Mine de rien

rico

Ce qu’il faut savoir :

Cette pièce dure une heure quarante-cinq environ.

Le décor donné est minimal. Rien ne vous empêche de rajouter des crucifix, des meubles, lutrins, etc.

La pièce demande au moins trois femmes (Delphine, Hortense et Solange) trois hommes (Alphonse, Christophe et Jeannot). Les trois rôles restant (Marceline, Victorine et Lucienne) peuvent être tenus à mon sens par des hommes ou des femmes indifféremment.

Si vous décidez de jouer ce texte, il faut savoir deux choses :

D’abord, cette pièce est déposée à la SACD. Cela veut dire que, si vous la jouez, il faut la déclarer et payer des droits… Si vous ne savez pas comment faire – il y a des troupes qui me demandent… - n’hésitez pas à me contacter.

Ensuite, j’aime bien présenter sur mon site ( http://amatheus.chez-alice.fr ) et le blog de la pièce (http://minederien-piece.blogspot.com/) les troupes qui m’ont joué. Si vous la jouez, n’hésitez pas à me contacter pour m’envoyer des photos de la pièce, de la troupe…

En espérant que la lecture vous plaira !

N’hésitez pas non plus à m’écrire pour me dire ce que vous en aurez pensé…

Eric Beauvillain

ACTE I

Rien. Un tabouret. Quelque part, un vieux journal. Par terre, une écuelle.

 

1.

Delphine entre, suivie de Christophe, un sac de voyage à la main qu’il posera où il veut.

 

Delphine : Ah ! Non ! Non, ce n’est pas possible ! Comment as-tu pu me faire venir ici ?!

Christophe : Quoi ? On n’est pas bien ?

Delphine : Non ! En Martinique, on est bien. Sur les plages de la Costa del Sol, on est bien. Mais à Frampignolle les Barrichon, non ! Non, on n’est pas bien ! Dis-moi. Avoue. Qu’est-ce que tu as fait pour te retrouver ici ?

Christophe : Mais rien, je te l’ai dit…

Delphine : Une entreprise internationale qui vient s’installer à… Non, je ne peux même plus le dire. Tu as volé dans la caisse, c’est ça ? Tu leur as fait perdre des millions ? Ils t’ont puni !

Christophe : Arrête de t’énerver… Profite…

Delphine : Profite ? Mais profite de quoi ? Des cailloux qui traînent sur le chemin ? Haaaaan ! Le beau caillou ! En deux secondes, on en a fait le tour ! Je ne vais pas m’exclamer devant tous les cailloux que je rencontre, tout de même !

Christophe : Regarde le paysage… C’est beau, non ?

Delphine : Je n’aurai jamais aussi bien vu l’horizon ! Partout, de l’horizon ! C’est bien simple : il y a tellement rien par ici qu’il n’y a que de l’horizon ! On est au centre et tout le reste, c’est de l’horizon !

Christophe : Calme-toi… La campagne, c’est la tranquillité…

Delphine : Ça ! On est arrivé depuis deux minutes et j’ai déjà l’impression que le temps s’est arrêté. Même lui, il ne supporte pas d’avancer à Frampignolle les Barrichon !

Christophe : Détends-toi…

Delphine : Ah ! Oui ? Et comment ?

Christophe va feuilleter le journal, Delphine le regardera atterrée.

 

Christophe : Lis le journal local… Voyons voir… Fête de la vache ! C’est très bien, la fête de la vache… Et là ! Une sortie pédestre ! Ah ! Ils ont fait un bingo, la semaine dernière…

Delphine : Lis-moi vite ça : je tremble de curiosité !

Christophe : Ne le prends pas comme ça, c’est parfait ! C’en est même hilarant !

Delphine : Hilarant…

Christophe : Tiens ! Rubrique nécrologique.

Delphine : Rubrique nécrologique ! On va rigoler, avec ça !

Christophe : « Nous avons le plaisir de vous faire part du décès de madame Cochard… »

Delphine : Eh ! Ben, il ne devait pas l’apprécier, celle-là…

Christophe : « Ni fleurs, ni plaques, ni couronnes, ni photos. »

Delphine : Au moins, elle ne coûtera pas grand-chose…

Christophe : « Pas de cérémonie ». Pas de cérémonie ? Qu’est-ce qu’ils peuvent bien en faire ? Ils ne vont pas l’empailler, tout de même…

Delphine : Ils vont la bouffer !

Christophe : N’exagère pas…

Delphine : Mais je n’exagère pas ! Je n’ai pas l’impression de m’être déplacée dans le pays, j’ai l’impression d’avoir voyagé dans le temps ! On est au Moyen-âge, ici ! Ils vont la désosser et la mettre dans du sel pour l’hiver, oui !

Christophe : Allez, ne t’inquiète pas, je te promets que ça va vite passer…

2.

Alphonse entre.

 

Alphonse : B’jour.

Delphine : Aaaaah ! Christophe ! Un autochtone ! Fais quelque chose !

Alphonse : Eum’ suis dit, « Tiens, eun’ voiture ! ». Arrêtions-nous, pour voir euss que qu’ssion… (« ce que c’est »).

Delphine : Il a un air bovin ! Fais quelque chose, il est peut-être dangereux !

Christophe : Mais non ! Bonjour, mon ami. Entrez. Je vous aurais bien proposé quelque chose à brouter… A manger ! Pour vous accueillir, mais vous voyez : on vient tout juste d’arriver.

Alphonse : Ah ! Ben oui… Vous serions point les nouveaux, par hasard ?

Christophe : Si, si. C’est nous.

Alphonse : Ah ! Ben c’est c’que j’m’étions dit. Puisqu’y avions point d’voiture avant et qu’maint’nant, y’en avions une, eum’ suis dit : « Tiens ! Des nouveaux ! ».

Delphine : Et un esprit de déduction, avec ça…

Alphonse : Eh ! Ben, j’étions ben content, tiens ! Avec la mère Cochard qu’étions décidée, là… C’est qu’on n’étions plus que sept dans l’village…

Christophe : Décédée. Elle est décédée, pas décidée…

Alphonse : C’est ça ! Eul’ s’étions décidée à décéder !

Delphine : Vous n’êtes que sept dans le village ?!

Alphonse : Ben non…

Delphine : J’ai eu peur.

Alphonse : Avec vous, ça fait neuf ! C’est que ch’savions compter !

Delphine : Félicitations ! Depuis longtemps ?

Christophe : Arrête !

Delphine : C’est plus fort que moi.

Christophe : Nous sommes très heureux de vous rencontrer ! Je vous proposerais bien de vous asseoir mais…

Alphonse : Ah ! Ben c’étions point d’refus !

Alphonse s’assoit sur le tabouret. Christophe et Delphine ne savent pas où s’asseoir. Après un court temps :

 

Delphine : Il ne se gêne pas, lui ! Christophe ! Fais quelque chose !

Christophe : Oui… Je vous proposerais bien  quelque chose à boire mais on vient d’arriver. Je n’ai que l’eau du robinet…

Alphonse : Ah ! Ben d’accord.

Delphine : On n’a pas de verre. Merci d’être passé.

Alphonse : Ah ! Ben la gamelle, là, ce serions très bien.

Christophe et Delphine regarde l’écuelle. Echange de regards. Finalement, Delphine va chercher de l’eau avec.

 

Alphonse : Z’étions bien, ici, hein…

Christophe : Oui, oui… On vient d’arriver, mais on est très content. Surtout ma femme.

Delphine entre et lance un regard noir à Christophe. Elle donne l’écuelle à Alphonse qui boit bruyamment sous les yeux exorbités du couple. Il finira par s’essuyer la bouche avec sa manche avec un bruit de contentement.

 

Christophe : Je… Je vous ressers ?

Delphine : Je vous ressers ! Tu veux lui proposer un abreuvoir ?

Alphonse : Non, non. J’voudrions point abuser. Pis c’est qu’j’avions du travail, faudrions point qu’j’m’attarde…

Delphine : C’est ça.

Alphonse : C’est ça.

Alphonse ne bouge pas. Regards fixes entre Alphonse qui est content et Delphine qui voudrait le voir partir sans comprendre pourquoi il ne bouge pas.

Delphine : Alors merci d’être passé…

Alphonse : Ben j’vous en prie.

Alphonse ne bouge pas. Regards entre Delphine qui exhorte Christophe à faire quelque chose et Christophe qui ne sait pas quoi faire.

Alphonse : L’étions bien, eul’ tabouret, là…

Christophe : Oui, oui ! C’est parce qu’il est sur-équipé ! Avec trois pieds et un socle. Pour s’asseoir.

Alphonse : Ah ! Ben, oui, ben c’est pour ça…

Dans le dos d’Alphonse, Christophe et Delphine échangent de nouveaux regard et geste, dépassés par la situation.

 

3.

Marceline entre.

 

Marceline : Bonjour…

Delphine : C’est un moulin, ici !

Marceline voit Alphonse et va se mettre en colère, sans réaliser que Christophe est devant elle et prend tout pour lui.

 

Marceline : Mais c’est pas vrai !

Delphine : Tu connais madame ?

Marceline : Ben qué qu’ tu fiches là, traine-savates !

Christophe : Pardon ?

Marceline : Non, mais regardez-moi ce peigne-cul ! C’est que tu te croirais chez toi, foutriquet !

Christophe : Mais je suis chez moi…

Marceline : Mais quel bélître ! C’est qu’tu te permettrais de v’nir comme ça et de t’installer en pensant que personne ne va rien y dire ! Myrmidon !

Christophe : Ah ! Mais, pardon…

Marceline : Tu vas te bouger tout seul, crapoussin, ou il faut que je te mette en marche à coup de tatane dans le popotin ?!

Delphine : Madame ! Il est hors de question que vous touchiez à mon mari !

Marceline : Hein ? Ah ! Non, pas vous !! Bonjour, bonjour, vous ! Ça va-t-y ? C’est à ce paltoquet que je parle ! Dis voir, marmouset ! Je te paye pour me rentrer mon bois, gougnafier, pas pour que tu t’éventailles les arpiaux chez les gens ! Il ferait comme s’il ne m’entendait pas, ce pignouf ! Alors, tu vas te bouger, Nicodème ?

Alphonse : J’y vais, j’y vais… M’sieur, dame, scusez… J’avions du bois à rentrer.

Alphonse sort.

