Peintres, deuxième partie

Dominique Arnaud

Éclectique, tenté par toutes les techniques

Laurent Lebecque à la quête de la perfection

Rayon de soleil frileux sur le port de Dunkerque où le trois-mâts Duchesse-Anne poursuit son voyage immobile. La lumière fait vibrer l’eau du bassin du Commerce comme les couleurs vives des toiles amoureusement léchées, à quelques encablures de là, par Laurent Lebecque, qui fait partie des jeunes, donc des espoirs de cette galerie d’artistes. Né le 17 avril 1973 à Dunkerque, son talent s’affirme déjà. Animé par l’ambition de progresser, ce chef de projet dans l’informatique se considère comme un autodidacte bien qu’il ait fréquenté les beaux-arts où il a trouvé davantage des conseils que des cours magistraux. « J’apprends, explique-t-il, par curiosité et par goût, avançant plus vite dans ma tête que sur la toile, franchissant donc des étapes et les évaluant parfois sans passer par la phase de la réalisation ! »

L’itinéraire

Laurent peut aussi avoir simultanément plusieurs tableaux en chantier, histoire d’y imprimer dans l’urgence les idées qui foisonnent en lui. Peintre éclectique que tout sujet intéresse s’il lui permet d’avancer, s’il est prétexte à perfectionnement, Laurent fut d’une précocité picturale l’incitant à préférer la peinture à ses devoirs scolaires, ce qui n'était pas forcément du goût de ses éducateurs... Il tint bon cependant jusqu’au baccalauréat, renonça à ses pinceaux pendant ses études supérieures à Valenciennes, ne reprenant qu’au début du 3ème millénaire : une activité autorisant la rêverie ce qui constitue pour lui une façon de s’évader de l’univers « super carré » de l’ordinateur. A contrario l’expression picturale représente la fantaisie et la liberté. Une liberté qu’il voudrait conquérir tout à fait en se vouant totalement à la peinture, en renonçant à toute autre profession. C’est son rêve.

Une forme de vagabondage intellectuel l’amenant à tenter toutes les techniques, de l’acrylique à l’aquarelle et au pastel associant parfois les couleurs sèches et les pigments délayés. La peinture à l’eau n’est pas plus facile, contrairement à la chanson, que celle à l’huile. Mais elle lui offre à la fois la spontanéité qu’il aime et les transparences qu’il recherche. Paysages, nus, scènes de quai ou de carnaval, Laurent n’est rebuté par aucun sujet. Passionné de raids cyclistes, il aime aussi flâner, appareil photo en bandoulière, pour rapporter les clichés qui lui seront autant de sources d’inspiration. Rien ne vaut cependant que de s’inspirer d’un corps féminin, modèles professionnels lors de séances collectives ou poses plus intimes avec sa charmante épouse Élisabeth : « J’aime le nu par l’intensité de cet exercice qui permet d’avancer, tel un entraînement sportif ; il faut saisir le caractère éphémère de la pose, donc vivre une situation de risque favorable à la progression… »

Peignant le fameux carnaval nordique, Laurent suggère la vie et le mouvement tant par la vivacité des nuances que par le dynamisme des perspectives permettant au spectateur de rentrer dans la scène.

Peu d’objets laissent indifférent l’artiste dont sa muse personnelle précise : « Tout sujet qui l’intéresse doit donner naissance à un tableau. Laurent se montrera perturbé tant qu’il ne l’aura pas réalisé. Il est impératif pour lui de le fixer sur la toile… »

Le peintre est donc aussi exigeant que son art se montre tyrannique, mais quel bonheur de vivre sa passion parfois tard dans la nuit.

Les maîtres

S’il ne devait nommer qu’un peintre, Laurent évoquerait Jean Morelle dont il apprécie énormément la maîtrise : « Cet aquarelliste contemporain, dont voici un récent ouvrage, sait rendre intéressant d’importe quel sujet, même le plus banal ou le plus prosaïque ». Se rendant souvent au musée d’Orsay, Laurent Lebecque avoue aussi son admiration pour les impressionnistes, tels Claude Monet et Vincent Van Gogh, appréciant la vibration chromatique caractérisant l’auteur des célèbres Tournesols

L’atelier

Laurent se passe aisément d’une pièce vouée à la peinture. S’il s’isole dans la chambre conjugale pour certains travaux exigeant de l’espace, par contre il se contente le plus souvent de la salle à manger, fort bien éclairée par les fenêtres donnant tant sur le jardin que sur la rue longée par une voie ferrée aux abords fleuris. Dressant son chevalet dans une lumière rasante, il apprécie de travailler dans une atmosphère familiale : « Élisabeth aime échanger et me donner son avis mais je ne l’écoute pas toujours. Mes garçons me regardent travailler. Tandis que Louis, 8 ans, se tient près de moi, son cadet Edgar, 4 ans, s’empare de mes couleurs et pinceaux. »

La solitude pèserait sans doute au peintre préférant la chaleur du foyer à l’isolement que d’aucuns jugeraient nécessaire pour une meilleure concentration.

Devant la toile blanche

Laurent, devant la toile blanche, n’éprouve aucune angoisse. Sans doute parce que, avant de se lancer dans une œuvre, il y songe depuis plusieurs semaines. Quand il se met au travail, il sait déjà quelle technique il va utiliser : « Je prévois, par exemple, d’utiliser des coulures… »

Chez ce sportif il y a une similitude entre la préparation à l’effort physique et l’abord de la toile blanche. C’est le départ d’un long parcours : « Au départ il faut s’échauffer en disposant quelques touches. Puis la gestuelle arrive, la spontanéité se fait progressivement plus intense… »

Choisissant une ambiance musicale qui l’aidera à se mettre en condition, à rentrer dans la toile, le peintre démarre lentement. D’emblée il sait ce qu’il va représenter, dès le début d’un long effort qu’il faudra mener à son terme, quitte à n’atteindre le but qu’ aux prémices de l’aube.

