Peintres, troisième partie

Dominique Arnaud

Rebelle, enthousiaste, résolument contemporain

Franck Longelin a entrepris une longue quête picturale

Dans son atelier trop vaste pour être correctement climatisé, le peintre boulonnais Franck Longelin, habillé de multiples épaisseurs de laine, semble également réchauffé par un feu intérieur. Il pense que des conditions de travail peu douillettes favorisent l’inspiration. D’ailleurs son œuvre témoigne de sa volonté d’aller bien au-delà d’une recherche esthétique. Passionné jetant sur le Monde, comme sur l’actualité, un regard sans aménité, Franck est convaincu que dans le flot d’images qui nous assaillent de nos jours rares sont celles qui montrent la réalité, la plupart mentant par omission, d’où la nécessité renouvelée de la peinture…

L’auteur de cet ouvrage a connu Frank Longelin à ses débuts. Assistant à sa montée en puissance, il a toujours été impressionné par la profondeur d’une démarche qui n’est pas toujours accessible au grand public. Une démarche méritant d’être expliquée.

Plus mûr aujourd’hui, mais ayant conservé un enthousiasme adolescent, le peintre, dont seule la manière a évolué, n’a pas changé depuis trois décennies. Il a conservé de la rébellion dans le regard et de l’enthousiasme dans la geste.

Né à Boulogne le 4 octobre 1956, cet autodidacte n’ayant accompli que de courts passages aux Beaux-Arts a été essentiellement nourri par le « choc des oeuvres » contemplées tant dans les musées que dans les livres. Ses initiateurs furent aussi, dans sa tendre enfance, ses parents. Son père Charles peignait. Sa mère Jocelyne a toujours été férue de littérature. C’est ainsi que le jeune Franck put se distinguer dès son plus jeune âge par son talent de dessinateur. Il avoue que lors des cours, il réalisait des portraits de ses professeurs, ce qui n’était pas toujours bien vu…

Quelques années passèrent. Quand Franck atteignit l’âge de 17 ans, il prit conscience de sa vocation en découvrant les impressionnistes dont il aima d’emblée l’expression poétique. Ses premières toiles furent inspirées par le fauvisme, et c’est en 1978, à 22 ans, qu’il se lança dans sa démarche professionnelle en installant son premier atelier Grande-Rue à Boulogne, s’inscrivant ainsi dans la cité, non pour imiter les vieux maîtres, mais pour trouver sa propre écriture. Si les fauves avaient au début du 20ème siècle remplacé la palette douce des impressionnistes par des couleurs plus violentes, Franck supprima le motif pour envisager la peinture en elle-même, en tant que sujet, et la mettre ensuite en volume. Nous nous souvenons bien de ces blocs dont les couleurs éclatantes semblaient se prolonger dans la masse. Cette recherche sur trois dimensions le conduisit à démarrer de l’informel pour aboutir à la représentation du vivant par le truchement de la symétrie. En effet cette disposition par rapport à un axe, cet effet de miroir, suggèrent la figure, car la répétition symétrique évoque l’être. Par exemple, si un bâton isolé n’exprime rien, deux branches parallèles suggèrent en effet des jambes. Évoluant de l’espace indéfini aux limites de toiles pourtant vastes, Franck Longelin composa alors, à partir de taches, une calligraphie s’apparentant à l’écriture orientale. Compositions abstraites qui devaient finir par appeler la figure. Mais pas n’importe laquelle, car la représentation, selon lui, ne devait pas venir détériorer le vide, d’où la survenue d’images christiques constituant, notamment par les dépositions de croix, une phase importante du cheminement de Franck Longelin. Cette période mystique lui a permis d’exprimer les problématiques les plus douloureuses de notre temps, de l’Holocauste d’hier aux exterminations d’aujourd’hui, dont les images insupportables parviennent dans tous les foyers portées par la télévision et l’Internet. C’est ainsi que sa Décapitation de Saint-Georges a été inspiré par une exécution irakienne.

