Neptune et la Méduse

Le Professeur Carpantier s'interrogeait. Son équipe d'archéologues venait de trouver, enfouie sous une tonne de terre en Grèce, une statue des plus singulières. Elle représentait, d'après l'inscription gravée en Grecque ancien sur le socle, un combat entre le Dieu Neptune et la Gorgone Méduse – reconnaissable à sa chevelure de serpents. Cependant, si on connaissait l'histoire de Persée affrontant la Méduse, on n'avait jamais entendu parler d'un quelconque combat entre le Dieu de l'eau et la Furie. Mais peut-être était-ce parce que personne n'avait prit la peine de consigner cette histoire…          

« Les Gorgones étaient des Divinités Primordiales. Elles étaient trois et se nommaient Sthéno, Euryale et Méduse. Elles avaient toutes les trois la particularité de posséder une tête dont la chevelure était un amas de longs serpents - tous plus dangereux les uns que les autres. De plus, il leur suffisait de regarder quelqu'un dans les yeux pour que cette personne se transforme immédiatement en statue de pierre. Des trois, seule Méduse n'était pas immortelle, mais elle aurait pu ne jamais être inquiétée si elle n'avait pas décidé de s'attaquer au Humains…    

Neptune traversa le hall sans se presser. Jupiter n'attendait pas de visiteurs aujourd'hui et le Dieu de l'Eau voulait en profiter pour lui adresser une requête. Il trouva le Dieu Suprême assit sur un trône d'or pur, l'air déconfit. Neptune s'agenouilla.

-          Que me veux-tu ? demanda Jupiter.

-          Je voudrais vous faire une demande.

-          Parle. Que souhaites-tu ? 

-          Je désirerais pouvoir voler, comme Cupidon, fit le Dieu des Eaux vives. Comme vous le savez, nous sommes de très bons amis et, lorsque nous nous déplaçons, nous ne pouvons le faire aussi vite que le voudrait mon compagnon.

-          C'est un grand présent que tu me demandes là. Je ne peux te l'offrir comme ça. Chaque Dieu a ses capacités propres. 

Neptune baissa la tête, déçu.

-          De toute façon, continua Jupiter, j'ai d'autres préoccupations pour le moment.

-          Quelque-chose vous importune-t-il ?

-          Oui. La Méduse s'attaque aux Humains. Elle a déjà décimé plusieurs villages pour sustenter son horrible chevelure.

-          Et personne n'est décidé à l'arrêter ?

-          Elle est trop dangereuse, Neptune. Tous les Dieux les plus puissants auxquels j'ai fais appel on refusés de se mesurer à cette Furie.

-          Alors moi, j'irai me battre.

-          Je ne peux pas accepter, Neptune. Tu te ferais tuer…

-          Cupidon et moi côte-à-côte sommes très puissants.

Le Dieu Suprême sembla peser le pour et le contre pendant un instant.

-          Alors soit, soupira Jupiter. Et si tu y arrives j'exaucerai ton vœu.

Après avoir brièvement raconté son entrevue avec Jupiter à Cupidon, Neptune siffla ses dauphins. Le Dieu de l'Amour avait tout de suite accepté l'entreprise périlleuse dans laquelle se lançait son ami, l'accompagnant sans hésiter. Ils commencèrent donc résolument leur voyage.

Après quelques minutes de traversée, grâce à la rapidité des dauphins, ils arrivèrent dans la région où sévissait la Méduse. Ils trouvèrent ainsi un village entièrement détruit, avec des corps - dont la plupart étaient à moitié mangés et d'autres statufiés - éparpillés dans toutes les rues.

-          Elle est redoutable, constata piteusement Cupidon.

Ils traversèrent d'autres villages dans le même état de destruction. Il était évident que la Furie ne laissait pas de survivant lorsqu'elle nourrissait ses innombrables serpents.

-          Un adversaire sanguinaire, commenta Neptune en regardant, impuissant, les cadavres qui jonchaient le sol.

-          Elle mourra pour cela, lui affirma Cupidon, sachant toutefois que ce serait ardu de tuer une Divinité Primordiale aussi terrible.

Ils continuèrent à explorer les environs, trouvant encore un village entièrement détruit sur leur passage. Soudain, tous deux sentirent une puissance extraordinaire à l'œuvre.

-          Je crois que nous avons trouvés ce que nous cherchions, fit le Dieu de l'Amour.

-          Oui, et elle est visiblement en train de nourrir ses reptiles. Cupidon, souviens-toi qu'il ne faut sous aucun prétexte la regarder dans les yeux. Tu peux la voir dans les miroirs ou tout ce qui est reflet, à la surface de l'eau ou sur une étendue brillante.

-          Compris ! affirma Cupidon.

D'un même mouvement, les deux Dieux s'élancèrent vers le village. Cupidon décolla tandis que Neptune entrait par la route principale. Sentant la présence des Divinités, la méduse fit volte face, abandonnant le cadavre qui gisait à ses pieds pour se planter devant le Dieu de l'Eau. Celui-ci ferma immédiatement les yeux.

-          Tu dois être Neptune, prononça la Méduse d'une voix suave, lente et menaçante. Aucun autre Dieu ne risquerait ainsi sa vie pour sauver des Humains inutiles.