 

Christophe : Un moment, j’ai cru…

Marceline : Non, non, non, bonjour, bonjour. Ça va-t-y ? J’étais venu vous dire bonjour mais quand j’ai vu ce maroufle vautré chez vous, mon sang n’a fait qu’un tour, désolé ! Il va me rendre chèvre. Je sens déjà les cornes qui poussent, tiens ! Y’a rien à en tirer ! Quand je lui ai dit de venir me réparer mes volets parce qu’ils ne tenaient plus, ce corniaud a voulu me prouver que je me trompais. Résultat, il a basculé avec en voulant les ouvrir ! Le nez dans mes tomates, l’a bien été forcé de me croire, là ! Ah ! Je ferai greffer des pattes à mon bois qu’il rentrerait plus vite.

Delphine : Déjà, on vous comprend mieux que lui…

Marceline : C’est que je suis allée jusqu’en troisième, moi…

Delphine : Voyez-vous ça… On va pouvoir se faire de ces parties de scrabble tous les trois…

Marceline : De quoi ?

Christophe : Laissez…

Marceline : Quéqu’je voulais dire, moi ? … Ah ! Oui !

4.

Victorine entre.

Victorine : Bonjour ! Bonjour !

Delphine : Non, mais faites comme chez vous !

Marceline : Faut toujours qu’on soit interrompu…

Victorine : Alors c’est vrai ! Il y a des gens de la capitale qui sont venus ! Vous allez venir ici ? Ah ! Quand j’ai vu votre voiture, je me suis dit, y’a pas Victorine, lance-toi, c’est ta chance de ta vie !

Marceline : Oui, et maintenant

Victorine : Non, parce que moi, la capitale, j’en rêve ! J’en peux plus, d’ici ! Je veux partir !

Delphine : C’est l’impression que j’ai eue en arrivant !

Christophe : Laisse…

Marceline : Non, mais

Victorine : Moi, mon rêve à moi, dans ma tête, c’est d’aller à la capitale. Oh ! Pas pour tenir une boutique, quelque chose comme ça, hein, non, c’est pour faire vedette.

Marceline : Comme les bateaux, c’est très bien. Maintenant

Victorine : Vous voyez comme je suis traitée, ici ? On se moque, on ne veut pas que je devienne une star !

Marceline : Mais non, mais je

Victorine : Alors que moi, je le sais, je suis faite pour être vedette ! Vous avez vu mon entrée ? Vous voulez que je la refasse ?

Delphine : Ce n’est pas la peine.

Victorine sort.

 

Christophe : Si ça lui fait plaisir…

Delphine : Visiblement, on n’a pas le choix…

Marceline : Vous savez, elle

Victorine entre.

 

Victorine : Bonjour ! Bonjour ! Vous avez vu le dynamisme ? L’envie ? C’est que je travaille ça depuis des semaines !

Delphine : Si le texte n’est pas plus long, ça ira…

Christophe : C’est… C’est très bien…

Marceline : Bon, alors maintenant

Victorine : Non, mais c’est que je travaille d’autre choses aussi ! Vous voulez que je vous montre ?

Delphine : Ce n’est pas la peine…

Victorine : Je me concentre…

Christophe : Si ça lui fait plaisir…

Delphine : Visiblement, on n’a toujours pas le choix…

Marceline : Bon, Victorine, maintenant

Victorine (jouant excessivement mal)  : Vous déguisez en vain une chose trop claire :

Je vous vis encore hier entretenir Valère ;

Et l’accueil gracieux qu’il recevait de vous

Lui permet de nourrir un espoir assez doux.

Victorine salue.

 

Delphine : Jésus, Marie, Joseph !

Marceline : Bon, alors maintenant

Victorine : Alors ? Qu’est-ce que vous en pensez ?

Delphine : On doit vraiment répondre ?

Christophe : C’était… Très bien.

Delphine : Ce qu’il ne faut pas entendre…

Victorine : Et je connais la suite aussi. Enfin, presque. Vous voulez que je la fasse ? Je me suis entraînée, vous allez voir si je ne peux pas devenir vedette aussi, moi !

Marceline : Bon, Victorine, ça va bien, maintenant !

Victorine : Vous voyez ? Vous voyez ce que j’endure ?

Marceline : Mais si tu pars… Qui qu’c’est qui va nous faire le spectacle du village, hein ?

Victorine : Boh… Maintenant que la mère Cochard est morte, hein… Pis je vaux plus, moi ! Je ne veux pas faire un spectacle que pour le village ! Je veux être connue dans toute la capitale ! Alors ? Vous m’emmenez avec vous ? Vous allez me faire voir des gens célèbres ?

Christophe : C'est-à-dire…

Marceline : Mais laisse-les donc un peu tranquille ! En plus, je voulais leur dire… Quéqu’je voulais dire, moi ? … Ah ! Oui !

 

5.

Hortense entre.

 

Hortense : Où s’qu’il est-y encore fourré ce zoziau-là !?

Delphine : Encore une !

Marceline : Allons bon !

Hortense (à Victorine) : Et qué qu’tu fiches là, toué ? Au lieu d’aller chercher de l’eau à la rivière ! Tu crois qu’elle va nous faire un raz-de-marée jusqu’à la maison, feignasse ? C’est-y qu’tu vas y aller ou qu’on va d’voir attendre la prochaine pluie ?

Victorine : Vous voyez ? Vous voyez ?! On ne respecte pas les artistes ! (dramatique et récitant (mal) Victor Hugo :) Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, je partiraiiii

Hortense : Oui, ben n’attend pas l’aube, vas-y don’ maintenant !

Victorine sort, vexée et « grande tragédienne ».

Marceline : Qué qu’tu cherches donc, l’Hortense ?

Hortense : Mon bonhomme ! C’est pas Dieu possible qu’il est jamais là où c’que j’le cherche ! Dès qu’tu penses qu’il est quéqu’part, ben il y est pas ! (elle crache par terre)

Delphine : Non, mais dîtes !

Christophe : Laisse…

Marceline : Ben t’as qu’à le chercher directement là où tu penses qu’il est pas, tu gagneras du temps…

Hortense : Y s’rait bien capable de pas y être non plus, te penses ! Ça, pour m’éviter, c’est qu’il est champion, l’animal ! (elle crache par terre)

Delphine : Non mais ça suffit ?!

Christophe : Laisse, je te dis… Ainsi, vous êtes la femme de Nicodème ?

Hortense : Quéqu’y dit, çui-là ?

Christophe : Nicodème… Le monsieur qui vient de partir…

Marceline : Aaah ! Oui. Mais il s’appelle Alphonse !

Delphine : Ben pourquoi vous l’appelez Nicodème, alors ?

Marceline : Un « nicodème »… Un balourd si vous préférez…

Delphine : C’est un autre monde, c’est une autre langue…

Hortense : C’est-y donc qu’vous l’auriez vu ?

Christophe : Il était là il y a cinq minutes…

Marceline : Je l’ai envoyé me rentrer du bois.

Hortense : Ah. Ben si qu’c’est pour toi, ça va. Je veux bien te le prêter, alors…

Marceline : Dis ! Je le paye !

Hortense : Même, j’m’en veux bien te le prêter la nuit, si qu’t’as besoin ! Il fait un bruit, j’ai l’impression de dormir avec un cochon !

Delphine : C’est vendeur, ça…

Marceline : Non, ça va aller…

Hortense : Bon, ben qu’si tu r’vois c’t’incapable, t’y diras de repasser par la maison rapport à la cuisinière à bois qui fume, j’arrive pas à faire à manger, moué ! Le canard, ça va être du canard fumé à ce rythme-là ! (elle crache par terre)

Delphine : Non, mais oh !

Christophe : Laisse, je te dis…

Hortense : Mais te pense… T’peux toujours essayer : tout c’que j’peux y demander, y’a d’l’eau qui coulera sous les ponts avant qu’je l’aye ! (elle crache par terre – mouvement outré de Delphine, mouvement de « Laisse » de Christophe) Tiens, l’eau ! « J’te mettrai l’eau courante », qu’y m’disait pour m’attirer… Quarante ans qu’elle courre, l’eau ! Mais pas chez moué, j’peux t’le dire ! (elle crache par terre – mêmes réactions du couple)

Marceline : Oui, alors à propos de dire… Ce que je voulais vous dire…

Hortense : Ce s’rait-y les nouveaux ?

Marceline : Eh ! Ben, j’y arriverai pas…

Christophe : Oui, enchanté.

Delphine : Enchanté… Il y a des limites !

Hortense : J’espère que vous f’rez pas d’bazar, au moins ! Parce que nous, on est habitués à la tranquillité !

Delphine : On avait cru remarquer…

Hortense : Déjà qu’on a eu la mère Cochard qu’était sourde comme un pot et qu’écoutait son poste jusqu’à point d’heure que même le village d’à côté d’vait l’entendre ! (elle crache par terre)

Delphine : Ça va bien, maintenant !

Christophe : Laisse…

Hortense : Alors faudrait voir à pas vous faire plus remarquer qu’il le faut parce que moué, je sais encore manier la fourche et qu’si qu’vous faites du bazar qu’on s’rait plus tranquille, j’hésiterai pas à venir vous la piquer dans l’

Christophe : Oui, oui, oui, oui, oui ! C’est bien noté !

Delphine : Accueillante avec ça !

Marceline : Laisse-les donc, l’Hortense ! Ils ne t’ont encore rien fait…

Hortense : Ben qui z’essayent pas parce que moué, je lâche les chiens ! C’est pas à mon âge que je vais me laisser embêter par des gens qui vont pas m’apprendre à faire des grimaces, c’est-y clair ?

Christophe : Comme de l’eau de roche.

Hortense : Ou de l’eau courante. Que j’ai toujours pas. Faut que j’retrouve mon zoziau pour y dire de r’passer à la maison voir la cuisinière, moué !

Hortense sort.

Christophe : Eh ! Ben ! Elle est encore dynamique pour son âge !

Marceline : Ça veut dire quoi, ça ? On a le même âge, elle et moi !

Christophe : C’est… Alors qu’on dirait que vous êtes sa fille !

Marceline fait sa flattée.

 

Delphine : Ce qu’il ne faut pas entendre…

Marceline : Charmeur, va… Bon, quéqu’je voulais dire, moi ? … Ah ! Oui !

6.

Lucienne entre.

 

Lucienne : Ils sont là ! Ils sont arrivés ! Hosanna ! Ils sont là !

Marceline : C’est-y donc qu’ils ne me laisseront jamais finir !

Delphine : On commencerait presque à s’habituer…

Lucienne : Alléluïa ! Le Seigneur a dit, laissez venir à moi les petits enfants alors venez ! Venez à moi, venez à nous ! Non pas que vous soyez de petits enfants, non… Ni que je me prenne pour le Seigneur… Mais l’idée est la même.