Un artiste engagé

L’engagement du peintre a été particulièrement manifeste lors de son travail sur les médias, véritable coup de gueule de la raison poétique se rebiffant devant l’actualité. Prouvant la pertinence de la peinture dans le monde contemporain, Frank Longelin démonte pour reconstruire, ne voulant pas seulement casser. De surcroît, il fait la démonstration qu’en agissant sur les images, on pèse également sur la réalité, ce qui continue à être l’objectif de cet artiste engagé. D’où sa série des « Exécutions picturales » prenant pour cibles les images télévisuelles d’émissions grand public, lesquelles sont les plus contraires à l’art du tableau. C’est donc bien, dit-il, au sens propre comme au sens figuré qu’il faut entendre les mots « Exécutions picturales » car c’est en effet une certaine résolution picturale propre à l’artiste qui permet ici, dans une mise en scène quasi théâtrale, d’élever une série d’attentats fictifs au niveau d’œuvres d’art.

Les expositions

Franck Longelin exposa pour la première fois, au lycée Mariette, à l’âge de 19 ans.

Auteur de plusieurs expositions personnelles à la galerie parisienne Nicole Ferry, en front de Seine, le peintre a été notamment présent à la galerie Le Carré de Lille, au salon d’art contemporain de Montrouge, à La Passion de Dunkerque à Ypres, au musée Saint-Germain d’Auxerre. Son œuvre saluée par Jean-Luc Chalumeau est parvenue à la reconnaissance publique : acquisitions par le château-musée de Boulogne, le musée d’art contemporain de Dunkerque, le conseil général du Pas-de-Calais, La Passion de Dunkerque…

Avec Marie Sallantin, Longelin est co-fondateur de l’association Face à l’art.

Devant la toile blanche

De la toile blanche, Franck Longelin se plait à révéler le châssis en l’imprégnant d’huile de lin ce qui provoque transparence et dominante jaune. Le peintre n’aborde pas toujours la page vierge de la même manière. Quand il a déjà mûri, dans sa pensée, un grand format, il l’affronte d’abord en s’appuyant sur plusieurs croquis préparatoires qui constitueront autant d’éléments d’information à recomposer. Mais cette démarche structurée n’est pas la plus fréquente. Le plus souvent, sans idée préconçue, le peintre « répond à l’appel de la toile ». Il peut tourner autour du chevalet pendant des heures, sans utiliser une goutte de peinture. Puis, d’un seul coup l’image survient. Alors en condition, Franck se jette à corps perdu dans le travail que caractérise l’osmose entre la gestuelle et l’intériorité. Sa peinture souvent assez monochrome utilise des couleurs évoquant le vide : l’azur, la transparence, le noir bleuté, que le peintre dispose avec générosité. Quand une plage aussi tourmentée que charbonneuse occupe une bonne partie de la composition largement translucide, on pourra y traduire la juxtaposition du néant sur le néant. Côté pratique, une cuvette remplace la palette. Et au pinceau se substitue sa main gantée, prolongée par un chiffon de travail qui sera ensuite scellé à la toile. Ce collage représente une véritable marque de fabrique que l’on retrouvera dans chaque tableau.

Les maîtres

Le premier nom venant à l’esprit de Franck Longelin est celui du précurseur des fauves et de l’expressionnisme : Vincent Van Gogh. Sensible plus tard au cri d'angoisse d’Edvard Munch, le peintre boulonnais a toujours été fasciné par les artistes démesurés, quelle que soit leur époque, de celle de Le Caravage aux plus contemporains que représentent Pierre Soulage, aux noirs si lumineux et Toroni pour la démesure de sa geste poétique. Il trouve enfin un maître absolu en Rembrandt car si quatre siècles séparent le Néerlandais du Boulonnais, « la peinture reste éternelle ». Voie ambitieuse choisie par un créateur démarqué.