Les expositions

Depuis octobre 2002 Laurent Lebecque a participé à nombre d’expositions et salons dans la région Nord - Pas de Calais notamment à Carvin, Lannoy, Boulogne-sur-Mer, Orchies, Saint-Omer, Templeuve, Leffrinckoucke, Dunkerque, Isbergues. Il a été médaillé au salon international de Lannoy.

En 2006 à Isbergues son expo personnelle portait sur le carnaval dunkerquois et les paysages côtiers.

Ses œuvres sont romantiques et énigmatiques

Pierre-Yves Vigneron dans la lignée de Delvaux

En lisant, comme on le ferait d’une histoire fantastique, les peintures de Pierre-Yves Vigneron, je ne puis que me demander si je suis en train de tomber amoureux de l’œuvre elle-même ou bien des délicieux personnages qui l’habitent ! Interrogation inhabituelle face à un artiste authentique, progressant dans son expression comme dans un roman, et qui nous étonne par sa confidence de n’être point commercial, les amateurs d’art hésitant selon lui à acquérir des nus. Personnages peu habillés qui pourtant, chez ce sage Dunkerquois imprégné par les maîtres flamands, n’ont rien d’offusquants bien qu’ils soient fort séduisants, voire affriolants. Excès de pudibonderie ? Ne couvrons rien du sein qui blessait l’âme de Tartuffe pour accepter en toute simplicité ce qu’offre le travail de Pierre-Yves Vigneron : « Une œuvre doit donner du plaisir, procurer une émotion, faire éprouver un choc ».

Hélas, explique-t-il, cette appréhension de l’art pictural se heurte à la trop fréquente attitude de médias qui entourent la peinture d’une gangue de technicité et en écartent le public par un excès d’élitisme : « Les œuvres devraient être plus accessibles. Pourquoi ne pas les sortir des réserves muséographiques pour en faire profiter les particuliers ? »

Toujours est-il que la belle maison patrimoniale de Danièle (son charmant agent commercial d’épouse) et Pierre-Yves Vigneron est une véritable pinacothèque contenant, outre des objets choisis car dotés d’une âme, une multitude de tableaux invitant à la rêverie car dit le peintre « Mon propos n’est pas le nu ; il n’est que le support de l’onirisme romantique, de la création d’une atmosphère. » Une ambiance à partir de laquelle chacun peut s’inventer une histoire ; ou encore résoudre l’énigme que portent des objets récurrents dans l’œuvre : les dés du hasard, les chats du mystère et ces clefs qui ouvrent ou ferment on ne sait quelle issue, …

L’itinéraire

La passion de Pierre-Yves pour l’expression picturale a pourtant été contrariée à l’origine chez ce natif de Lille, le 31 juillet 1942, qui fit ses études en Lorraine et en île de France et se fit injecter le virus de la peinture, en classe de cinquième, par son professeur en arts plastiques d’Enghien-les-Bains : « Il eut l’intelligence de nous initier à l’art moderne, de nous faire travailler sur l’impressionnisme, le fauvisme, le cubisme ; il nous apprit aussi la sculpture et la l’architecture ; ce fut pour moi une révélation ».

Les parents du jeune Pierre-Yves ne lui permirent cependant pas d’aller aux Beaux-Arts, estimant plus sérieuses ces études d’ingénieur chimiste qui le conduisirent à diriger à Dunkerque, un laboratoire de recherche et développement : « Ce qui me permit, concède P.Y. Vigneron, de mettre en pratique ma créativité ».

Ce caractère ingénieux, il le mit d’abord au service, jusque dans les « années septante » d’une expression très moderne : « Je faisais un peu de tout, m’intéressant à l’abstraction qui caractérisait mes cartons de tapisserie. Mais je me suis rendu compte que l’abstrait me conduisait vers le néant, que dans ce domaine, on perdait d’avance en rivalisant avec la nature faisant toujours bien mieux, pour créer des formes non figuratives, que la main humaine ! »

Finalement, c’est son arrivée dans le grand port nordiste, proche de la frontière et de Koksijde, qui permit à P.Y. Vigneron de découvrir sa voie par la rencontre de l’école surréaliste belge, de Delmotte à Magritte et surtout Delvaux.

Les maîtres

Dans les années soixante-dix, P.Y. Vigneron s’est donc rendu compte que la seule perspective pour lui était d’apporter du rêve, soit avec des moyens abstraits comme Miro ou Klee, soit avec une manière figurative comme Delvaux qu’il considère comme son maître : « Les premières toiles que j’en vis me furent une révélation. Je me suis dit aussitôt, c’est cela que je veux faire. Dali m’apparut alors comme étant trop conventionnel et j’ai décidé de suivre Paul Delvaux pour faire rêver le public et apporter du plaisir en racontant des histoires ».

Bien qu’il y ait une filiation manifeste entre Delvaux et Vigneron, on observera que le second se distingue nettement du surréaliste de Sint-Idesbald. Bien que partageant sa passion pour les chemins de fer, son traitement de la nudité féminine, tout comme ses traits d’inspiration eux-mêmes, s’en écartent sensiblement.

Son évolution s’est concrétisée quand le jeune homme a décidé de quitter son statut d’amateur pour se mettre sérieusement à la peinture, choisissant même de fréquenter l’école des beaux-arts de Dunkerque avec des professeurs comme Charles Gadenne ou Gérard Hennebert

Un régional exposant dans la capitale des Flandres

L’essentiel de la carrière de Vigneron est jalonné par ses expositions lilloises bien que sa première confrontation avec le public ait eu lieu dans la cité de Jean Bart. Ensuite, au début des années quatre-vingts, la rencontre fut décisive avec Jean-François Parmentier qui lui ouvrit la galerie Schème après que Michking lui ait conseillé : « Si vous voulez continuer dans ce style de peinture,alors il faudra que ce soit parfait ». Reconnaissant à des galeries qui comme Schème et Annie Wable, qui savent parier sur les artistes peu connus, Pierre-Yves Vigneron reproche par contre aux élus des collectivités locales de ne pas toujours donner leur première chance aux artistes. Pas toujours bien reçu sur les rives de la Seine car son style, qui surprend, dérange et interroge, ne convient pas toujours à un public voulant - lamentablement - assortir l’œuvre d’art au papier peint du salon, Pierre-Yves Vigneron a finalement décidé de n’en faire qu’à sa tête, n’hésitant pas, pour son propre plaisir, à s’adonner à ce qui lui plaît quitte à se montrer irrévérencieux. De toutes manières, il n’acceptera jamais qu’on puisse lui refuser un tableau (ce que lui est arrivé) pour la simple raison que le modèle, au lieu d’être une blonde Européenne, se montre sous les traits d’ une Africaine couleur d’ébène !