Delphine : C’est pareil en étant totalement différent, en gros…

Lucienne : Ah ! Que je suis heureuse ! Ah ! Que ce jour est faste et grandiose ! Vous êtes le signe, vous êtes le Renouveau ! Tel Jésus portant la croix et se relevant pour la seconde fois, votre venue au village va nous permettre de repartir vers des jours heureux ! Non pas que nous nous prenions pour Jésus ou que vous soyez la croix. D’ailleurs, en se relevant, il n’est pas reparti non plus vers des jours plus heureux…

Delphine : Du coup, ça ne veut strictement rien dire…

Christophe : Laisse… Nous aussi, nous sommes contents d’être ici.

Delphine : Tu parles !

Lucienne : Ooooh ! Oh ! J’ai une idée merveilleuse ! Et si tous ensemble, nous nous prenions la main pour prier le ciel de nous avoir envoyé ce miracle : votre venue ! Ça vous dit ?

Christophe : C'est-à-dire…

Delphine : Non merci, j’essaye d’arrêter.

Marceline : Bon, Marie-Madeleine, si ça ne te gêne pas, je voudrais leur parler.

Lucienne : Mais je comprends ! Je comprends !

Christophe : Marie-Madeleine, bien sûr, ce n’est pas son prénom ?

Marceline : Ah ! Ben vous voyez, vous vous y faites à la vie de la campagne !

Lucienne : Nous avons tous envie de leur parler, de les remercier ! Merci ! Merci d’être venue apporter la vie pour qu’elle reprenne le dessus sur la mort !

Marceline : Oui, bon !

Lucienne : Car nous foulons, mes amis, le lieu où est morte feu madame Cochard !

Marceline : Tais-toi donc, tu vas nous les effrayer !

Christophe : Ah ! Parce qu’elle est morte ici ?!

Delphine : C’est ici que tu veux me faire vivre ?

Lucienne : Ne sentez-vous pas la chaleur de son âme qui pèse sur nous et qui nous remercie ? Qui vous remercie ! Vous exorcisez les souffrances qu’elle a subies dans ses derniers instants ! Vous effacez les traces de douleur qu’elle a laissées dans ces murs !

Delphine : On s’en va !

Marceline : Non, mais elle exagère… Ses derniers instants n’ont duré… Ben qu’un instant, en fait. Avant, c’était les avant-derniers instant, ce n’est pas pareil…

Delphine : Elle a dit qu’elle était morte dans la douleur !

Marceline : Son genou ! Rien de grave ! Une piqûre de moustique… Ça la grattait à peine. Il faut toujours qu’elle exagère…

Lucienne : Bien sûr ! Bien sûr, excusez-moi. Je voulais vous accueillir dans la joie du Tout-Puissant et… Oooooh ! Oh ! J’ai une idée ! Si tous ensemble nous nous recueillions pour louer le Ciel de votre venue ? Unis dans le recueillement, ce que ça va être bien !

Marceline : Oui, d’accord, ben une autre fois ! N’en fais pas trop non plus, Bernadette...

Christophe : Bernadette, ce n’est pas…

Marceline : Non. C’est Lucienne.

Lucienne : C’est vrai. C’est vrai, c’est vrai, c’est vrai… Je m’en vais plutôt allumer un cierge à la pérennité de votre venue parmi nous. Un grand et fort pour vous. Et un de ces merveilleux petits cierges ronds pour vous.

Delphine : Ça veut dire quoi, ça ?

Lucienne : Oh ! Que je suis heureuse de vous rencontrer ! Que nous allons vivre des soirées palpitantes, ensemble !

Lucienne sort.

 

Christophe : Parce qu’on va passer des soirées avec elle ?

Marceline : Meuh non, meuh non… Vous zinquiétez donc pas. Elle papillonne parce que la prochaine messe sera dimanche à Saint-Périgny sur Franchepoise. Elle en est toute excitée d’avance…

Delphine : Elle m’a traité de petite grosse, je n’ai pas rêvé ?

Marceline : Meuh non, meuh non… C’est juste qu’elle n’a que deux sortes de cierges, vous zinquiétez pas. C’est pas l’tout, quéqu’je voulais dire, moi ? … Ah ! Oui !

7.

Jeannot et Solange entrent. Solange porte un plateau avec des petits biscuits secs.

 

Jeannot : Madame, monsieur !

Solange : Droit, Jeannot, droit !

Marceline : Vous vous êtes donné le mot pour me couper dès que je me souviens de ce que je veux y dire, alors !

Jeannot : Oh ! Tu es là… Madame, monsieur ! Maman.

Solange : Oublie ta mère, Jeannot ! C’est à la foule que tu parles !

Jeannot : Cher tous. C’est avec émotion que je viens à votre rencontre car je tenais à être le premier à venir vous saluer.

Marceline : Oui, ben c’est perdu : tout le village a défilé avant toi !

Jeannot : Ben comment c’est possible ? C’est moi le maire…

Solange : Oui ! C’est lui le maire ! Bonjour, je suis la femme du maire…

Jeannot : Tu vois, je t’avais dit qu’on devait se dépêcher ! Tes gâteaux, on aurait pu s’en passer !

Solange : Mes gâteaux, ils auraient été prêts à temps si tu savais t’habiller tout seul !

Jeannot : Oh ! Oh ! Mais je sais m’habiller, moi ! Mais ce n’est jamais à ton goût !

Solange : Mais évidemment ! Le caleçon gris pour un accueil !

Marceline : Bon, on s’en fiche ! Personne ne le voit son caleçon !

Jeannot : Ah ! Merci maman !

Solange : Evidemment, vous…

Delphine : Ce n’est pas un village, c’est un asile de plein air !

Christophe : En tout cas, nous sommes très touchés de votre attention.

Solange : Ah ! Tu vois ? Avec le caleçon gris, ils auraient été moins touchés, j’en suis sûre !

Jeannot : Mais puisque maman dit que de toute façon, il se voit pas !

Marceline : Dîtes ! Vous avez fini votre duo de clown ?!

Solange : Le discours, Jeannot, le discours !

Jeannot : Cher tous. C’est avec émotion que je viens à votre… Ben je l’ai déjà dit, ça...

Solange : La suite, Jeannot, la suite ! « Notre commune… »

Solange va dire le discours de façon muette en même temps que Jeannot.

 

Jeannot : Ah ! Oui… Notre commune en plein essor est toujours ravie d’accueillir de nouveaux visages. Et c’est pourquoi, mêlé de joie et de fierté, que nous allons vous chanter notre hymne d’accueil.

Jeannot et Solange se placent difficilement.

 

Marceline : Quand il s’agit de faire les pitres, ces deux-là…

Delphine : Je crains le pire…

Christophe : Laisse… C’est charmant.

Delphine : Charmant.

Jeannot et Solange (sur n’importe quel air que l’on choisira pour peu que les phrases fassent douze pieds car tous les « e » dans cette chanson se prononcent) :

Ô ! Bienvenue, bienvenue, bienvenue à toi !

Jeannot : Parce que normalement, on chante pour une personne…

Solange : La suite, Jeannot ! La suite !

Jeannot et Solange :

Ô ! Tu seras bien de par chez nous, tu verras.

Tu vois notre grande joie dans notre chanson,

Bienvenue à Frampignolle les Barrichon !

Delphine : Au secours !!!

Christophe : Laisse… C’est très prenant !

Solange : C’est moi qui ai écrit les paroles. Je dois avouer que je ne suis pas mécontente…

Marceline : Eh ! Ben…

Jeannot : Le refrain, Solange ! Vous allez voir, c’est en patois.

Jeannot et Solange : Pernich’ al ti bernivé lé cantillonou

Jeannot : Ce qui veut dire « bienvenue par chez nous ».

Solange : Coupe pas le refrain, Jeannot !

Delphine : Mais qu’est-ce que tu as fais pour qu’on arrive ici ?!

Jeannot et Solange : Terno capiti balivnio al bacarou !

Jeannot : Ce qui veut dire « j’espère que tu te sentiras ici comme chez toi» mais avec la rime, mais c’est un peu plus complexe, parce qu’en fait capiti veut aussi dire

Marceline : Oui, bon, c’est fini ? C’est-y que je peux leur causer sérieusement ?

Solange : Alors pour vous accueillir, je vous ai fait des petits gâteaux. Les violets, c’est au chou rouge, les bruns sont à la racine de chêne, je ne vous dis pas la difficulté pour les récolter ! Et les noirs, ils sont cramés mais si tu savais t’habiller aussi !

Jeannot : Mais je sais m’habiller tout seul !

Solange : Allez-y ! Allez-y ! Prenez !

Christophe se sert, Delphine aussi mais à contrecœur.

Marceline : Ah ! Non ! Non, non, pas moi ! Je n’ai rien fait, moi ! Enfin, je veux dire… Ma ligne…

Jeannot et Solange attendent visiblement l’avis des nouveaux qui se sentent obligés de goûter ce qu’ils tentent de faire sans trop grimacer…

 

Christophe : Ah ! C’est… Rrrrr… C’est…

Delphine : Va me mettre de l’eau dans l’écuelle !!!

Christophe s’exécute et reviendra avec une écuelle pleine d’eau dans laquelle Delphine boira. Pendant ce temps, les autres discutent :

Marceline : Mais quéqu’tu veux déjà nous les empoissonner ! A peine installés qu’elle veut nous les envoyer au cimetière, celle-là !

Solange : On sera tous bien content de vous y accompagner le jour où vous voudrez bien vous y rendre !

Marceline : Oh ! Harpie !

Solange : Carogne !

Jeannot : Oh ! Ben non, eh ! Maman ! Arrête d’y dire qu’elle cuisine mal !

Marceline : Mais c’est elle…

Jeannot : Et toi arrête d’embêter maman !

Solange : Mais c’est elle qui…

Jeannot : Non, non, non, on fait la paix.

Solange et Marceline font la paix.

Marceline : Il ira loin, ce petit. Il est doué.

Jeannot : Oui… Je voudrais être cantonnier.

Christophe : Cantonnier ?

Delphine : Mais pas cantonnier ! Tu veux gagner aux cantonales !

Jeannot : Oui, c’est ça. Vous savez que j’ai pour projet

Marceline : Oui, bon, c’est pas le tout, mais je voulais vous dire… Quéqu’je voulais dire, moi ? … Ah ! Oui !

S’attendant à ce qu’on lui coupe la parole, Marceline regarde la porte d’entrée, imitée par tout le monde. Ne voyant rien arriver, elle poursuit.

Marceline : Ben non, tout le monde est passé… Faudrait qu’ceux du village à côté viennent vous y dire bonjour, bonjour aussi… Bon. Alors oui, alors, la tradition veut que les nouveaux arrivés viennent manger chez la doyenne le premier soir. Et vu que la doyenne, c’est moi depuis la mort de la mère Cochard, vu que j’ai cinquante neuf ans… Et soixante six mois… Et surtout depuis que l’Hortense veut plus avouer que c’est elle la plus vieille…

Jeannot : Au fait, maman !