L’atelier

Dans l’atelier de Franck Longelin se côtoient en harmonie les œuvres anciennes et les plus récentes, les premières conduisant à la compréhension des secondes. Sur plusieurs niveaux, dans 400 M2 d’un ancien garage devenu friperie, l’artiste trouve la place nécessaire pour laisser respirer ses toiles géantes et s’environner d’une multitude d’objets glanés et de pierres ramassées : un précieux capharnaüm qu’il a néanmoins cloisonné pour offrir un espace d’exposition à ses amis. Franck Longelin aime et provoque la confrontation, non seulement avec d’autres plasticiens, mais aussi avec l’histoire. Tout particulièrement en s’entourant de souvenirs de la Première Guerre mondiale, qui lui permettent de puiser de la force dans la mémoire des hommes morts pour la liberté, un combat qui au troisième millénaire ne le laisse jamais indifférent.

Aller plus loin dans la compréhension de la pensée et du corps humains

Benoît Rafray voyage dans les réseaux de la vie

Dès son entrée dans l’atelier de Benoît Rafray, le visiteur prend conscience que l’artiste le peuplant de ses créations n’est pas seulement inspiré par la muse mais qu’il s’appuie sur une réflexion solide.

Parvenu à la maturité de la quarantaine, Benoît Rafray a conservé une simplicité et une fraîcheur quasiment adolescentes tandis que le souci de progresser l’anime davantage que celui d’un grand succès commercial.

Né à Cucq le 27 décembre 1967 dans un milieu artistique, son père, architecte à Stella-plage, peignant tout comme sa mère s’y complait, Benoît Rafray a choisi tout naturellement pour ses humanités l’institut Saint-Luc de Tournai où il obtint le diplôme supérieur en aménagement intérieur, formation d’architecte complétée par son inscription à l’académie royale des Beaux-Arts de la capitale belge, section peinture, où il obtint le premier prix d’excellence de la ville de Bruxelles. Revenu sur la côte d’Opale il partage son temps entre le cabinet d’architecture de son frère Stéphane et son atelier de Valencendre à La Caloterie dans une vieille maison rurale que son père se plut à restaurer durant deux décennies.

Dans cette atmosphère de paix en pleine nature, il travaille avec constance sur le personnage humain après avoir beaucoup étudié, tant les modèles vivants que les écorchés. Sa représentation du corps part en effet de l’intérieur de celui-ci puisque Rafray s’est débord intéressé au squelette et à l’anatomie. Une fois décortiquée la structure corporelle, il peut l’habiller afin de revenir à l’extérieur, après s’être enrichi lors d’un voyage dans les profondeurs des articulations, du réseau sanguin, du faisceau des fibres musculaires ; l’ultime étape sera constituée par une mise en situation du personnage. L’étude du physique conduit alors à une démarche plus spirituelle : il s’agit de discerner dans l’espace les attitudes humaines suggérant la tension graphique du corps, de son énergie et de son équilibre.

Les séries se succèdent chez Benoît Rafray. Le thème Crise de foi situe l’homme dans un décor marqué par l’architecture religieuse. Les Piqûres de peinture conduisent ses sujets au musée, là où prenant conscience de la permanence de la peinture, on en subi comme une injection de rappel. Enfin sa traversée de la baie du mont Saint-Michel, impressionnante de force, confirme son goût d’une palette bicolore où la déclinaison des gris et noir s’harmonise avec une gamme de rouges vivants comme la chair et le sang.

L’intention picturale, écrit le peintre, se situe au niveau du corps humain. Il s’agit d’aller au-delà de la surface de la peau pour pénétrer et explorer ce tissu de sang et de chair, et y découvrir ce qui se passe derrière cette peau diaphane…

Ses œuvres visibles sur l’Internet ont fait l’objet d’expositions collectives en Belgique et sur la côte d’Opale et de présentations personnelles notamment au musée du Touquet et aux Beaux-Arts de Boulogne-sur-Mer.

