MigrateurS

Je suis épuisé. Je ne sais pas si je parviendrai là-bas. J'ai déjà perdu beaucoup de compagnons, victimes des prédateurs aux aguets. Toujours à l'heure pour profiter de cette nécessité vitale qui nous fait partir vers ces ailleurs dont seuls nos rêves se souviennent. Moi, pourquoi suis-je parti ? Je ne sais plus trop. Mieux manger ?... Être à l'abri de l'adversité ?... Prospérer ?...

Je suis au milieu de nulle part, affamé, ayant si peu d'espoirs que j'ai cessé d'être terrifié. Mais je continue, mélange d'instinct de survie et de revanche pour ceux qui ont été stoppés. Nous partîmes 3000, mais combien arriveront à bon port ? 500 ? 50 ?... un ? Quelle responsabilité pour ce UN, unique représentant d'une conscience, d'un rêve collectif qu'il devra tenter de faire survivre.

Je nage, concentré sur les mouvements que je perçois près de moi, troublant l'eau pleine de notre bouillonnement.

Revenu à la surface pour me gorger d'air, je les vois, à des centaines d'encablures, dans le ciel devant moi. On se croise. Je replonge, fais quelques efforts pour rejoindre ma communauté éparpillée, ou au moins sa marge, avant de réémerger. Là, soudain, je crois rêver. Un mirage, peut-être : j'ai si faim ! Et pourtant, la nuée de papillons qui s'approche, frénétique, frôlant l'eau, semble si réelle. Je replonge...
tant pis si je poursuis seul mon destin...
je reprends des  forces...
loin des miens... 
je rassemble mon énergie, et m'élance ! Gueule grande ouverte, je gobe tout ce qui vole ! Mais...

Tout à coup, un choc ! L'air se frotte à mes écailles ; je ne contrôle plus rien ; je m'envole !

Un dernier effort pour voir et comprendre... Non ! Pas dans ce sens ! J'en viens...

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