La page blanche

Pierre-Yves Vigneron n’éprouve nul trac devant la page blanche puisque l’œuvre est déjà dessinée dans sa tête au moment où il l’aborde : « J’ai au départ une idée très précise, par exemple la mise en scène d’une antique locomotive avec laquelle contrastera, pour créer une atmosphère étrange, un gracile personnage féminin ». Mais si l’idée de départ est définie, elle va ensuite évoluer. La construction peut être modifiée, des éléments peuvent apparaître ou disparaître : «  Je peux hésiter quant à ce qui prolongera le bras : lanterne ou chapeau ? Je puis aussi transformer une paire de jambes en queue de sirène. Mais l’essentiel reste au départ de soigner le visage, auquel je travaille d’abord, et de bien camper le corps dont l’attitude devra être évocatrice. Je passe en effet du temps à trouver la position des membres qui par exemple exprimeront la lascivité, mais sans jamais être animé par le désir de heurter. Je ne choque pas pour le plaisir, préférant le plus souvent une expression romantique ».

L’atelier

Comme l’écrivain se réfugie dans son bureau, le peintre fait de son atelier sa pièce de prédilection. Vaste et lumineux, celui de Pierre-Yves Vigneron, entièrement dédié à son art, contient tous ses outils : Il peut y entasser ses couleurs, faire sans crainte des taches sur la moquette, disposer plusieurs chevalets pour peintre simultanément deux ou trois œuvres, y écouter de la musique, y feuilleter ses livres d’art qui contiennent de telles merveilles que parfois ça lui casse le moral, la comparaison lui étant difficile à soutenir ! Pour se consoler, Pierre-Yves Vigneron cherche du réconfort chez ce mannequin largement décolleté, au regard érotique, dont il se plaît souvent à changer la tenue vestimentaire. Délaissant ses pinceaux, il trouve un moment de détente en manipulant sa collection de pinces à sucre, ou encore en soupesant ce lourd chalumeau de cuivre qu’il aime pour la beauté de l’objet comme il se complaît dans l’univers de son train électrique, source d’inspiration permanente qu’il partage avec son maître Delvaux.

Elle donne à la pierre la légèreté de l’oiseau

Sylvie Koechlin révèle la sculpture dormant encore dans le marbre

Pureté de l’albâtre et personnalité trempée comme le marbre et les roches cristallines qu’elle façonne, l’artiste n’a pas le cœur de pierre mais le caractère des rudes matériaux qu’elle affronte physiquement.

Ils ont été formés lors des millions d’années de la construction de la Terre, jaillis du magma ou nés de la vie des mers chaudes de l’ère primaire. Malgré sa féminité et sa silhouette juvénile, Sylvie les attaque au burin, dans un geste fort, mais plus amoureux qu’agressif. Une caresse avant l’étreinte. C’est qu’elle les connaît bien ces blocs conservés et observés longtemps avant de connaître la morsure de l’outil qui fera jaillir l’esprit de sa gangue ! Elle en a senti chaque veine, perçu les fragilités, distingué les marques du temps dont elle révèlera le sens, deviné leur manière future de réagir aux coups…

Dans son vaste atelier, ancienne marbrerie Menuge de Boulogne-sur-Mer où se sont succédé les tailleurs de pierre, elle a revêtu l’indispensable combinaison, le tablier de cuir, les lunettes de protection car les éclats dégagés des blocs, capables d’entamer sa peau délicate, ne pardonnent pas. Sylvie Koechlin, épouse d’Hervé Diers qui pratique de tout autres transmutations puisqu’il est saleur-saurisseur à Capécure, est née à Dijon en 1956. D’abord illustratrice pour la presse féminine mensuelle après avoir étudié dans plusieurs académies de dessin parisiennes (Charpentier, Grande Chaumière à Montparnasse) elle changea de voie après avoir tout appris de la taille directe de la pierre avec un maître fameux, René Coutelle. Sa vie personnelle l’a amenée à quitter l’atelier qu’elle avait créé à Belleville pour exercer son art sur la côte d’Opale, d’abord aux carrières de la Vallée Heureuse à Rinxent qui lui furent hospitalières. Si les immenses excavations creusées dans l’affleurement calcaire dur du pays de Marquise offrent de merveilleux décors lunaires, son nouveau local de la rue du Camp de Droite à Boulogne lui fait apprécier une atmosphère propice au travail, les vieilles pénates y étant susceptibles de favoriser l’inspiration matérialisée ensuite par les couches successives de poussière envahissant tout. La strate blanche du marbre recouvrira celle, plus sombre de la lave ou du granite. Rien n’échappe, dans l’atelier, à ce voile ténu habillant chaque objet d’une neige minérale. Mais ce qui compte, c’est le résultat, la forme qui succède à l’informe, l’imago abandonnant l’exuvie !

Vraie professionnelle

Inscrite à la Maison des Artistes depuis plus de 10 ans, Sylvie Koechlin est une vraie professionnelle susceptible non seulement d’écouter son inspiration personnelle mais aussi de répondre à d’importantes commandes, publiques ou non, une démarche qui lui permet d’avancer sur des chemins où elle ne se serait pas engagée seule : « travailler sur commande est à la fois porteur, formateur, rassurant économiquement ; de surcroît, cela ajoute à la crédibilité. »

Oeuvrant tant pour les collectivités que pour les entreprises dont le rôle de mécène est important, elle est passée maître dans l’art de présenter le dossier d’un projet. Entre autres œuvres monumentales, elle a réalisé la Princesse Palatine pour la mairie d’Asnières-sur-Seine, le Satcheu (haleur de péniches) pour la communauté de communes d’Estaimpuis, sans oublier les magnifiques sphinx situés depuis « Lille 2004 » près de la pyramide de Mariette dans la ville natale de l’égyptologue boulonnais.