Les maîtres

Le premier nom qui vienne à l’esprit est celui de Giacometti pour son travail sur le corps, l’esprit, l’intériorité. Évoquant aussi Rembrandt parce qu’avec ses portraits le spectateur va au-delà de la peinture, Benoît Rafray met aussi en évidence, parmi d’autres contemporains, le travail de Miquel Barcelo…

Il aime aussi se retrouver en atelier dans la compagnie d’autres peintres.

Face à la toile blanche

Chez Rafray c’est l’idée lentement mûrie qui conduit l’œuvre à venir, le sujet se situant dans l’évolution d’une série où chaque toile peut en appeler une nouvelle. La naissance d’un tableau commence souvent par une esquisse de petit format au fusain dont le trait charbonneux permet de vite capter l’intention. Mais l’artiste aime tant la fraîcheur et la spontanéité de l’esquisse, vertu qu’il souhaite garder à la toile finale, qu’il en arrive à réaliser l’ébauche directement sur cette dernière où seront donc associé le fusain et l’acrylique, dont les couleurs séchant vite obligent à une expression rapide. Aimant la clarté et la transparence, Benoît Rafray pense que quelques traits suffisent à l’éloquence et qu’en peinture, comme en composition musicale, des silences sont nécessaires pour mettre en évidence les coups de tambour !

L’atelier dans la fermette

Quel artiste ne rêve pas de disposer d’un véritable atelier ? Un local où l’on puisse sans vergogne laisser sur place, pour les retrouver en fonction de ses besoins ou envies, tous les objets précieux et nécessaires à la gestation de l’œuvre, toiles vierges et inachevées, pinceaux, palettes, tubes et médiums…C’est donc avec bonheur que Benoît Rafray l’a installé dans les dépendances de la fermette où les parois naturelles, colombages en bois et torchis malaxé avec la terre du jardin, ne le coupent pas de l’environnement rural. « Alors que le ciment brûle, l’argile soigne » précise l’artiste trouvant dans cette maison à l’ancienne une atmosphère propice pour aller plus loin dans sa compréhension du corps de l’homme, de sa pensée et de son environnement.

Sujet ou support, l’univers infini de la rue

Agathe Verschaffel et Jank associés dans une recherche permanente

A notre guirlande d’artistes chevronnés, la fraîcheur de la jeunesse aurait manqué sans la charmante Agathe et son ami Stéphane, rencontrés non aux cimaises d’une galerie, mais sur Internet comme il se doit quand il s’agit de technophiles bien connectés à leur époque. Chacun possède en effet ses pages Web. Cependant, n’imaginons pas que leur art soit dématérialisé. En prise directe avec leur temps, Agathe Verschaffel, née le 14 janvier 1983 à Calais et Stéphane Magnier, dit Jank, qui a vu le jour également dans la cité maritime le 1er janvier 1979, le sont d’abord par la profession qu’ils ont en commun à temps partiel, celle d’animateurs de groupes d’enfants, dans les centres aérés ou colonies de vacances. Outre une certaine sécurité matérielle, ce travail à caractère pédagogique leur offre l’occasion de partager avec les enfants leur bien ancienne passion pour la peinture. Transmission d’un héritage car Agathe se souvient que toute petite sa maman l’encourageait à peindre, sans craindre, à l’instar d’autres parents, qu’elle ne salisse ses habits. Un bon apprentissage car aujourd’hui, contrairement à d’autres artistes, elle ne revêt pas, devant son chevalet, de vieux tablier taché. C’est en élégante tenue de ville qu’Agathe exploite son inspiration du moment, au grand étonnement de son compagnon car jamais une goutte de couleur ne tombe sur son corsage, de jais comme elle l’affectionne. Quant à Stéphane il préfère, aux fines brosses et aux couteaux précis, la générosité spontanée des bombes et aérosols !