Marceline : Dis-donc, toi !

Solange : Si tu tiens de ta mère pour la concision, heureusement que c’est moi qui écris tes discours !

Marceline : Dîtes-donc, vous ! Je vous entends !

Christophe : Nous serons ravis de venir.

Delphine : Pardon ?

Marceline : Ah ! Bah, très bien ! Alors puisque c’est d’accord, je vais m’y mettre ! C’est qu’une salade de limaces, ça ne se prépare pas comme ça !

Jeannot : Une salade de limaces ?! Chouette !

Solange : Dis tout de suite que je ne sais pas les faire…

Delphine : Une salade de… C’est une blague ?

Marceline : C’est comme les escargots mais on ne s’embête pas avec la coquille… Viens m’aider, toi ! Et vous aussi, si vous n’avez plus d’hymnes idiots à composer parce que celui pour le décès de la mère Cochard, merci !

Solange : Qu’est-ce qu’elle avait mon ode à la mère Cochard ?!

Marceline : Elle l’aurait fait se redresser comme un piquet, la mère Cochard, si on n’avait pas si bien riveté le cercueil !

Solange : Oh ! Mais dis quelque chose, toi !

Jeannot : Ah ! Ben qu’est-ce que tu veux que je dise ?

Marceline : D’ailleurs, si ça se trouve, elle l’a fait et maintenant, elle gratte l’intérieur par votre faute, à c’t’heure !

Jeannot : Très bien !! Très bien, très bien ! On fait la paix, la paix, la paix. On va vous laisser, on se revoit ce soir. Venez, venez.

Marceline : C’est ça, à ce soir.

Solange : Je vous laisse les gâteaux si vous voulez vous resservir. N’hésitez pas.

Marceline, Solange et Jeannot sortent.

Delphine : Qu’est-ce que je t’ai fait ? Qu’est-ce qui t’a pris d’accepter leur invitation à manger… Des limaces ! Et qu’est-ce qui t’as pris de me faire venir ici, tout simplement ?!

Christophe : Laisse, je te dis…

Delphine sort vers la salle d’eau, désespérée.

Christophe (le sourire entendu) : Tout est parfait ! Mieux que je ne pouvais l’imaginer…

Noir

ACTE II

L’acte se déroule devant le rideau. La scène est installée pendant cet acte pour l’acte III.

 

1.

Christophe et Delphine entrent. Delphine a le manteau, les chaussures à haut talon et les mains maculés de boue fraiche.

 

Delphine : Je retire ce que j’ai dit : il n’y a pas que de l’horizon, il y a une forêt. Et des flaques de boue !

Christophe : Evidemment, tu as vu avec quoi tu marches ?

Delphine : C’est de ma faute en plus s’ils ne nettoient pas leur forêt ?!

2.

Marceline entre.

Marceline : Tiens ! Les citadins… Vous faites connaissance avec la nature, à ce que je vois…

Delphine : On a été présenté, oui.

Christophe : C’est formidable, rafraîchissant, on se ressource ! Hein, ma… (ayant croisé le regard noir de Delphine, Christophe n’essaye même pas de finir la phrase)

Marceline : Tant mieux, tant mieux ! Vous n’en aurez que plus faim tout à l’heure ! Je ramasse juste quelques scarabées : il a plu, ils sont de sortie. On a beau dire, hein, mais écrasés et passés au tamis, ça fait un sirop excellent ! Vous m’en direz des nouvelles !

Delphine : Vous savez en quelle année on est ? En quel siècle ?!?

Christophe : Arrête…

Delphine : Je demande.

Christophe : Ce sera parfait !

Marceline : Et puisque vous prenez l’air, vous allez avoir de l’appétit, je vais vous rajouter un plat, tiens ! J’ai trouvé un lapin mort par là-bas. Je voulais le laisser faisander, mais allez ! Je vais bien le faire cuire, on ne risquera rien ! Tiens : je vais le mettre au four tout de suite, on le mangera après le dessert, ce sera parfait.

Christophe : C’est très gentil.

Delphine : Et il trouve ça gentil !

Marceline : Bon, bon, bon, je vous laisse parce qu’il faut encore que je cueille des baies pour le dessert. Il a plu, elles seront lavées de l’urine des renards, c’est le meilleur moment pour les ramasser. Promenez-vous bien ! D’ailleurs, si vous tournez là-bas après l’arbre… Vous le voyez ?

Christophe : Lequel ?

Delphine : Il n’y a que ça des arbres, ici…

Marceline : Là-bas… Pas le petit, l’autre…

Delphine : Avec ce genre d’indication, on est sûr d’arriver…

Marceline : Mais si ! A côté du petit… Eh ! Ben vous tournez et là, vous verrez !! … Il y a une clairière !

Delphine : Youhou… Une clairière…

Christophe : Merci, c’est très gentil…

Marceline : Allez, à tout de suite, je me dépêche de rentrer.

Marceline sort.

 

Delphine : Il est hors de question que je mange quoi que ce soit de ce qu’elle aura préparé !

Christophe : Avec ça, j’ai oublié de lui demander comment on allait chez elle… C’est tout de même sa maison qu’on était parti chercher…

Delphine : Mais je n’ai pas l’intention de m’y rendre, tu entends ?! Je n’ai aucune envie d’aller chez cette sauvage !

Christophe : Bon, si tu le prends comme ça, je vais être obligé de t’avouer quelque chose…

Delphine : Je le savais bien !

3.

Alphonse entre.

Alphonse : Aaaaaah !

Delphine : Allons bon, voilà l’autre !

Alphonse : Crétoudiou ! C’étions qu’vous ! V’pouvions dire euqu’m’aviez fichu la frouille ! La trousse !

Christophe : La fouille. Tousse. Touille. Ah !

Delphine : Trouille !

Christophe et Alphonse : Merci.

Delphine est effarée.

 

Alphonse : C’étions ça ! J’avions cru euqu’c’étions ma bergère, tudiou ! J’en avions encore eul’cœur qui battions à dix à l’heure !

Delphine : Dix à l’heure, ça ne fait pas vite…

Alphonse : Ben quin ! Essayions don’ d’marcher dix kilomètres en une heure, té, vous verrions bien !

Christophe : Ben oui, au lieu de dire des bêtises… (Delphine est encore plus effarée) Et sinon, mon brave… Mon ami… Mon…

Alphonse : Alphonse !

Christophe : Mon Alphonse.

Delphine : Alphonse à dix à l’heure ! Il n’aura pas d’accident à cette allure…

Christophe : Arrête... Dîtes-moi, Alphonse.

Delphine : Tête baissée ! Alphonse tête baissée, t’auras l’air d’un coureur…

Christophe : Nous cherchons comment aller chez Marceline… On devait prendre le pont mais je crois que ce n’était pas le bon…

Delphine : Alphonse les sourcils… A l’est pas content !...

Christophe : Arrête !

Alphonse : Z’étions perdus ? Ben qu’c’étions point compliqué ! Pour s’en sortir, fallions suivre eul’ soleil…

 

Alphonse va lever la tête et tourner lentement sur lui-même quelques secondes, imité par Christophe et Delphine qui ne savent pas trop quoi regarder…

Alphonse : Eul’ problème, quand qu’on étions perdu dans eul’ forêt, c’est euqu’on n’voyons pas eul’soleil…

Christophe : C’est moins pratique, en effet…

Delphine : Alphonse dans le mur, là… Kaput, l’Alphonse…

Christophe : Arrête !

Alphonse : Ou alors, euqu’fallions r’garder la mousse qui poussions autour d’eul’ tronc…

Alphonse regarde autour de lui la mousse des arbres – Delphine est au summum de l’effarement, Christophe ne sait comment l’interrompre. Rapidement, Alphonse enchaîne.

 

Alphonse : Mais eul’ problème, c’étions euqu’y en avions tout l’tour, de la mousse ! Eul’ mieux, pour al’ prochaine fois : ne vous perdions point en forêt !

Christophe : Je note.

Delphine : Vous l’avez fumée ou mangée, la mousse, pour dire des trucs pareils ?

Christophe : Arrête ! Mais pour en revenir à la maison de Marceline…

Alphonse : Apristi ! C’coup-ci, c’étions ma régulière ! Surtout : m’avions point vu !

Alphonse sort. Delphine salue :

 

Delphine : Alphonse enfant de la patriiiiieuh !

Christophe : Mais tu vas arrêter de te moquer comme ça ?!

Delphine : Non !!! Je craque ! Je deviens folle, ici ! Je veux retourner en ville ! Je te préviens, c’est une cause de divorce !

Christophe : Bon, écoute-moi bien, je vais tout t’expliquer.

4.

Lucienne et Hortense entrent.

 

Lucienne : Ooooooh !

Delphine : Et ça continue…

Lucienne : Quelle rencontre merveilleuse ! Vous ici, en communion avec la nature !

Delphine : On a bien communié, oui…

Christophe : Ravi de vous revoir.

Hortense : Ben ça ! Faut faire attention quand qu’il a plu par ici, parce que c’est tout bouilleux… (elle crache par terre)

Delphine : J’avais remarqué.

Lucienne : Mais c’est merveilleux ! Ces retrouvailles entre les éléments, la terre sacrée recevant l’eau bénite, pour se mêler l’une à l’autre comme par miracle ! Prenons-nous la main et chantons le psaume de l’eucharistie, page 73…

Hortense : C’est-y qu’tu vas nous donner la messe ou qu’on peut s’en r’tourner à c’qu’on a à faire ?!

Lucienne : Oui, pardon… (l’air contrit de devoir les abandonner :) Excusez-nous, nous devons ramasser quelque brindilles pour entretenir le feu d’Hortense. (pensant soudain qu’il peut y avoir un malentendu :) Mais rassurez-vous ! Le feu de sa cuisinière, pas son mari ; il se porte bien.

Hortense : Il se porte bien, ce corniaud, parce que j’y ai pas encore remis la main d’ssus ! C’t’aliboron, pour arrêter la cuisinière de fumer, a rien trouvé d’mieux qu’d’y j’ter un seau d’eau ! Et qu’j’y disais d’arrêter mais qui continuait c’te bourrique ! Alors, qu’non seulement, ça fumait plus encore, mais qu’il m’a tout éteint ce bec-jaune ! (elle crache par terre)

Lucienne : Allons ! Allons ! Paix aux hommes de bonne volonté… Car c’est pour te venir en aide qu’il a bravement défié le feu… Oui, mes amis ! Oui, vous l’entendez ! Il a donné de sa personne pour sauver son prochain ! Alléluïa !