Ne boudant pas le bronze et la terre, elle sculpte essentiellement la pierre ou les associe comme ce fut le cas pour une fresque symbolique destinée à l’imprimerie SIB (après la réalisation du marbre intitulé « Impressions »). Les portraits la passionnent particulièrement même si la réalisation d’un buste reflétant la personnalité du modèle représente une démarche particulièrement difficile. Dans ce domaine on appréciera particulièrement l’expression qu’elle a donnée à l’abbé Émile Dupuy pour le lycée agricole de Coulogne dont il fut le fondateur : « L’abbé, vous nous l’avez rendu » lui a-t-on dit après la réalisation de l’œuvre, ce que alla droit au cœur de l’artiste ( Confer notre article paru dans La Gazette Nord-Pas-de-Calais).

Les mosaïques faites de minéraux provenant de tous les continents agrémentent aussi l’atelier de Sylvie Koechlin, lieu magique où elle se montre accueillante. Non seulement elle aime faire travailler des confrères et les associer à son travail, même si ce n’est pas toujours aisé, mais de surcroît elle pense y organiser des stages d’initiation pour le public, dans le souci « de rendre tout ce qui m’a été donné ». Pour maintenir cet endroit bien vivant (après un sommeil de plusieurs années) elle compte aussi y organiser des expositions et des portes ouvertes sous l’égide des « Couleurs du temps ». Bien des perspectives pour un sculpteur dont les œuvres sont visibles aussi à la Galerie  en Ré  de Bois-Colombes, qui pense se spécialiser dans les œuvres de marine, prépare le Salon d’Automne (où elle reçut le grand prix Sandoz pour « Les Amants éternels ») dont elle est sociétaire, voit son travail édité par Daum France, ce qui est prestigieux et conserve la double perspective du mécénat d’entreprise et des commandes publiques.

Les maîtres

Si elle s’est nourrie des antiques témoins légués par les civilisations indienne, grecque, égyptienne, maya, le premier choc qu’elle éprouva fut d’origine romaine. Elle était encore illustratrice à l’époque, travaillant dans le domaine des arts appliqués quand elle fut subjuguée par la Pietà de Michel-Ange, devant laquelle elle resta hébétée : « C’est plus que magnifique, c’est transcendant, j’ai été éblouie. Mais à l’époque je ne savais pas que je deviendrai un jour sculpteur ! »

Sylvie a bénéficié ensuite de la pédagogie de René Coutelle qui lui a révélé les secrets de la taille directe, qui lui a offert les bases tout en l’incitant au travail personnel, car le maître ne peut pas tout donner, il faut bien que l’élève découvre par lui-même, qu’il conduise sa propre recherche. C’ est ce qu’a accompli l’artiste ayant enfin compris le secret de la sculpture : « Ce qui reste après la taille du bloc de pierre, c’est son âme ; l’essentiel, c’est la vision que vous donnerez à voir ! »

L’atelier

Le vaste atelier de Sylvie n’est pas un sanctuaire sacralisé et interdit. C’est un lieu où elle aime accueillir, notamment, les enfants des classes maternelles avec lesquels le dialogue s’engage avec une spontanéité qu’elle apprécie. Elle attache une grande importance à la communication. Comme la mère protectrice - qu’elle est et qui donna priorité à la maternité - se doit d’offrir un foyer à sa progéniture, l’artiste, selon Sylvie Koechlin, éprouve le besoin d’un ancrage sans lequel il serait en perdition : « J’ai besoin d’un toit. Sans lui, je serais comme un escargot sans sa coquille, comme un pauvre ère ! »

Bien équipé d’instruments de levage, conservant les souvenirs de l’ancienne activité artisanale, l’atelier de Sylvie, par la lumière et l’espace qu’il offre, fait mieux que favoriser l’inspiration, il joue le rôle d’un moteur : « J’ai connu dans le passé des lieux plus difficiles pour travailler ; il faut alors chercher très loin en soi ses propres forces. »

Bien que propice et offrant les meilleurs auspices, l’ancienne marbrerie va continuer à se transformer, au gré de l’évolution personnelle de l’artiste qui l’habite désormais. De plus en plus de créatures immobiles mais si vivantes viennent désormais le hanter, magiquement...

Devant la « toile » blanche

Questionner un sculpteur sur l’abord de la toile blanche contient une part de provocation engendrant une réponse intéressante. L’artiste, d’emblée, souligne que la toile à l’origine n’est rien, le peintre lui apportant tout, tandis qu’il n’en est pas de même pour le bloc de pierre.

Même s’il est de même origine géologique, chaque caillou possède une matière, une forme, une structure, un grain différent des autres. Contrairement au peintre, le sculpteur part donc de quelque chose qui existe déjà, qui constitue par son essence un énorme support de rêve. « Après, il n’y a plus qu’à laisser s’exprimer l’imagination, cette dernière étant un muscle, qui se travaille » souligne Sylvie Koechlin devinant déjà, dans la roche brute, une image : « La sculpture dort dans la pierre jusqu’à ce que je passe. Plus tard, elle retournera sans doute à la nature… »

Face à son stock de matériaux en attente, Sylvie fait preuve d’un certain fatalisme : « Il y en a qui ne me parlent pas, alors je ne leur parle pas non plus, et d’autres qui parleront plus tard… »

Quand la muse vient la taquiner tout peut se produire : « Parfois, au départ, l’étincelle vient du bloc de pierre qui génère l’idée, mais je peux aussi aller à la recherche du roc correspondant à l’idée s’offrant à mon esprit ».

Ce qui reste certain, c’est qu’en comparaison avec d’autres moyens d’expression, la sculpture reste fondamentale pour Sylvie car « on ne peut pas mentir à une pierre, pas davantage qu’on ne peut revenir en arrière. En bref, on ne magouille pas avec les cailloux ! » insiste-t-elle.