Une passion

La peinture représente pour l’un et l’autre une passion remontant à l’enfance. Devenue, depuis 2001, une démarche de couple, elle s’abrite dans le nid douillet, mais tout petit, de leur appartement de Calais Nord. Il n’y a pas là assez de place pour entreposer de grandes toiles qui trouvent donc un hébergement commode dans un atelier extérieur.  De surcroît la rue est également le domaine aimé du couple de peintres. Agathe en rapporte des photos qu’elle reproduira avec finesse, transfigurant des scènes et paysages qui a l’origine ne sont pas forcément esthétiques. Après sa série sur les bidonvilles africains et les favelas sud-américaines (elle avait voulu montrer ce que personne ne représente), elle s’est intéressée aux rues de Paris, aspects haussmannien, puis à l’ ancienne manufacture de dentelle Boulard (le futur musée), témoin d’une industrie en perdition, dont elle a magnifié la dégradation et la lèpre, démontrant son talent de ruiniste. Eh! Oui !Après avoir travaillé sur les bronzes de Rodin ornant le jardin de l’hôtel de ville de Calais, elle s’est aussi intéressée, en gros plan à l’acier des métiers jacquard, par intérêt du travail sur la matière.

Hyperréalisme.

Si Stéphane reconnaît qu’ « on s’influence mutuellement » il possède une technique toute différente. Épris de peinture murale, il a commencé clandestinement par quelques graffiti dans des endroits perdus avant d’obtenir l’autorisation d’utiliser des surfaces disponibles condamnant parfois l’œuvre à un devenir éphémère. S’étant fait connaître il bénéficie aujourd’hui de commandes publiques ou privées. C’est ainsi qu’il a décoré le pont de Flandre et une salle de spectacles à Arques, qu’il a réalisé des décors de célébrités pour la fête de la musique, qu’il anime les discothèques avec des fresques représentant des portraits de stars. Aimant particulièrement peindre des lettres, se montrant adroit dans les faux bois et marbres, Jank s’est même vu demander d’imaginer de grandes peintures murales pour dissuader d’éventuels taggers !

Quant à sa compagne Agathe ses œuvres trouvent refuge dans des expositions de plus en plus huppées. Après des cimaises calaisiennes ce furent le salon d’art contemporain au Carrousel du Louvre, la galerie Le Garrec au Touquet (salon du Lions club), les Rosatis d’Arras, le concours de l’Académie de Lutèce à Paris, le salon de Vendôme…

Les maîtres

Parmi les maîtres qui ont contribué à son éducation picturale, Agathe se plaît à citer Magritte dont la méticulosité ne lui est pas étrangère, et Picasso dont le génie inventif ne peut la laisser indifférente. Cependant elle est également sensible à la bande dessinée, citant notamment l’univers particulier de Enki Bilal et de Franck Miller. Les mangas l’intéressent comme ils passionnent Stéphane qui citant (bien sûr) Andy Warhol met en évidence, parmi les graffiteurs, le fameux Alex du groupe MAC…

Devant la toile blanche

A chacun sa manière d’aborder la surface vierge. Agathe passe toujours par deux étapes : d’abord la réalisation de la photo du sujet, puis l’esquisse de ce qui deviendra le tableau final. Sur la toile, elle ne l’abordera pas dans les grandes lignes, mais s’attachera à achever complètement un morceau de l’image avant de passer à un second. Petit bout par petit bout donc, jusqu’au temps de la finition générale.

Méthode diamétralement opposée pour Stéphane. D’abord intéressé par la surface à peindre, il va l’explorer longuement en la palpant afin de bien en connaître la substance, d’en découvrir toutes les rugosités et porosités. L’usage de l’aérosol permet de recouvrir des supports extrêmement bruts. Sachant que l’œuvre ne sera pas forcément durable, que son travail risque de n’avoir qu’une espérance de vie limitée, il mettra tout son talent dans la joie d’une réalisation succédant à une élaboration longuement mûrie dans l’esprit.

L’atelier

Pour Agathe, il n’y a pas d’autre solution que de planter le chevalet près de son lit. Peu de place, mais la chambre est lumineuse. C’est important car, qu’il s’agisse de celle du matin ou de l’après-midi, l’artiste choisit toujours la lumière naturelle. Quant il lui est arrivé de travailler aux ampoules tungstène, elle a été déçue ensuite quand le jour ne lui a pas restitué les nuances d’origine. Question de température de couleur…

Quant à Stéphane, pas question de braquer ses aérosols à la maison. Son atelier extérieur lui est donc précieux, non seulement pour stocker le matériel, mais aussi pour préparer ses supports.

