haletante sous le poitrail charnu de la mal bête. 
De la réalité au fantasme, dans une vie si bien rangée, elle se surprit à s'approcher de la clôture feignant de rattacher la boucle de ses chaussures. Accroupie, les jambes serrées comme pour signifier que tout se jouerait en cet endroit précis, elle releva la tête pour voir son reflet dans les yeux de la bête. 
- Loup y es tu ? 
- Bouge de là ! 
- Fais quelque chose ! 
La grâce le mettait en disgrâce, le louveteau ronronnait et réclamait sa mère. Le chaperon est une femme, et libérée de longue date ne perdit pas son avantage, elle s'enquit d'un rendez vous à venir derrière le petit bois à l'orée de la ville.

Pour le félin l'enjeu était de braver les barrages des zones de non droit qui séparaient le territoire des loups de celui des chiens-loups, malgré la hargne qui tançait les clans, les monnaies d'échange pour montrer patte blanche existaient. 
Pour la fillette, il lui suffisait de dire qu'elle allait rendre visite à sa mère-grand. Ses géniteurs plus avides de combler le vide qui les séparait, s'importaient plus de savoir comment se partager la galette, que de s'inquiéter du devenir de la bouche à nourrir.

Cette première rencontre fut explosive et changea à tout jamais le filigrane de l'existence des deux belligérants. Sans autre forme de procès, le grand méchant loup fébrile et ne pouvant contenir son excitation, assaillit la pauvrette de questions sur les programmes de ses cours à la fac, et sur le manuel du savoir vivre en société.

De ce premier rendez vous, prit naissance une complicité et une envie de dépassement de soi, la bimbo découvrant un monde rustique, haut en couleur vivant de réponses aux questions à peine effleurées, la mal bête apprenant l'importance dominante de la question sur la réponse. De la méthode du discours à la discorde des classes, ils convinrent de la complémentarité à s'accorder d'autres rencontres au coin du bois charmant.

Le loup ancré dans la peur des enfants se révéla écriteur de l'insalubrité de son existence, déraciné socialement, enraciné dans l'économie souterraine, convoyeur des maux de la nuit, enchanteur de mots couchés à l'aube sur des cahiers récupérés dans les poubelles de la haute. Son film se révèle à l'encre de sa plume, contant le sordide orphelin vivant sous le toit de sa sœur et de l'enfanteur de son neveu; de ses périples sur les cargos transporteurs de containers; des bastons pour contrôler les caves stratégiques; les batailles incompréhensibles pour l'honneur de la bande. Il fut en cela poussé et aidé par un bibliothécaire ambulant, éducateur et prescripteur de l'expulsion écrite tentant d'éduquer la bétonnière.

Maryline se nouant les cheveux des rubans de ses prix universitaires, découvre la douceur de la force bestiale, les grands yeux de découvreur du monde, les grandes oreilles à l'écoute des peuples, les dents longues dévoreuses du savoir. L'instinct grégaire de la mère et de la femme naissante, protectrice d'une progéniture en déshérence, s'encanaillant dans une bestialité sublimée fit s'écailler le vernis de son  adolescence aseptisée.

A chaque rendez vous, de l'un découvrant l'autre, à la belle qui se fit préceptrice de l'étoile enfouie dans la noirceur du bas monde dont les lumières remontaient des enfers pour l'illuminer de la vraie vie. Tous deux complices d'une situation bancale les élevant au dessus des dessous des affaires incendiées et impropres à la consommation du bien vivre.

Encouragé par la bimbo spirituelle, l'écrivain poète du bitume, loup larsen du cargo container, s'essaya à la presse locale pour conter la beauté gracieuse de sa crasse sociale. Tout se para de refus mirifiques, sans laisser de doute sur la finalité de son obsession à des fins de non recevoir. 
Le loup généreux dans l'effort mais fatigué de tourner dans sa cage, s'en remit à sa maitresse pour un prête nom. Il en naquit, un conte des banlieues accroché à la une de l'hebdomadaire régional, sublimée par des titres pourléchant les babines du lecteur féru de sensations cendrillonesques. Semaine après semaine le succès avéré marqua la reconnaissance de l'écriture et creusa la désuétude du nègre au rôle de malfaiteur sous la photo de la belle écrivaine improvisée fée de la marge.

Tout n'allant pas de charybde à la fée bleue, une baston punitive exécuta le neveu qui rêvait de marcher dans les pas du grand frère idéalisé, cible de scylla du quartier rival. 
A ce point de l'histoire, la charge sociale aussi lourde qu'un passé de remords, édulcorée d'un avenir tracé par un ange à la sortie d'une beuverie, endeuilla la lucidité du prédateur. Acculé dans sa tanière, le coeur déconfit, l'amertume des larmes dans la bouche, la liste des actions déraisonnables émergèrent en feux d'artifice.

En ce matin de pluie battant le pavé, revêtu de sa plus belle salopette, le grand méchant loup au cœur d'artichaut descendit la cage d'escalier sous les yeux émerveillés du fan club. 
Dehors, remontant le sentier balisé sous le regard amusé des rondeurs, il se dirigeait vers le repaire du Scylla. Le petit chaperon rouge le suivait au plus près de ses peurs s'agrippant au grillage et pleurant son désarroi. 
Arrivé au quartier félon, un premier chien-loup fit barrage, mais Canis lupus est né dans l'imagination des plus fous et de ses canines rasoirs trancha net la carotide. Rien ne l'arrêtera dans sa quête du Ravaillac meurtrier, ni la profonde morsure lui arrachant un morceau de la cuisse, ni le bâton défonceur de son omoplate. 
Scylla démuni de devoir faire face à son adversaire, tomba sous le poids de la bête haineuse, qui lui arrachait le cœur du poitrail. 
Œil pour dent, un à un la meute des chiens déferla et fit tant et si bien qu'à la fin la belle vit disparaitre son bienveillant.

En cette fin de matinée, le soleil faisait timidement son apparition.

Dans la grande plaine entourant la citée, le vent dans les herbes imitait le bruit du loup qui s'en allait à pas feutrés.


Lcm


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