Cette impossibilité de tricherie n’est-elle pas rassurante ? Solide et pesante, la pierre tranquillise, apporte la stabilité. « Elle vous empêche de vous envoler ! » dit Sylvie, mais ne serons pas d’accord avec cette dernière assertion, car malgré leur masse, malgré la puissance de l’attraction terrestre qui les rive au sol, beaucoup de ses œuvres sont aériennes comme des oiseaux. Alors…

Artiste aux mille facettes

Gérard Deligny distribue

du bonheur autour de lui

Impossible de tout dire du Dunkerquois Gérard Deligny, à moins de lui consacrer un gros ouvrage - à réaliser peut-être ? - tant cet artiste aux talents multiples possède de facettes réfléchissantes où se mire la foule des célébrités devenues ses amis… Alors que souligner de ce peintre chaleureux comme les gens du Nord, au verbe facile, à l’exubérance permanente, au visage rieur qui ne sait pas toujours dissimuler les expressions fugitives d’une tristesse que ses plus fidèles et illustres copains l’ont aidé à surmonter ? Que mettre en évidence de ce rêveur jamais sans projet ni sans idée nouvelle, de ce créateur forcené dont le travail distribue du bonheur autour de lui ? Eh bien ! D’abord la transparence, la gaîté, le chatoiement des couleurs d’une œuvre picturale, forte d’une technique maîtrisée, toujours optimiste donnant à la région la plus septentrionale de l’Hexagone des accents méridionaux. Avec Gérard Deligny, Dunkerque vibre d’aimables chromatismes, et pas seulement par le truchement des huiles, acryliques et aquarelles et même de l’étain dont il forme des sculptures au fer à souder. Tour à tour auteur, compositeur, interprète et écrivain, notre diable d’homme a publié trois livres de nouvelles illustrées, sorti un album de dix chansons, et trouve le temps d’exercer son art au bénéfice du cinéma et de la télévision !

« En fait, explique-t-il, quand je peins, j’écris une histoire sur la toile, et quand j’écris, je peins une situation ».

Cela dure depuis un demi-siècle puisque né à Gravelines le 2 octobre 1950, d’un père livreur hippomobile et d’une maman qui créait des sacs à main, ce descendant de pêcheurs, d’où son goût pour les bateaux, a depuis l’âge de 8 ans été passionné tant par le dessin que par la musique. Fasciné par Cézanne et son Garçon au gilet rouge, il dessinait de manière innée, tout en suivant les cours de solfège, de chant, de clarinette et de guitare à l’école de musique de Gravelines, en participant à l’Harmonie municipale. A 14 ans il avait déjà écrit sa première chanson et réalisé une bande dessinée, ce qui ne l’empêcha pas d’étudier le droit et l’histoire de l’art dans les facultés lilloises.

Si l’artiste peintre se voua d’abord à l’art abstrait et au collage, très vite il évolua vers une expression figurative en ne se confinant pas dans son atelier.

En effet ce titulaire du grand prix de la fondation Michel-Ange en Corse devint, grâce à la qualité de ses dessins, illustrateur pour le journal télévisé régional de FR3. Les antennes alimentant les étranges lucarnes devenait des mâts de navires pour l’artiste créant des génériques, se faisant illustrateur de plateau, participant au film Toile de fond de Daniel Van Cutsem, à des émissions comme Histoire d’en rire, Les cinq dernières minutes, Goûtez-moi ça, sans oublier sa participation au dernier film de Dany Boon.

A propos de Toile de fond, qui fait partie de la dizaine de films qu’il a illustrés, une anecdote. Gérard Deligny se souvient que Fred Personne l’a qualifié de « doublure-pinceau » puisqu’il a réalisé les 25 tableaux du peintre qu’il incarne et qui est le protagoniste du film.

Auparavant il avait réalisé les toiles du film Quand le Diable ricane d’Armand Wahnoun. Pas étonnant que Gérard Deligny, au fil d’une carrière de quarante ans, ait pu se faire des amis comme Annie Cordy, Line Renaud, Jenny Clève, Ronny Coutteure, Pierrot de Lille, Salvatore Adamo qui a dit de lui : « Ce que j’aime chez Gérard c’est son enthousiasme et sa gaieté (…)ses tableaux sont aussi attachants que son personnage. »

Quand à Robert Lefebvre, il se plaisait à dire que les œuvres de Deligny avaient rejoint chez lui celles de grands maîtres, chacun apportant à sa manière une parcelle de bonheur quotidien.

Alors venons-en à cet aspect primordial de son expression. Si Gérard Deligny traite avec aisance les scènes de marine, la nature, le carnaval ou le sport, il aime aussi varier les supports, s’amusant à peindre non seulement sur toiles, mais aussi sur des masques, chapeaux, cadres des tableaux, coffrets, bouteilles en PVC. Étonnante inventivité !

Le parcours

Si l’on devait résumer sa carrières à quelques étapes, on ne pourrait manquer d’évoquer le salon d’Automne dès 1976, diverses cimaises parisiennes dont la galerie Drouant, sa rencontre avec le pianiste Georges Cziffra (qui a remarqué son talent et dont il fait partie de la fondation) et son exposition à sa chapelle royale Saint-Frambourg de Senlis, ses prestations de Montmartre à Budapest, du Japon aux États-Unis. Survol d’une carrière que vient couronner un hommage particulier : le nom de Gérard Deligny a été donné, à deux reprises, à l’école du village nordiste d’Uxem !

Les maîtres

Si Gérard Deligny n’appartient à aucune école, il a été cependant imprégné par quelques maîtres, le premier ayant été Cézanne qui lui fit apparaître qu’au-delà du dessin, il y a la peinture, de manière intrinsèque. Si par la suite Picasso l’impressionna, tant par son personnage extraordinaire que par son audace créative, Gérard Deligny se montre également inspiré par Albert Marquet dont il partage la spontanéité : « Dans ma peinture, confie-t-il en feuilletant un ouvrage consacré à ce peintre méritant d’être mieux connu, il y a du Marquet ! »

L’atelier

Bien que le confortable salon de Gérard Deligny possède l’apparence d’une véritable galerie d’art, c’est dans son atelier lumineux que l’artiste se sent vraiment chez lui : « C’est mon univers où tout est rassemblé, c’est chez moi, je m’y sens bien ! »

On trouve en ce lieu fort hospitalier, car c’est là que veulent être reçus tous ses amis du show -business, une foule de toiles peintes ou non, de pinceaux, palettes, couleurs et tous les résultats de ses recherches permanentes.