Son atelier reste cependant le plus vaste qui soit : l’univers infini de la rue et des bâtiments à usage collectif, là où le tableau n’a jamais besoin de cadre. Si ce n’est celui de notre champ visuel…

L’artiste matiériste fait vibrer les tonalités

Peintre à la facture précieuse, Chris refuse la mode du jetable

Pas étonnant que Chris trouve l’inspiration en des lieux d’une si grande beauté ! Cet artiste épris de peinture dans l’acception la plus puissante du terme - ce qui en fait un « matiériste » sans nulle incompatibilité avec la spiritualité - vit et travaille en effet en l’ancienne abbaye de Dommartin à Tortefontaine, un séduisant village proche du fleuve Authie. Ici la campagne n’est pas plus urbanisée que ne se laisse dénaturer son œuvre pleine et forte offrant la double particularité de plaire d’emblée et d’offrir moult découvertes lors d’une observation se prolongeant.

Une lecture à deux niveaux, donc.

Abritées dans sa superbe maison de craie, ses œuvres auraient pu être patiemment peaufinées par quelque vieux moine silencieux, héritier des enlumineurs, dont le spectre hanterait encore l’antique monastère. Que nenni ! Chris, alias Christian Weppe, est un homme de son temps, bon vivant d’une activité débordante, et dont l’affabilité ordinaire correspond à une certaine rondeur, tant du physique que du caractère…

Ce pur autodidacte né à Sains-en-Gohelle le 6 décembre 1955 dessina son premier bateau à l’âge de 10 ans, puis s’exerça à des portraits de vieillards, sujet excitant sa jeune imagination. Nourri de Rembrandt et de Vermeer dont les œuvres l’impressionnèrent au Rijksmuseum d’Amsterdam, il fut marqué par sa rencontre du peintre expressionniste normand Jef Friboulet. Encouragé par un premier prix de peinture, à Méricourt-sous-Lens, à l’âge de 17 ans, ce natif du bassin minier découvrit vite la voie qui se traçait devant lui. En effet, embauché au service du tri des PTT d’alors, il fut très vite détaché, par la Poste, pour réaliser des toiles destinées à la décoration des bureaux ! Cependant, dès son mariage en 1978, il choisit l’indépendance, tentant l’expérience de reprendre des galeries d’art à Lambersart puis au Touquet, installant ensuite son atelier à Fruges. C’est cependant son enracinement à Tortefontaine, il y a plus de quatre lustres, qui assiéra sa carrière de professionnel, débuts dans lesquels fut appréciée l’aide de quelques amis collectionneurs qui par leurs acquisitions, contribuèrent à son effort de recherche.

Cette quête constitue un travail de longue haleine car pour ce peintre matiériste, le sujet, important peu, n’est que prétexte. Chris ne se montre jamais avare de son temps, ni économe de ses tubes de couleur (dont il possède une impressionnante collection), pour traquer les secrets de la matière et inviter le spectateur à se promener dedans, lors d’un véritable voyage intérieur : « La peinture, nous a-t-il confié, ce n’est pas de l’imagerie. Il s’agit de faire vibrer les tonalités. »

Tel un musicien, Chris compose donc - tout en écoutant Bach - une œuvre aux riches chromatismes, courant avec bonheur sur les immenses partitions de ses toiles de grand format. Il y traduit l’érosion et l’empreinte du temps, il y illustre ces dégradations qui portent en elles l’espoir de la renaissance en expérimentant une alchimie des couleurs mise au service d’une inspiration foisonnante. Ombres mystérieuses, silhouette fantomatique fondant dans le magma, ses portraits conservent le caractère fugitif de la lumière. Tandis que son monde végétal stridule d’insectes amoureux, l’âme du pays où il vit transparaît dans les torchis, matériaux argileux de la grasse glèbe ; il en aime la ruralité glaiseuse comme il apprécie les carcasses de navires estampillées par les aventures maritimes, tandis que l’ancienne splendeur de Venise est célébrée par des murs lépreux n’ayant rien perdu de leur magie. Amateur de structures rouillées, le peintre aime se pencher sur les érosions mécaniques.