Hortense : C’est-y qu’tu s’rais complètement ravagée de d’dans ta tête, toi ? C’est une baluche et rien d’autre ! Non seulement qu’il m’a tout éteint mon feu, ce gnaf, mais qu’il a usé le seau d’eau, c’te niquedouille ! La gamine a dû y retourner !

Lucienne : Euh… Heureux les simples d’esprits car le royaume des cieux leur appartiendra…

Hortense : Ah ! Ben qu’y risque d’en avoir plusieurs hectares, ce Roussin d’Arcadie ! (elle crache par terre)

Lucienne : Mais il faut apprendre à pardonner, à être en plénitude avec ceux qui nous entourent comme le Tout-Puissant accepte nos défauts… Hosaaaaannah, hosaaaaaa…

Hortense : Rien du tout, c’t’un balourd et y’aura jamais rien à tirer de c’te cornichon ! C’est-y qu’tu vas nous réécrire tout un évangile ou qu’tu vas finir par m’aider ?!

Lucienne : Oui, oui. Allons dans la béatitude de la recherche ramasser ces morceaux de bois morts avant qu’ils ne retournent à la poussière…

Hortense : Ah ! Ben avec la mère Cochard, c’est qu’ça avançait plus vite… Pardon, m’sieur, m’dame…

Hortense sort.

 

Lucienne : Je dois y aller mais sachez que notre rencontre impromptue restera gravée dans ma mémoire et dans mon cœur à jamais. Au plaisir de se revoir tout à l’heure… J’arrive !!!

Lucienne sort.

 

Delphine : Ils sont complètement à la masse, ici !

Christophe : Mais c’est parfait ! C’est merveilleux ! Plus beau que ce que je pouvais espérer !

Delphine : Je commence à me poser la question ! Tu m’as l’air de devenir aussi fondu qu’eux !

Christophe : Il faut que je t’explique…

Delphine : J’aimerais bien.

5.

Jeannot et Solange entrent.

Jeannot : Mes amis, mes amis !

Delphine : Sept habitants, des kilomètres carrés de néant et on n’arrête pas de tomber sur eux !

Christophe : Monsieur le maire…

Solange : Et moi. Je suis la femme du maire. Vous vous souvenez ? Les petits gâteaux…

Delphine : Ça, pour s’en souvenir !

Christophe : Fameux. Exquis.

Solange : Ce n’était rien, vous savez… Un peu de farine d’écorce, un peu de tannin pour faire monter…

Delphine : J’aurais préféré ne pas savoir !

Christophe : C’est ça ! Ce petit fumet de tannin…

Solange : Ton discours, Jeannot, ton discours !

Jeannot : Mais tu es sûre que c’est nécessaire ? Personne ne se présente jamais contre moi pour être maire…

Solange : C’est pas une raison, Jeannot ! Faut pas perdre la main !

Solange récitera silencieusement pendant que Jeannot parle.

 

Jeannot : Vous savez… Depuis que je suis petit, ici, c’est un chemin de terre dans la forêt. Rien de plus. Et bien si vous votez pour moi aux prochaines élections, j’en ferai une allée.

Solange : Une ruelle, Jeannot ! Une ruelle !

Jeannot : J’en ferai une ruelle…

Solange : De l’assurance, Jeannot !

Jeannot : J’en ferai une ruelle de l’assurance…

Solange : Mais non, enfin ! Parle avec fermeté !

Jeannot : Ah… J’en ferai une ruelle !! Que dis-je, une ruelle ? Une rue ! Que dis-je, une rue ? Une avenue ! Que dis-je, une avenue ? Un boulevard ! Et qui sait…

Jeannot ayant un trou se tourne vers sa femme qui lui souffle.

 

Jeannot : Et qui sait !? Peut-être lui donnerons-nous votre nom…

Solange : Et ça, s’il vous le dit, vous pouvez y compter, parce que mon Jeannot… Enfin, monsieur le maire n’a qu’une parole ! C’est déjà lui qui a créé la fête de la pleurote ! Il l’avait dit, il l’a faite, la fête !

Jeannot : Pis c’est pas rien !

Solange : Alors, voyez ! N’hésitez pas à voter pour lui ! Hop, on y va, Jeannot, on y va !

Jeannot : Comme ça ?

Solange : Oui, faut les laisser sur un moment fort !

Jeannot : Ah ! Bon… M’sieur-dames…

Jeannot et Solange sortent.

 

Delphine : Ce ne sont que des prototypes ? Ils ne peuvent pas être fini, là ?!

Christophe : Et avec ça, on n’a pas demandé comment trouver la maison de Marceline…

Delphine : Mais on s’en tape puissance mille de la maison de Marceline ! Ton explication a intérêt à être phénoménale si tu veux que je te pardonne ça un jour !

Christophe : Ahaha ! Tu vas voir que tout s’explique !

6.

Victorine entre.

 

Victorine : Oh ! Bonjour ! Bonjour !

Delphine : Il en manquait une ; ç’aurait été étonnant qu’elle ne débarque pas !

Victorine : Vous avez vu ? J’ai retravaillé. Avant, je disais « Bonjour ! Bonjour ! » et maintenant, c’est « Bonjour ! Bonjour ! » (les deux variantes sont bien sûr parfaitement identiques). C’est nettement mieux, non ?

Delphine : C’est une expérience, c’est ça ? Qu’est-ce qu’ils vous ont fait !? Vous pouvez nous le dire !

Christophe : C’est prodigieux ! Prodigieux ! C’est…

Victorine : Et encore, vous n’avez pas tout vu ! J’ai pensé accompagner ce cri d’accueil d’une petite danse, vous voulez voir ?

Delphine : Ce n’est pas la peine.

Victorine s’écarte.

 

Christophe : Si ça lui fait plaisir…

Delphine : Mais pourquoi est-ce qu’elle demande ?!?

Victorine s’avance et fait quelques mouvements entre les claquettes, la bourrée et la gym tonique (non, je n’imagine même pas ce que ça peut donner !). De fait, elle éclabousse Delphine.

 

Delphine : Aaaah ! Mais faites attention !

Victorine : Et là, ce n’est que le mouvement. Vous voulez voir avec le cri d’accueil ?

Delphine : Ce n’est pas la peine.

Victorine s’écarte.

 

Christophe : Si ça lui fait plaisir…

Delphine : Cette impression de toujours vivre la même chose !

Victorine s’avance, refait les mêmes mouvements en criant :

Victorine : Bonjour ! Jonbour !

Delphine : Aaaah ! Mais elle m’en veut !

Victorine : Je me suis trompée ! Je me suis trompée ! J’ai dit « jonbour » au lieu de « bonjour » !

Delphine : Ça ! Bouger et parler en même temps, ce n’est pas donné à tout le monde…

Christophe : Arrête… Mais non : c’était très bien ! On l’a à peine vu.

Victorine : C’est vrai ? Vous croyez que j’ai mes chances à la capitale ? Bien sûr que j’ai mes chances… Je suis née pour être une star ! C’est la forêt qui m’aide : quand j’y viens, ça m’inspire !

Delphine : N’y venez pas trop souvent quand même, vous allez faire de l’hyperventilation…

Victorine : Oh ! Merci ! Merci de votre soutien ! Pour la peine, je vais vous déclamer le petit passage de théâtre que je vous ai déjà montré ! Vous allez voir, je l’ai chorégraphié, c’est quelque chose !

Christophe : J’imagine…

Delphine : Non, mais pour le coup, ce n’est VRAIMENT pas la peine !

Devant le regard menaçant de Delphine, Victorine abandonne.

Victorine : Ah ?

Christophe : Oh ! J’y pense… Vous savez comment on va chez Marceline ? Je crois que l’on s’est perdus…

Victorine : Mais oui, venez, je vais vous y emmener…

Christophe : C’est très gentil.

Victorine : Oh ! Ben avec tout ce que vous allez faire pour moi, pour que je devienne star, je peux bien vous rendre ce service…

Delphine : Allez, allez, on vous rejoint.

Victorine : Ah ? … Bon…

Victorine sort.

7.

Delphine : C’est quoi, ce cinéma ? Je te somme de t’expliquer !

Christophe : Ce que je vais faire puisque tu es sur le point de tout faire capoter et que je ne peux pas me concentrer sur eux et toi à la fois. Attention, c’est top secret ! Je ne devais pas t’en parler avant la signature de la transaction ! Mon entreprise a mis la main sur des relevés souterrains effectués par satellite dans la région. Il y a, sous la maison et les terrains de Marceline, un gisement de Thérybenthium ! C’est un minerai dont on vient de découvrir le potentiel énergétique récemment. Je te passe les détails…

Christophe se fige, se rendant compte qu’il allait dire une bêtise.

 

Delphine : Je ne comprendrais pas ? Je suis trop bête ?

Une idée brillante lui vient soudain.

 

Christophe : Ce serait trop long ! (satisfait de sa pirouette, il enchaîne) Pour résumer, grâce à lui, on pourra augmenter la productivité tout en réduisant les coûts par presque cent. Il nous faut ce terrain ! Et ma mission est de l’acquérir le plus vite possible.

Delphine : Je le savais ! Je le savais que tu n’avais pas pu m’emmener ici pour rien !

Christophe : Donc, la phase un – et je te prierai de me rejoindre sur ce but – est, mine de rien, de se montrer amical avec tout le monde. Il faut qu’ils nous adorent pour que la transaction se fasse au mieux et le plus facilement possible.

Delphine : Compris. Mine de rien, amical.

Christophe : Donc, maintenant, plus de blagues idiotes !

Delphine : D’accord.

Christophe : De l’admiration !

Delphine : De l’admiration.

Christophe : Et à la première occasion, je propose d’acheter !

Delphine : Très bon plan ! Oh ! Mon Cri-Cri, mon Cri-Cri ! On est parti tous les deux dans une grande aventure !

 

Victorine revient.

 

Victorine : Ben vous êtes encore là ? Moi, je veux bien vous emmener mais si vous ne me suivez pas, ça ne sert à rien…

Delphine : Excusez-moi. J’admirais cette forêt. Elle est si pleine d’arbres ! C’est magnifique ! Et vous avez une façon si artistique de vous déplacez… J’en suis restée baba !

Victorine : Ben… Je marche…

Delphine : Non, non, non ! Vous glissez ! C’est magnifique ! Montrez-moi…

Victorine : Ben… Comme ça, quoi…

Delphine : Comme ça… Elle est charmante ! N’est-elle pas charmante, Christophe ?

Christophe : Si, si, charmante…

Delphine : Allez, allez… Je vous suis, cette fois.

Victorine sort, un peu étonnée mais participant.