C’est dans son atelier que Gérard Deligny satisfait à son profond besoin perpétuel de peindre : « Quand je suis en voyage, loin de ce lieu, je suis obligé de m’acheter du matériel pour satisfaire à cette exigence quotidienne. »

C’est donc là que notre hôte respire vraiment : « Quand je suis malade il suffit de me mettre au chevalet et les symptômes disparaissent, mais pour réapparaître au moment où je repose mes pinceaux ! »

Ne travaillant pas sur le motif, Gérard Deligny se contente, face à un paysage, de réaliser une rapide esquisse à l’aquarelle qu’ils transfigurera pas la suite. C’est dans son atelier qu’il deviendra ultérieurement le visionnaire faisant se mirer la mairie de Gravelines dans la mer montée du réchauffement climatique. Un message écologique, donc !

Devant la toile blanche

Homme de scène et de télévision, Gérard Deligny n’éprouve aucun trac devant un support vierge, qu’il soit de toile, de bois ou de matière plastique. Jamais en panne d’idées, il voit déjà l’œuvre à réaliser avant même d’avoir commencé. Il va donc projeter cette image sur le support vierge, traçant un rapide squelette avant de l’habiller de couleurs. Mais sa créativité commence avant même de se trouver devant la table de travail ou le chevalet. C’est lors de son activité onirique nocturne que s’élabore le tableau à venir, à l’instar de son ami Salvatore Adamo, lequel lui confia qu’il compose ses chansons pendant son sommeil.

On peut même imaginer que Gérard Deligny doit parfois, non pas parler, mais rire en dormant quand se trouvent en gestation ses compositions les plus humoristiques, par exemple ce monumental Manneken Pis au jet puissant risquant bien de faire déborder un port flamand ! Un clin d’œil qui ne l’empêche pas de bien traduire la beauté du Plat pays, comme l’a exprimé son amie Jenny Clève. Deligny, tout comme Ronny Coutteure, est « violemment attaché à ses racines ».

Peintre militant en faveur de la nature

Maurice Demilly en sa « tour de Nesle » dominant le jardin

Ce jour-là le martin-pêcheur n’était pas venu survoler l’étang proche de l’atelier de Maurice Demilly. Mais qu’importe ! Le peintre en possédait déjà toutes les couleurs sur sa palette d’amoureux de la nature qui, depuis plus d’un demi-siècle, est animé par l’envie d’en traduire la beauté.

La poésie des choses imprégnait déjà, à l’âge de dix ans, ce fils d’agriculteur ayant choisi avec quelque opiniâtreté, dans cette spécialité qui le passionnait, la voie de l’enseignement. Ses ambitions artistiques le conduisirent en effet à faire les Beaux-Arts, de Boulogne-sur-Mer à Lille et Paris, en passant par l’ENSET de Roubaix. Diplôme national de peinture en poche, il partagea ensuite son enthousiasme avec des milliers de potaches boulonnais, en menant parallèlement sa carrière d’élu municipal dans son village de Nesles. Entre coteau calcaire et dunes de la côte d’Opale, les zones humides abritent une foule d’oiseaux et de batraciens. Sa fonction de premier magistrat lui permit de mettre en valeur et de préserver tant le patrimoine bâti qu’un environnement dont la biodiversité méritait d’être sauvegardée. Jardinier tant de son domaine personnel, boisé et parcouru d’eaux courantes, que de l’ancienne glaisière nesloise ouverte enfin aux promeneurs, Maurice Demilly ne s’est pas donc contenté de projeter des visions idéales sur la toile à peindre. Il s’est aussi consacré à la réalité d’un décor bien implanté dans le terroir, voire d’un sujet à réaliser sur le motif, dont le moulin à eau restauré par la collectivité publique constitue la cerise sur le gâteau.

Les expositions

L’heure de la retraite venue, le peintre va pouvoir se consacrer à une activité artistique que fait scintiller son livre récent intitulé « Diamants de mon enfance en Boulonnais ». Un ouvrage constituant une approche différente du public rencontré jusqu’à présent devant les cymaises. Maurice Demilly, familier des grands salons : d’Angers, d’Automne, des Artistes Français, des Buttes-Chaumont, est également présent en permanence aux Etats-Unis, au Mexique, au Japon, en Italie… Ce chevalier des arts et des lettres est fier de sa médaille d’argent de la Ville de Paris, ou encore de l’or qui lui fut décerné à Venise. Mais il ne se croit jamais parvenu au but.

Le bonheur de peindre dans la diversité

Toujours en train de chercher, toujours en quête d’un idéal s’éloignant tel la ligne d’horizon, car il existe toujours des manières nouvelles de traduire un sujet ou une émotion, Maurice Demilly adore la variété des thèmes, passant allègrement de l’un à l’autre avec pour prédilection le travail sur la lumière et la transparence.