Chris doit être un peu sorcier. Non qu’il fasse mijoter des philtres maléfiques, mais parce qu’il préfère, aux techniques modernes manquant d’âme, les vieilles recettes du passé : il connaît en effet les secrets des huiles vieillies au soleil et des pigments finement broyés qui procurent aux tonalités toute leur résonance. Les chromatismes deviennent percutions.

Ardent défenseur de la peinture de qualité, comme du métier de peintre frappé du sceau de l’authenticité, Chris refuse donc, du monde contemporain, la mode du jetable.

Salons et lauriers

La permanente insatisfaction du créateur représente certainement la meilleure manière de parvenir un beau jour à une œuvre vraiment achevée, ce qui lui a valu de belles récompenses : 1er prix des Amis du salon d’Automne en 1989, médaille d’or du salon des Artistes français en 1992, Prix Fould Stirbey à l’Académie des Beaux-Arts, Institut de France, en 1993, sans oublier cette mention lointaine au prix des 7 collines de Rome. Parmi ses multiples expositions on distinguera la Chapelle de la Salpêtrière en 2005, sous la présidence du professeur Cabrol, l’espace Sainte-Croix à Loudun en 1999, ou encore la chapelle des Jésuites à Saint-Omer en 1997 avec Jean Roulland. Autant d’occasion d’exprimer le rôle du peintre qui selon lui n’est pas de représenter, mais d’ouvrir les yeux des gens, de permettre la découverte du Monde, et aussi d’offrir un refuge. Nulle thérapie de la dépression n’est meilleure, tant pour l’auteur que pour le spectateur, pense Christian Weppe pour lequel la peinture représente une remise en question permanente.

Les maîtres

Pour Chris « l’art, c’est le beau de la culture ».

On comprendra donc son attachement profond pour le maître du clair-obscur (Rembrandt) et pour celui de la lumière (Jan Vermeer), fondement d’une culture picturale complétée par Braque, Balthus, Dali, et aussi Bacon, Fautrier, Soulage, Kiefer… Une liste qui restera incomplète car Chris confie « aimer énormément d’artistes ». C’est pourquoi, à condition que l’œuvre soit « habitée » il aime acquérir les travaux de ses contemporains

L’atelier

L’atelier de Chris est un lieu extraordinaire. Situé sur plusieurs niveaux dans l’Écurie des Étrangers et l’ancienne forge de l’abbaye du XVIIIème, il est aussi vaste qu’encombré par les stocks de châssis, par les bouteilles de médium, par les couleurs accumulées qui finissent par se sédimenter sur le sol. Malgré l’importance de la surface, la place manque pour poser le pied dans ces ateliers-capharnaüm où l’itinéraire est forcément un labyrinthe, mais dont l’artiste conserve précieusement les trésors à l’endroit même où il les a abandonnés. C’est là qu’il retrouvera, des années après, le vieux tube contenant « La » nuance introuvable dans les catalogues d’aujourd’hui, qu’il laissera sécher longtemps les toiles tendues par lui-même puis encollées et enduites à la céruse.