Victorine : Vous voyez le principe : vous avancez une jambe, pis après l’autre, quoi… Comme ça…

Delphine : C’est si exquis !

Victorine et Delphine sont sorties.

Christophe : Je ne sais pas si j’ai bien fait de lui dire, moi…

Christophe sort à leur suite.

Noir

ACTE III

Chez Marceline, dans le salon construit à l’envie du décorateur. Au moins deux portes : une qui mène dehors et une qui mène à la cuisine. Une porte allant à la cave peut être ajoutée.

Durant tout l’acte, Delphine surjouera son rôle de personne intéressée et sympathique.

 

1.

Marceline : Bon, tout est prêt ?

Lucienne : Tout, oui.

Marceline : Tant mieux, ils ne devraient plus tarder.

Lucienne : J’ai comme l’intuition que tout va bien se passer. Ooooh ! Ça va être bien !

Marceline : C’est ça, oui. J’entends des voix, ça doit être eux.

2.

Victorine, Christophe et Delphine entrent de l’extérieur.

 

Marceline : Aaaah ! Les voilà, les voilà ! C’est-y qu’on s’est bien promené ?

Christophe : Ah ! Oui. Victorine nous a fait visiter.

Victorine : Oui. Et avec le ton !

Marceline : Eh ! Ben ! Vous en avez de la chance…

Delphine : Oui, c’est si… Si… Si… (signes désespérés à Christophe:)

Christophe : Si…

Delphine : Il n’y a pas de mot qui convienne !

Marceline : Tant mieux, tant mieux. Tout le monde il est-y là ? Presque. On n’attend plus que mon fils.

Lucienne : Et sa femme.

Marceline : Oui, oh… On n’a qu’à commencer, ça les fera v’nir. L’apéritif, ça fait toujours venir les gens…

3.

Hortense et Alphonse entrent de la cuisine de Marceline.

 

Lucienne : Oooooooh ! En effet ! C’est un miracle !

Marceline : Non, mais ils étaient déjà là, ceux-là…

Hortense : Et pourquoi qu’monsieur y sait faire fonctionner les cuisinières des autres mais pas la mienne ?

Alphonse : Mais puisque j’te disions qu’une électrique, c’étions plus facile ! Y’avions qu’eul’ bouton à tourner !

Hortense : J’m’en va t’coller des boutons partout, moué, tu vas voir ! Sur l’fil à linge que j’vas t’en coller ! Sur la cuvette que tu vas en avoir des boutons ! Ah ! Qu’t’en voulais, du bouton, mon gaillard ! J’vas t’en r’tapisser la maison, moué ! (elle crache par terre)

Marceline : C’est-y qu’tu vas arrêter de glaviotter partout comme ça ?!

Lucienne : Paix, Marceline…

Delphine : Laissez… C’est si pittoresque…

Marceline : Ah ! Ben oui, forcément, chez les autres !

Alphonse : Bon, alors, on l’buvions, euss’te coup ?

Marceline : Oui, oui…

Hortense : Ben t’as qu’à faire le service, si qu’t’es si assoiffé ! Ah ! Ben non… C’te bouteille, l’a pas d’bouton ! T’vas pas savoir comment t’y prendre…

Alphonse se met dans un coin, boudeur.

Hortense : Aga’de (pour regarde) don’ avec quoi que chuis obligé d’vivre ! (elle crache par terre)

Marceline : Oh ! On va t’accrocher un seau autour du cou, toi, qu’ça va pas traîner !

Lucienne : Paix, mes amis…

Hortense : Mais c’est qu’madame a prendrait la mouche et sa défense !

Marceline : J’vais surtout devoir prendre la serpillère, moi !

Lucienne : Paix…

Hortense : Parce que quand que j’te propose l’Alphonse pour la nuit, qu’tu fais la fine gueule, mais qu’faudrait pas t’y pousser trop…

Alphonse : Parce qu’y fallions que j’passe la nuit avec la Marceline, maint’nant ?

Lucienne : Paix…

Marceline : Mais rien du tout !

Hortense : Aga’de-le, çui-ci ! Ah ! Ben les boutons du pantalon, c’est qu’il a bien compris à quoi qu’ça sert ! (elle crache par terre)

Marceline : Bon, mais tu vas te la garder, ta salive, toi !

Lucienne : Paix…

Victorine : Vous voyez ? Vous voyez l’environnement qui détruit ma créativité ?!

Marceline : Oui, pardon, on s’emporte…

Delphine : Laissez… C’est siiiiii…

Christophe : Vivant.

Lucienne : Paix…

Marceline : P, P, P, quoi, P ? T’es bloquée sur c’te lettre là sans savoir c’qui vient après ?

Alphonse : Q.

Hortense : Non, mais ’aga’de-moi, çui-ci ! Ah ! Y’a pas, les boutons du pantalon, c’est c’que t’y connais d’mieux !

Alphonse : Mais quoi qu’y avions encore ?! A d’mandions la lettre qui v’nions après, j’y disions, moi !

Christophe : On relance l’idée des parties de scrabble, là…

Delphine : C’est siiiii… Sympathique de sa part.

Lucienne : Oui ! Venons-nous en aide, les uns aux autres. Centralisons ce bonheur divin en nous prenant par la main.

Marceline : On a passé l’âge des rondes… A l’apéro ! Tiens, Victorine, va donc à la cuisine me chercher le plat d’amuse-gueules, il est sur la table.

Victorine : Voilà ! Voilà comment je suis traitée ! Comme une bonniche ! Ah ! Mais quand je serai célèbre, vous verrez ! Vous regretterez !

Victorine sort.

 

Marceline : Bon ! On va y arriver.

Delphine : Je n’en doute pas, vous avez tellement l’air de former une famille.

Lucienne : Oui ! Une famille. Une famille unit par l’amour du Créateur qui nous englobe

Hortense : C’est pas vrai qu’elle s’remet en route, celle-là ! Faudrait l’empailler une bonne fois ! (elle crache par terre)

Marceline : Tu peux pas aller cracher dehors comme tout l’monde !

Lucienne : M’empailler ?! Ecarte ces pensées haineuses de ton esprit ! C’est le Cornu qui les introduit !

Alphonse : Qu’équ’j’avions encore fait, moi !

Hortense : C’est-y qu’tu vas arrêter avec c’t’histoire de cornes ! Puisque j’te dis qu’y c’est rien passé avec le représentant d’aspirateurs ! (elle crache par terre)

Marceline : Ah ! Mais ça suffit, oui !

Lucienne : Ne te laisse pas aller à la colère !

Alphonse : Pourquoi qu’j’devrions t’croire ?!

Hortense : Parce que j’te l’dis ! (elle crache par terre)

Marceline : J’m’en vais t’y faire avaler une éponge, moi, ça va pas traîner !

Lucienne : Paix et amour, mes sœurs !

Alphonse : Et pourquoi qu’t’y aurions acheté quatre aspirateurs, alors !

Hortense : J’vais t’y mettre des boutons aux aspirateurs, moi, qui serviront à quéqu’ chose ! (elle crache par terre)

Marceline : Elle se calme, la mégère !

Lucienne : Laissez venir

Alphonse : Marie couchions-toi là ! Goton !

Hortense : Grand dépendeur d’andouille !

Christophe : Calmez-vous ! Calmez-vous !

Delphine : Mais non, j’aime beaucoup, c’est siiiiii…

Christophe : Chaleureux, oui, oui. Et si on buvait un coup ?

Alphonse : Ah ! Ben oui, ça !

Hortense : Qu’il a une descente, çui-là ! Faudrait pas y laisser l’tracteur sans l’frein !

Lucienne : Oui. Retrouvons la joie du partage autour d’un verre.

Marceline : Ben oui, quéqué fiche, la Victorine… C’est pourtant pas compliqué à trouver un plat dans la cuisine !

4.

Victorine entre avec un plateau sur lequel trônent des amuse-gueules.

 

Victorine : Quand je vous dis que je ne suis pas faite pour être serveuse ! J’ai tout fait tomber par terre ! Il a fallu que je les ramasse un à un !

Marceline : Ça va que j’avais lavé la semaine dernière…

Victorine : Quand vous m’emmènerez à la capitale, vous verrez ! Ce ne sera pas pour être serveuse !

Delphine : Certainement. Vous êtes siiii…

Christophe : Mais je ne sais pas, moi… Siiii…

Delphine : Pleine de talents.

Christophe : Oui. Ce serait dommage de les gâcher…

Marceline : Y sont bien, ces deux-là, pour des gens de la capitale…

Hortense : Bon, c’est-y qu’on se les mange tes machins ?

Marceline : Oui, oui, oui. Tenez. Goûtez-moi ça, vous allez m’en dire des nouvelles !

Lucienne : Nooooooon !!!! (un temps) Comment pouvez-vous penser à manger sans avoir dit les bénédicités !?

Hortense : Elle va m’couper l’appétit, c’te grenouille de bénitier !

Lucienne : Dieu, dans son infinie mansuétude, nous a offert la nature pour nous rassasier ! Ce serait pêché mortel que de n’en point le remercier avant de profiter de ses bienfaits !

Alphonse : Alors, on mangions pas tout de suite, c’est ça ?

Marceline : Bon, les bénédicités, c’est parti. Je peux aller surveiller mon four en attendant ?

Lucienne : Tu n’y penses pas, mécréante ?! Tu oserais t’écarter des remerciements merveilleux que nous allons rendre au Divin ?

Marceline : Non, non, non, je reste, je reste… Mais mes limaces risquent de rien avoir de divin si qu’elles sont trop cuites…

Hortense : C’est-y qu’tu vas nous les dire, tes bondieuseries ou qu’t’as pas fini le prologue ?

Victorine : Oh ! Je peux les dire ? Je peux les dire ? J’ai travaillé une imitation de Donald ! Je peux les dire en imitant Donald ?

Marceline : Ah ! Ben ce serait rigolo, ça !

Lucienne : Les bénédicités n’ont pas à être drôles !

Alphonse : J’avions r’marqué…

Lucienne : Mais peut-être nos hôtes voudraient nous faire l’honneur de les dire ?

Delphine : Hein ?

Christophe : Ah ! Ben oui, c’est…

Delphine : Ça nous ferait très plaisir ! Vas-y !

Christophe : Merci… Euh… Alors… Euh… Notre Père Tout Puissant… Euh… Nous… Nous te remercions… Pour… Euh… (regardant le plat et ne sachant ce qu’il y a dedans :) Les… Euh… Les… Les mets que nous allons profiter. Dont tu nous as donné. Que tu…

Delphine : Amen !

Tous : Amen.

Christophe : Je suis désolé. Ce n’était pas très… C’est que je n’ai pas l’habitude en public.