Ses paysages régionaux, comme ses natures mortes, ont pour point commun de toujours respirer. Compositions légères car Maurice Demilly peint autant le volume que le vide, aime que les objets ne paraissent pas figés, que l’air puisse circuler entre  eux, et aussi qu’ils imposent fortement leur présence. Tiraillé entre la sculpture et la peinture, l’artiste privilégie cependant cette seconde voie, ne serait-ce que pour le plaisir quasiment sensuel de peaufiner ses glacis. Favorisant la limpidité, cette technique, constituant à appliquer une couleur transparente en couche mince sur une autre couleur, lui permet de créer des passages entre les différents plans, de fusionner les éléments, de lier les nuances entre elles : « J’aime travailler dans le frais, explique-t-il. Je commence ma peinture là où certains s’arrêtent. Alors que beaucoup préfèrent le séchage rapide, je ralentis la dessiccation pour continuer à travailler bien plus loin que l’ébauche… »

C’est ainsi que Maurice Demilly, quand le jour se meurt, peut continuer à fignoler, tout en subtilité, dans la pénombre, ce qui permet d’éliminer les détails superflus : « Quand j’allume, confie-t-il, c’est alors la surprise ! »

Avec Maurice Demilly, bien que l’engagement soit pacifique et de bon aloi, on prend conscience du militantisme du peintre. Son expression opiniâtre, lustre après lustre, a contribué à faire connaître une région aimée, à en révéler les charmes en péril. Il cite en exemple ces fermettes menacées de disparition dont le torchis enduit d’une chaux craquelée peut suggérer de remarquables effets graphiques. L’ œuvre se voit donc conférer une mission ambassadrice. De surcroît l’organisation du salon des peintres à Nesles a contribué à faire découvrir son modeste village à des créateurs venus de partout.

Devant la toile blanche

Solidement campé devant le chevalet, barbe en avant de manière crâne, une poignée de pinceaux dans la main gauche que protège un chiffon, Maurice Demilly se sent parfaitement serein face à la toile vierge. Il se montre même fort content d’être confronté à un tel espace, surtout quand il choisit un grand format : « Plus c’est grand, mieux c’est ! » commente l’artiste qui va d’abord poser les couleurs de base.

Pas de disposition organisée d’avance donc. Quand il s’agit d’une nature morte, le peintre observe les trésors de sa caverne d’Ali Baba, choisit un objet destiné à être mis en valeur, l’esquisse, puis trouvera, au fil de son cheminement, d’autres éléments pour l’accompagner. Sans être figée par un cadre initial, la réalisation va évoluer selon la fantaisie de l’artiste qui se met au service de la toile pour aboutir à une harmonie dépendant tant de la composition que de la matière. En quelque sorte une orchestration dont le tableau devient partition car « la peinture, c’est un peu de la musique ; elle contient des sons et des accords colorés. »

L’approche des paysages sera comparable. Maurice Demilly pourra passer cent fois devant un panorama et ne le point retenir, jusqu’au jour où un effet particulier de la lumière produira chez lui un déclic. Mais l’inspiration venue, il ne s’imposera pas pour autant la fidélité. Il s’autorisera à rajouter les éléments correspondant à ce qu’il veut traduire car généralement, le sujet, dont il se moque, ne représente pour lui qu’un prétexte. Le clou - du spectacle - c’est quand la lumière se met à jouer autour, donnant envie de toucher les éléments. Une pratique à éviter dans les musées, mais dont notre hôte ne parvient pas à se priver en présence d’une sculpture.

Les maîtres

Évoquer les maîtres ayant contribué à sa construction personnelle fait pétiller l’œil de Maurice Demilly citant d’abord Goya à propos duquel il avoue « avoir pris deux claques » quand il a admiré ses œuvres à Madrid, dans cette Espagne où Vélasquez occupe aussi une place majeure. De l’Italie, c’est Bellini, et aussi Andréa Mantegna que Maurice Demilly se plait à retenir, avouant aussi sa passion pour les Flamands tel Bosch, si singulier, et Vermeer aux intérieurs domestiques remarquables. Son éclectisme l’invite à citer aussi l’anglais Turner, le romantique Delacroix, et plus proche de nous le Français Soulage dont les noirs vibrent de lumière. Une lumière dessinant aussi les sculptures africaines dont Maurice Demilly apprécie par ailleurs la puissance.

L’atelier

Maurice Demilly ne manque pas d’humour quand il parle de sa Tour de Nesle, construite de ses mains fortes d’héritier des carriers de Baincthun. C’est en effet en pierres de pays qu’il élevé lui-même ce haut refuge dominant l’étang où la seule musique autorisée est constituée par un silence peuplé des cris d’oiseaux et bourdonnement d’insectes. Des moellons aux poutres, tous les éléments de cette construction élevée sont issus de la nature apportant aussi l’essentiel de la lumière par l’orientation choisie des fenêtres : le nord-est pour que nul rai de soleil ne vienne perturber l’œuvre naissante. C’est dans ce lieu encombré de couleurs, de toiles achevées ou non, d’objets disparates qui lui servent de modèle - jusqu’à un uniforme de gendarme qui deviendra l’élément central d’une composition - que le peintre vient passer l’essentiel de son temps libre : « Quand j’y reviens, après le dîner, pour terminer un détail, j’ai bien du mal à m’arracher de l’atelier. La lumière tombe, mais jusqu’à minuit, je puis sans rajouter de couleur achever un glacis… »

Ici c’est vraiment « la lumière qui s’éteint », pas le regard !

Vastes paysages de Jacques Dourlent

Sa traduction de la lumière littorale, une épuration proche de l’abstraction

Tout est harmonie dans l’environnement du peintre Jacques Dourlent dont l’œuvre patiente se nourrit de la nature alentours. Son cadre de vie est éclairé par ses toiles. Elles constituent les fruits mûris d’un cheminement artistique serein, quand, jour après jour, leur opiniâtre géniteur poursuit sa quête de perfection. Ici, au bout d’un chemin s’égarant dans les marais de la Canche, ce pédagogue nous traduit en silence le discours de la création. C’est le message le plus important que doivent entendre les hommes d’aujourd’hui. A eux, ensuite, de prendre conscience que les vastes paysages, encore intacts, de Jacques Dourlent, se trouvent sous l’épée de Damoclès de la pire des menaces. Ces éblouissants panoramas risquent de ne devenir que de simples souvenirs dont il subsisterait seulement une traduction picturale.

L’aventure et la beauté, Jacques Dourlent ne va généralement pas les chercher aux antipodes, préférant explorer inlassablement son bout de côte d’Opale ou aller enrichir sa palette sur les rivages bretons. Il se tourne aussi de bon cœur vers l’intérieur des terres, vers cet « avant-pays » où le voyageur impatient de voir la grande bleue guette l’horizon marin au-delà du frémissement argenté des saules.