Le sifflement caractéristique d'une flèche se fit entendre dans le dos de la Gorgone. Néanmoins, cette dernière ne se retourna pas, laissant ses serpents happer le projectile  et le casser en mille morceaux.

-          A part évidemment Cupidon, se corrigea la Furie. Inutile de tirer, mes serpents arrêteront tous tes traits.

Une pluie de flèches s'abattit aussitôt sur la Méduse, comme une réponse à son affirmation. Malheureusement, cette dernière n'avait pas mentit et un amas de bouts de bois joncha bientôt le sol, sans qu'un projectile eut touché la créature.

-          C'était inutile de vérifier, répliqua la Gorgone en se  tournant vers le Dieu de l'Amour qui ferma aussitôt les yeux.

Neptune se jeta promptement sur la Divinité Primordiale, mais tous les serpents se tendirent vers lui et il fût obligé de se jeter de côté pour éviter d'être mordu.

-          Vous êtes pitoyables, se désola la Méduse. Si c'est tout ce dont vous êtes capables, je suis vraiment déçue. Je ne comprends pas comment des Dieux aux pouvoirs aussi dérisoires que les vôtres ont put vaincre un centaure aussi puissant que Nessos… 

« Nessos ! » Une idée frappa aussitôt Cupidon à la mention de ce nom. Ils avaient, grâce à une flèche du Dieu de l'Amour, transformé le centaure en statue de pierre. Il suffisait de faire la même chose pour la Gorgone, qui verrait ainsi ce que subissaient ses victimes statufiées. Cupidon vérifia dans son carquois ; ladite flèche magique s'y trouvait. Il fallait maintenant découvrir un moyen de toucher la Méduse avec la pointe du projectile. Si seulement il pouvait prévenir Neptune…

            La Gorgone s'approcha lentement du Dieu de l'Eau, sa chevelure frémissante d'impatience à l'idée du repas qui les attendait.

-          Doucement, mes jolis, leur susurra la Méduse, ces deux là ne sont pas pour vous. Je veux les ajouter à ma collection de statues.

Elle arriva devant Neptune qui gardait désespérément les paupières fermées, ne pouvant fuir car les serpents incroyablement longs qui partaient du crâne de la Méduse formaient une sorte de bulle autour de lui.

-          Allez, Neptune, chuchota la Méduse aux oreilles du Dieu de l'Eau, ouvre les yeux. Je te garantie que tu ne sentiras rien...

Avec l'énergie du désespoir, le Dieu des Eaux vives asséna un coup de pied puissant dans l'estomac de la Gorgone, envoyant cette dernière rouler sur le sol.

-          Neptune ! s'écria Cupidon, ramasse la flèche !

Et il décocha à quelques centimètres de son ami la flèche magique. Le Dieu voulut se pencher pour la saisir mais la Méduse se jeta sur lui et lui porta un coup robuste à la mâchoire. Elle donna un coup de pied dans la flèche, la cassant net en deux. La Furie se tourna ensuite vers Neptune.

-          Je suis lasse de ce petit jeu. Regarde-moi et finissons-en.

Avec une force équivalente à celle du Dieu de l'Eau, elle souleva ce dernier d'un bras et porta sa tête à la hauteur de ses yeux meurtriers. Mais Neptune gardait fermement les paupières closes. Toute l'attention de la Méduse et de ses serpents étant retenue par le Dieu des Eaux vives, personne ne vit Cupidon s'approcher et tirer une flèche à quelques mètres de distance de la Furie. Le projectile s'enfonça dans le dos de la Gorgone qui lâcha Neptune avec un cri de douleur. Ayant des réflexes formidables, le Dieu musclé frappa férocement la Méduse et se jeta sur le sol, cherchant à attraper la flèche. Il réussit à en saisir le bout et, au moment où la créature se jetait sur lui, il se retourna et planta la pointe acérée dans la cuisse de la Gorgone. Cette dernière se transforma en statue dans un cri déchirant.

             Après avoir brûlé tous les corps des humains assassinés, Neptune et Cupidon retournèrent chez eux. Ils avaient transporté la Méduse statufiée en lieu sûr et voulaient maintenant être récompensés comme promis. Neptune se dirigea donc vers le Panthéon avec l'intention de recevoir de Jupiter le présent tant désiré. Tenant parole, le Dieu Suprême fit apparaître deux ailes magnifiques d'un blanc neigeux dans le dos de Neptune.

-          Tu peux les faires apparaître ou disparaître à loisir, lui expliqua Jupiter. Elles te permettront de voler haut et longtemps sans efforts.

Neptune remercia le Dieu Suprême et se leva pour prendre congé.

-          Une dernière chose… poursuivit Jupiter.

Le Dieu de l'eau se retourna, curieux.  

-          Je suis fier de vous, conclut Jupiter, le sourire aux lèvres. » 

Malheureusement, le Professeur Carpantier ignorait absolument tout de cette histoire. Le seul homme qui avait un jour eut connaissance du combat était le sculpteur, sans doute un témoin habitant le village sauvé in extremis. Le Professeur Carpentier chercha pendant des années, dans les meilleures bibliothèques mondiales des textes faisant allusion au combat évoqué par la statue, mais il ne trouva rien. Finalement, l'œuvre fut exposée un temps avant d'être mise dans la réserve d'un musée. Ainsi, cette légende oubliée demeura inconnue de nos jours et à jamais.