Victorine : C’est le trac ! Je connais ça. C’est pour ça que je vais répéter à l’étable. Ça me fait du public.

Lucienne : C’était trèèèèès bien ! Ce sont les meilleurs bénédicités que j’ai vus depuis longtemps ! Peut-être imparfaites dans le vocabulaire, mais sincères, c’est l’essentiel !

Christophe : Ben merci…

Alphonse : Qu’on pouvions les manger, alors ?

Marceline : Oui, oui, oui, prenez et goûtez-en tous.

Tout le monde se sert. Christophe et Delphine avec hésitation et regards. Tout le monde mangeant avidement, ils se lancent.

 

Delphine : C’est… C’est quoi ?

Marceline : Du hérisson.

Christophe : Du hérisson ?

Delphine : Du hérisson !

Victorine : Du hérisson !!

Victorine se met à pleurer.

 

Alphonse : Ah ! Ben ça faisions bien plaisir !

Hortense : C’qu’on en mange plus à la maison d’puis que mademoiselle s’est mis dans la tête d’en adopter un…

Christophe : Mais ça se mange, ça, le hérisson ?

Lucienne : C’est très bon ! Comment tu le prépares ?

Marceline : Ben normalement… Je prends mon hérisson, ma pompe à vélo et j’y mets dans le gosier. Après, je gonfle, je gonfle… Et quand il est bien gros, hop, je rase les piquants avec une lame.

Delphine : Vivant ?

Hortense : Ben oui, vivant ! Comme ça, qu’y sent agressé !

Christophe : Je veux bien le croire…

Hortense : Alors, ben qu’toute sa mauvaise bile, elle remonte dans les piquants… Et hop ! On y ratiboise c’qui a d’pas bon !

Delphine : Mais c’est horr… (se rappelant qu’elle doit être amicale : ) oooooorrrrrriginal…

Marceline : Elle est bizarre… C’est-y qu’elle ne va pas bien ?

Christophe : Si, si ! Elle… Elle ne sait plus quoi faire quand on a des invités, elle cherche toujours de nouvelles recettes…

Delphine : Ah ! Ça, ils vont… Pfiuuu ! Ce que ça va être bien ! Je n’ai plus qu’à chercher des hérissons en ville, maintenant… Vous n’en livrez pas ?

Marceline : Ah ! Ben non. Les nôtres, on les mange…

Victorine : C’est horrible ! Horrible ! Cette pauvre bête ! Quand je serais une star reconnue, je ferai des galas au profit de sauver les hérissons !

Alphonse : En attendant, j’allions m’en reprendre un, moi…

Victorine : Vous êtes des monstres ! Des monstres !

5.

Jeannot et Solange entrent de l’extérieur. Jeannot s’aperçoit aussitôt que tout le monde est déjà là.

 

Jeannot : Eh ! Ben voilà !

Lucienne : Ooooooh ! Tu as raison ! L’apéritif les a fait venir… C’est un miracle !

Marceline : Un miracle à retardement : ils ont mis le temps.

Jeannot : Je t’avais dit qu’on allait encore être les derniers !

Solange : Si tu te laissais habiller correctement un peu plus vite, ça ne serait pas arrivé !

Jeannot : Mais je n’avais pas besoin de mettre un costume, puisqu’on allait chez ma mère !

Solange : Tu y viens en tant que maire, chez ta mère ! Bien sûr qu’il faut être un peu élégant !

Jeannot : Mais non ! On serait allé à la mairie, oui, mais là, non, je suis son fils !

Solange : Mais tu viens à la soirée d’accueil des nouveaux ! Il n’y a plus de fils ! Il n’y a que le maire !

Jeannot : Alors dans ce cas-là, j’aurais dû mettre l’écharpe de maire, je l’avais dit !

Solange : Mais non puisque ce n’est pas officiel ! A la mairie, oui, mais ici, non !

Marceline : Dîtes ! Vous avez fini !? Viens faire bisou à maman !

Jeannot s’exécute.

 

Solange : Mais non, mais de la tenue, Jeannot ! De la tenue ! Un maire n’a plus de mère ! Un maire est le père de tous, même de sa mère !

Hortense : Ben si qu’celle-là aussi, elle se met à tout nous compliquer…

Delphine : Ne vous en faites pas, c’est siiiii…

Christophe : Attentionné.

Marceline : Ils sont bien, ces deux-là ! Je les aime bien, moi…

Delphine : Ça  marche, mon Cri-Cri, ça marche !

Christophe : Chuuuut !

Lucienne : C’est vrai qu’une écharpe, ça n’aurait pas été de refus… Il fait frisquet…

Marceline : J’vous aurais bien fait un feu, mais c’te manchot me rentre le bois bûche à bûche…

Hortense : Alors qu’y m’dit qu’il y travaille toute la journée ! (elle crache par terre)

Marceline : Ah ! Tu vas pas recommencer !

Hortense : C’est pour te défendre !

Alphonse : Mais j’avancerions plus vite, si c’t’inventeur m’avions point collé un rond-point sur mon ch’min !

Solange : Te laisse pas faire, Jeannot ! Te laisse pas faire !

Victorine : Et après, quoi ? Vous allez faire brûler des hérissons ?

Hortense : Mais quéqu’tu nous ramènes don’ tout à tes bestiaux, toué !

Jeannot : J’ai installé un rond-point parce que notre commune était la seule à ne pas en avoir !

Marceline : Voilà ! C’est bien, mon gamin !

Lucienne : Ne vous laissez pas emporter, mes amis !

Victorine : Tout nous ramène au hérisson ! Ce sont eux les martyrs des soucis de chacun !

Alphonse : Un rond-point au milieu d’la forêt ! Où c’qu’y avions personne qui passions !

Solange : Mais défend-toi, Jeannot ! Ne te laisse pas démonter !

Lucienne : Résistez, mes amis ! Résistez !

Victorine : Vive le hérisson !

Hortense : Mais quéqu’c’est’y qu’on t’a fait pour que tu nous en veuilles à c’point !

Victorine : Il faut que quelqu’un défende le hérisson !

Jeannot : Tu y passes bien, toi, avec ton tracteur !

Marceline : Ben pas tant qu’ça vu que j’attends toujours mon bois !

Hortense : Alors qu’y m’dit qu’il y travaille toute la journée ! Et j’ai pas craché ! (elle crache par terre)

Marceline : Mais c’t’une maladie !

Lucienne : Ne laissez pas le malin attiser le feu de la colère en vous !

Alphonse : Mais j’pouvions plus y passer à cause de son rond-point ! Qu’j’étions obligé d’y aller à la brouette !

Solange : Mais réagit, Jeannot ! Tape du poing ! Dresse-toi !

Lucienne : Laissez l’amour vous envahir !

Jeannot : C’est…

Victorine : Sauvons le hérisson !

Hortense : T’vas nous fiche la paix, avec ton hérisson ! (elle crache par terre)

Marceline : Bon, ça va bien, femme de feignasse !

Jeannot : C’est…

Hortense : Quéqu’tu dis ?!

Lucienne : Chantons tous en chœur !

Solange : Eh ! Ben vas-y, attaque, Jeannot ! Attaque !

Jeannot : C’est un très joli rond-point !

Alphonse : J’m’en allions t’en faire un joli rond-point, moi !

Christophe : Ooooooh !

Delphine : Ils sont complètement siphonnés !

Christophe : Calmez-vous !!

Lucienne : Et allez dans la paix du Christ.

Delphine : Vous êtes siiiiii…

Christophe : Aimables ! Accueillants !

Delphine : Ah ! Oui, cette chaleur humaine… Ça donne envie de s’installer par ici pour revivre ce genre de soirées avec vous !

Christophe : Oui !

Delphine : Si seulement on pouvait acheter au lieu de louer…

Christophe : N’en fais pas trop…

Marceline : Je les aime bien, ces deux-là…

Alphonse : T’avions point parlé de boire un coup ?

Hortense : Ah ! Ben toi, pour la picole ! Qu’tu dois avoir des boutons plein l’estomac pour que ça marche si bien là-d’dans !

Marceline : Ah ! Ben oui, le vin ! J’en ai un de 1922 ! C’est mon grand-père qui le mettait en bouteille. Il pique un peu, mais vous allez voir, il est bon !

Delphine (imaginant bien que le vin pique) : J’imagine… Je veux dire… J’imagine, qu’il est bon !

Marceline : Je vais vous le chercher, ne bougez pas.

Marceline sort.

 

6.

Jeannot et Solange vont prendre Christophe et Delphine à partie, les autres discutant entre eux en fond de scène, jetant parfois des regards sur ceux en avant-scène.

 

Solange : Vas-y, Jeannot, vas-y, c’est le moment, là ! C’est le moment !

Jeannot : Oui, dîtes voir… Ma femme voudrait vous entretenir d’une chose…

 

Regard lourd de Solange.

 

Jeannot : Enfin, NOUS voulions vous entretenir d’une chose…

 

Regard lourd de Solange.

Jeannot : Enfin, JE voulais vous entretenir d’une chose…

Solange : Montre que tu es un homme à responsabilité, Jeannot !

Jeannot : Oui, oui…

Christophe : Et de quoi vouliez-vous nous parler ?

Jeannot : Oui. De quoi je voulais leur parler, déjà ?

Solange : Du poste, Jeannot ! Du poste !

Jeannot : Celui de la cuisine ?

Solange : Mais tu le fais exprès ?! « Maintenant que vous faites… »

Jeannot : Ah ! Oui.

Solange articulera encore silencieusement les paroles du discours.

 

Jeannot : Maintenant que vous faites partie du village… Et que vous avez presque un boulevard à votre nom dans notre fantastique bosquet…

Solange : Forêt, Jeannot ! Forêt !

Jeannot : Mais fais le discours à ma place si tu n’aimes pas ma façon de dire !

Solange : On a travaillé pour que ce soit percutant, Jeannot ! Il faut s’en tenir à ce qu’on a écrit !

Jeannot : Mgllglmlglmglglmmm… Bon. Enfin, quoi… J’aurais peut-être un service à vous demander. Oooooooooh ! Croyez bien que ce n’est pas mon habitude.

Solange : Et alors ça, c’est vrai ! Parce que Jeannot – enfin, monsieur le maire – il en rend, des services, mais alors pour ce qui est d’en demander, hein ! Ben, rien !

Jeannot : Tu me laisses causer ou tu veux que je t’apporte un micro ?

Solange : C’était pour souligner, Jeannot…

Jeannot : Oui, ben on ne l’avait pas écrit, ça…

Solange : On aurait dû, parce que c’était bien vu !

Christophe : Un service de quoi ?