Né à Calais le 13 juin 1946, Jacques Dourlent a choisi d’installer ses pénates à quelques encablures des remparts de Montreuil-sur-Mer. Après avoir enseigné le français en Autriche, puis la langue de Goethe au collège d’Étaples, le professeur de langues s’est entendu demander de donner quelques cours d’arts plastiques. Polycompétence… Pour ce familier des musées de l’eurorégion qui se plaisait déjà à dessiner, ce fut l’occasion de développer un talent sous-jacent, de fréquenter aussi le milieu des peintres régionaux avec lesquels il s’est plu à travailler. Notamment avec la regrettée Irène Darras. Elle l’encouragea à poursuivre et même à observer la toile à l’envers pour en vérifier l’harmonie.

Si Jacques Dourlent eut d’abord tendance à se focaliser sur les détails, les fleurs par exemple, très vite il aima ouvrir son angle de prise de vue, et se consacrer à d’immenses horizons. Étudiant tant les fantaisies inlassablement mouvantes des nues que les reflets du sable mouillé percé d’affleurements rocheux, l’artiste apprécie particulièrement l’atmosphère des estuaires. Baie de Canche, baie de Somme et aussi rivages presque armoricains du nord de Boulogne-sur-Mer, surtout au village halieutique d’ Audresselles. Cependant, bien qu’aimant les vasières du Crotoy et les alignements minéraux du Gris-Nez, Jacques Dourlent ne cherche pas à représenter fidèlement les lieux qui l’inspirent. Il se contente d’en respirer les ambiances, d’y puiser des nuances toujours renouvelées. Traduction de la lumière et des matières à tel point qu’il parvient à une épuration proche de l’abstraction. Anecdote : un admirateur a même cru, dans ses tableaux, reconnaître la Finlande, pays où il n’a jamais planté son chevalet.

Les expositions

Après un premier accrochage chez Joël Cordier à Calais en 1981, Jacques Dourlent a multiplié les expositions, notamment chez Pierre Vasse à Lille et galerie de l’Ermitage au Touquet : une présence régionale à laquelle s’ajoute la fréquentation des salons d’Automne et des Artistes français, de l’Institut océanographique à Paris, du Parlement européen à Bruxelles, de l’ambassade de France à Washington. Bien des occasions, donc, de faire moisson de médailles même si ce n’est pas la finalité de sa recherche opiniâtre de la beauté aboutissant dans des collections particulières en Australie, en Afrique du Sud, aux États-Unis…, ce qu’a favorisé la clientèle cosmopolite de « Paris-Plage ».

Une exposition récente l’a ramené dans la Capitale, galerie du Pont-Neuf.

La toile blanche

Dans une quête permanente de pureté, c’est au couteau à palette que Jacques Dourlent habille la toile des gouttes de clarté inlassablement débusquées dans le milieu naturel. La surface à peindre ne restera pas longtemps vierge car très vite le plasticien y définit la gamme chromatique dans laquelle il va jouer, tel un compositeur de musique choisissant par exemple le ré majeur ! Il va ensuite s’en tenir à cette tonalité, préférant laisser faire son inspiration plutôt que de préméditer l’œuvre à venir : spontanéité donc, en toute sérénité. Ce moment d’expression heureuse se vit plutôt le matin quand le soleil naissant commence son ascension et chasse les brumes effilochées qui l’emmaillotaient. A l’instar de Phébus, le peintre débute par la ligne d’horizon puis place la lumière. Souvent, il se laisser guider, sur la toile blanche, par les bases de l’œuvre et de la palette précédentes. Parti à chaque fois d’un acquis, le peintre va donc progresser d’une variation colorée à l’autre ce qui conférera, à la série de tableaux souvent parents mais jamais identiques, une intéressante continuité.

Pour peindre la mer, remarque Jacques Dourlent, il faut l’avoir intériorisée. La vision qu’il nous en restitue n’est jamais définitive, seul le temps s’arrête comme ébloui par un flash. En effet, fort heureusement, la perfection demeure ce but jamais atteint qui s’éloigne quand on avance… mais qui disparaît quand on stagne !

L’atelier

C’est la lumière septentrionale qui y prédomine. Cependant, de tous côtés, la clarté vibrant des couleurs du jardin, où fleurissent deux cents rosiers, pénètre à flot dans le vaste atelier que l’artiste a voulu à son image. Escalier vers le ciel, le second étage fait penser à un pigeonnier qui hausse l’artiste jusqu’au niveau des oiseaux de passage et des frondaisons miroitantes du marais. Baigné de musique, classique au début du travail, de jazz ensuite pour prolonger l’improvisation picturale, l’atelier est un lieu habité : convivial pour les amis qui y trouvent de profonds fauteuils, accueillants aux animaux familiers de la maison, deux terriers d’Écosse et deux chats de gouttières qui s’y installent sans vergogne ou s’y promènent à pas comptés. Quand son travail d’enseignante lui laisse quelque répit, ce lieu bénit reçoit aussi la visite de la femme de Jacques Dourlent, Patricia. Cette passionnée d’éducation ne se contente pas d’être la muse de l’artiste. Jouant aussi le rôle d’une assistante précieuse, elle partage avec lui l’amour des fructueuses promenades et des livres représentant pour eux la plus belle des évasions.

Les maîtres

A voir Jacques Dourlent feuilleter ses ouvrages d’art aux précieuses reproductions, on comprend combien l’histoire de la peinture imprègne sa vie et nourrit son inspiration. C’est d’emblée qu’il avoue son attirance pour l’école anglaise. Dourlent n’est pas d’origine calaisienne pour rien. Les accents britanniques ne lui sont pas indifférents. Ah ! Bonington, Constable, Turner, précurseurs ou ancêtres de l’impressionnisme… Ce qui ne l’empêche pas d’apprécier l’école hollandaise, de nommer Van Dyck, Van Ruysdael , sans oublier quelques français, notamment Boudin, Courbet, Balthus… et l’américain Whistler.

Qu’il s’agisse d’arts plastiques ou de musique, Dourlent fait preuve d’un éclectisme permanent tandis que son œuvre, a contrario, est caractérisée par une unité impressionnante.

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