Jeannot : Voyez-vous… Je suis notaire du village. Oui, je ne voulais pas m’installer dans une grande ville pour garder une vie de famille…

Delphine : C’est sûr qu’ici, vous devez être tranquille ! (se rendant compte qu’elle a été ironique :) Pour vous occuper au mieux de votre petite femme !! Bien sûr.

Solange : C’est gentil. Enchaîne, Jeannot !

Jeannot : Mais je me sens maintenant la capacité de voir plus grand. Aussi, puisque vous venez de la capitale, si vous pouviez glisser un mot au président – de la République – pour qu’il me propose un ministère… A la rigueur, un rôle de secrétaire d’Etat…

Solange : Bravo, Jeannot !

Christophe : Rien que ça !

Delphine : Mais bien sûr !!! Avec plaisir !!! Vous avez l’air siiiiiii…

Christophe : Compétant. En un mot, bien sûr.

Solange : Tu vois, Jeannot ! Je te l’avais dit qu’il fallait demander ! Ça ne coûte rien, de demander.

Christophe : Si on peut rendre service…

Solange : Vous êtes très gentil ! On voit que vous êtes quelqu'un de bien. Si vous voulez, quand il sera ministre, il pourra vous offrir un petit poste…

Jeannot : On verra. On n’y est pas encore…

Alphonse : C’étions pas l’tout, mais j’aurions soif avec c’te hérisson !

Victorine : C’est bien fait ! Qu’il t’étouffe ! C’est la vengeance du hérisson ! Et quand tu seras mort, j’écrirai un scénario pour raconter combien tu as été vilain et je serai encore plus célèbre dans tout le monde entier !

Lucienne : Enfin, Victorine ! Tu dois honorer tes parents !

Victorine : Eh ! Ben ?… Si j’écris un film sur lui…

Lucienne : Ah ! Oui, évidemment, vu en ce sens…

Hortense : C’est vrai qu’elle traîne, la Marceline ! C’est-y qu’elle serait en train de nous le presser, c’te vin !?

On entend Marceline crier – elle vient de tomber dans l’escalier de la cave. Si on a une porte menant à la cave sur scène, on pourra la faire entrouvrir par Marceline et faire dire à Hortense : « Ah ! Ben quand on parle du loup, c’qu’on en voit la queue… » avant le cri.)

 

Tout le monde se précipite vers le cri, sauf Delphine et Christophe.

 

Delphine : Ça marche, mon Cri-Cri !

Christophe : Oui, je crois bien que là, ils nous apprécient tous.

Delphine : On va les mener par le bout du nez, tous ces débiles !

Christophe : En attendant, faisons comme s’ils étaient intelligents. Et allons voir ce qu’a la vieille…

7.

Ils rejoignent le groupe au moment où celui-ci revient avec Marceline qui se tient les reins et avance péniblement.

 

Jeannot : Viens par là, maman…

Solange : Tout pour attirer l’attention, cette vieille bique…

Lucienne : Tout va bien, Marceline ? Prions le Seigneur afin qu’il prenne soin de toi et t’accueille en son sein.

Marceline : Dis, oh ! Chuis pas morte !

Hortense : Laisse-le donc où c’qu’il est et appelle plutôt un médecin.

Victorine : Je vous apprendrai à tomber, Marceline. Je m’entraîne aussi aux cascades, ça peut être utile dans les films, si on ne veut pas être doublée.

Hortense : C’est-y qu’tu vas la laisser respirer au lieu d’y conter tes mille et une nuits ?!

Alphonse : T’avions sauvé la bouteille, au moins ?

Delphine (réagissant soudain) : Oooooooooooooh ! Oooooooooh ! Quel malheur !

Christophe (bas) : T’en fais trop, là…

Delphine : Oooh. C’est terrible.

Christophe (bas) : Pas assez…

Jeannot : Qu’est-ce qui s’est passé, maman ? Une marche s’est cassée ?

Lucienne : Belzébuth ! Belzébuth insinue partout sa main maléfique !

Marceline : Mais non, c’est… Déjà, dans la cave, j’voyais pas très bien où j’avais rangé les bouteilles. Alors la marche… Ben je ne l’ai pas vue… J’ai glissé, je ne sais pas… Je me fais trop vieille pour aller là-dedans.

Solange : Je me tue à vous le dire !

Marceline : Oh ! Ça va, hein !

Alphonse : Parce que j’avions toujours soif, moi…

Hortense : Eh ! Ben va te plonger dans la mare et fiche-z-y nous don’ la paix !

Jeannot : On va tout refaire, maman ! Une belle lumière, un nouvel escalier.

Solange : Mais t’es pas fou !? Tu sais ce que ça va nous coûter ?!

Victorine : Quand je serai célèbre, je ferai des galas pour sauver les hérissons et Marceline !

Marceline : C’est gentil, ça…

Lucienne : Et nous dirons des messes !! Ce va être merveilleux !

Solange : Depuis le temps que je vous dis que cette maison est trop vieille pour vous ! Et vous trop vieille pour elle…

Jeannot : Solange !

Marceline : Laisse… Elle n’a pas complètement tort…

Victorine : Quand je serai célèbre, je vous achèterai une belle maison, Marceline !

Hortense : C’est-y qu’tu vas nous fiche la paix avec tes hérissons et ta célébrité, toué ?!

Delphine : C’est le moment, Cri-Cri !

Christophe : T’as raison ! Si je puis me permettre… Depuis que nous sommes arrivés, Delphine et moi, nous sommes tombés sous le charme.

Delphine : Oh ! Oui, tout ici est siiiiiii…

Christophe : Oui. Siiii. Laisse-moi parler. Vous êtes tous tellement agréables, bon vivants, amicaux… On s’est dit qu’il nous fallait acheter une maison dans le coin. Il y a bien celle de la mère Cochard, que l’on loue…

Jeannot : Comptez pas dessus ! Y’a trois héritiers, aux quatre coins de la France qui voulaient régler la succession ni une, ni deux, en deux temps, trois mouvements, mais comme ils coupent les cheveux en quatre… C’est pas près de se faire ! Je le sais. Je suis le notaire qui s’en occupe. Ça me demande un boulot !!

Christophe : Alors… Nous pourrions acheter votre maison. J’ai les fonds, ne vous inquiétez pas... Avec l’argent, vous en prendriez une de plein pied… A la mer, par exemple… Et vous pourriez revenir la voir quand cela vous plaira, bien sûr.

Victorine : Oh ! Ben vous, alors ! Vous répandez le bonheur autour de vous !

Solange : Acceptez… La mer, c’est loin, ça nous fera… Ça vous fera du bien.

Hortense : Accepte, Marceline ! Qu’c’est pas tous les jours que quelqu’un te l’achètera…

Delphine : C’est sûr ! Qui voudrait habiter ici ! (se rendant compte de son erreur :) A part nous !? Hein ? Ahaha…

Tous rient avec Delphine.

Marceline : Depuis le temps que j’hésite, je crois que le moment est venu. D’autant que vous m’avez l’air si gentil, tous les deux…

Lucienne : Ooooh ! C’est merveilleux quand tout s’arrange ! Le Tout-Puissant a mis en œuvre Son pouvoir divin pour que l’on se rencontre vous et nous, c’est sûr ! C’est un prodige ! Prenons une minute pour nous recueillir.

Victorine : C’est merveilleux ! On habitera près l’un de l’autre ! Vous pourrez m’emmener à la capitale facilement !

Delphine : Ouiiiiiiiiii…

Jeannot : Oui, mais non. Il faut faire le compromis, fixer un prix, faire tout un tas de machins, quand même…

Christophe : On l’antidatera, le compromis ! Puisqu’on est tous d’accord ! Et les divers papiers, vous me les donnerez après…

Lucienne : Que la vie est simple et belle parmi les Hommes de bonne volonté ! Je suis toute excitée, moi !

Marceline : Ça veut dire quoi de l’antidater ?

Solange : Que vous aurez l’argent tout de suite sans attendre des mois…

Marceline : Ah ! Ben oui, alors !

Christophe : Combien ? Cent mille ? C’est un beau nombre rond, non ?

Hortense : Ah ! Ben j’pense bien, qu’c’est un beau nombre !

Delphine : C’est fantastique !

Christophe : Nous n’aurons plus qu’à aller chez un notaire demain… Ben chez vous, tiens !

Jeannot : Madame, monsieur… Que dis-je ?! Delphine, Christophe, ce serait un honneur de vous accueillir dans mon étude.

Marceline : Pis comme ça, t’y remmèneras ta sacoche que tu m’as laissée la dernière fois…

Jeannot : Ma sacoche ! Je la cherchais !

Solange : C’est celle avec le contrat de vente pour la maison de la mère Cochard ? Ah ! Ben c’était bien la peine de me faire retourner toute la maison en me disant que c’était de ma faute !

Christophe : Attendez… Vous avez un contrat de vente tout prêt ? S’il suffit juste de changer un nom et un numéro de rue, moi, je signe tout de suite !

Delphine : Oh !! C’est si grisant ! Nous allons tous devenir voisins !

Lucienne : Ça me donne envie d’entamer un cantique !

Hortense : Ah ! Non, hein !

Lucienne : Bon…

Marceline : Ben…

Hortense : Cent mille, Marceline ! Ça fait… Qu’on sait même pas combien qu’ça fait tellement qu’ça fait !

Solange : Et comme ça, plus de risque d’accident !

Victorine : C’est comme les happy ends dans les films !

Lucienne : Les voies du Seigneur sont impénétrables, Marceline… Mais là, elles me semblent claires…

Marceline : Vous avez raison ! C’est d’accord ! On signe !

Christophe : Formidable !

Delphine : Ce que je suis heureuse !

Alphonse : Ben alors, euqu’pourrions boire un coup pour fêter ça…

Marceline : Allez ! Buvons ! On a vraiment de la chance d’avoir rencontré quelqu’un de si bon et honnête que vous !

Christophe (avec un sourire inquiétant) : Oui…

Noir

Alors ?

Comment se passera le réveil ? Mal, sûrement…

Marceline sera-t-elle heureuse de la vente ? Probablement pas…

Saura-t-elle qu’elle s’est fait avoir ? Sûrement…

Alors alors ?

Parviendra-t-elle à récupérer sa maison ?

Gagnera-t-elle plus ?

Quel est le retournement de situation final inattendu ?

Pour le savoir et/ou jouer le texte, n’hésitez pas à m’écrire à

ericbeauvillain@free.fr

(je réponds TOUJOURS à TOUS mes mails ! Si ce n’est pas le cas après une semaine c’est que votre mail n’est pas arrivé ou le mien… Retentez le coup ou tentez de passer par mon site…)

Le site de mes textes :

http://amatheus.chez-alice.fr/

Et le blog de la pièce :

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