La toile blanche

« Mes œuvres les plus importantes sont celles abouties d’une longue méditation » indique l’artiste qui peut passer des jours à réfléchir devant la toile vierge avant d’y poser la première couleur. Ne se basant sur aucune esquisse préalable, il va démarrer en disposant quelque nuances correspondant au sujet avant de les faire éclater sur le tableau dont la révélation va s’accomplir, apport de substance après apport de matière. Viendra ensuite le temps des translucides glacis successifs jusqu’au moment où la composition nouvelle-née va littéralement s’exprimer : « quand la toile est achevée, elle me le dit, se manifestant en rebondissant sous le pinceau pour me faire comprendre que l’œuvre est arrivée à son terme ! »

Bruno Ghys, la passion de l’édition

De l’expression surréaliste à la BD

Deux mots, que d’aucuns opposeraient, caractérisent l’expression de Bruno Ghys : « J’aime travailler dans le  merveilleux ! »

Artiste quadragénaire ayant conservé la fraîcheur des émotions adolescentes Bruno Ghys transfigure sa ville de Boulogne-sur-mer en faisant apparaître, parmi les monuments historiques recomposés, la charge des éléphants, pachydermes faisant partie de ses animaux fétiches. Elle nous explose au visage la force des images de cet enseignant né à Hesdigneul les Boulogne le 29 novembre 1964 ! Titulaire d’une maîtrise de géographie humaine, il enseigne les lettres et l’histoire au lycée Cazin de Boulogne. Mais le professeur ne s’adresse pas, à son public de jeunes, qu’en termes magistraux. En effet, ce passionné de bandes dessinées, qui nous confiait que le rôle de l’artiste est avant tout de faire plaisir aux gens et de leur montrer du beau, s’exprime dans la rédaction ou l’illustration de livres pour enfants. René Hausman a écrit pour lui l’histoire du Prince des éléphants dont il a réalisé les dessins, mais Bruno est l’auteur des textes du Roi qui devint Roi, de You, de la Poupée Pomme de Terre et L’Arbre qui voulait voir la mer de son ami Jean-Louis Dress.

Un parcours né avec Conan

Enfant, Bruno Ghys adorait dessiner animaux et super-héros, activité qu’il eut tendance à oublier pendant ses études, jusqu’au moment où ce grand lecteur découvrit, au lycée, la science fiction, la littérature fantastique et la BD, notamment avec Conan le Conquérant dont les dessins de John Buscema le fascinèrent. Pour ne pas laisser s’étioler son goût pour le neuvième art, il décida d’en rencontrer les principaux artisans d’où l’idée d’organiser à Boulogne-sur-Mer un festival de la BD qui perdure depuis 1991 et lui a permis de rencontrer, dans un climat de sympathie, des auteurs dessinant de manière fabuleuse. Contagion : la première édition du festival de la BD fit renaître chez Bruno Ghys une envie de dessiner qui hélas n’est pas toujours sans le tourmenter. La confrontation avec les maîtres du neuvième art, en effet, lui fait parfois redouter de ne pouvoir les égaler mais en contrepartie cette fréquentation l’encourage et le dope magnifiquement. Le résultat, entre nous, est plutôt encourageant ! De belles signatures comme Béatrice Tillier, Olivier Brazao, Jean-Louis Dress, Jean-Claude Cassini ou Thomas Mosdi sont maintenant ses amis.

Art animalier

Devenu le créateur passionné de toutes sortes d’images Bruno Ghys aime particulièrement représenter les animaux, d’où ses livres évoquant le cheval de race boulonnaise. Sa prédilection pour le fantastique l’oriente particulièrement vers les scènes martiales et la féerie, l’essentiel étant de parvenir à la jubilation du regard, et aussi d’émoustiller l’esprit par des scènes décalées : « J’aime représenter des sujets hors contexte, par exemple en situant, de manière surréaliste, baleines et dauphins devant la cathédrale de Boulogne… »

L’édition reste le moyen de communication privilégié de Bruno Ghys songeant à réunir, dans un beau livre, pour le 20ème anniversaire du festival, les illustrations fantastiques produites par les auteurs ayant fréquenté l’Angoulême de la côte d’Opale. C’est ainsi qu’il aimerait se lancer dans des ouvrages personnalisés, ayant déjà réalisé à un unique exemplaire un vrai chef-d’œuvre en hommage à sa femme sur le thème des proboscidiens (porteurs de trompe). Jamais à court d’inspiration l’artiste se lance aussi dans des graphismes destinés aux chambres enfantines, peuplant d’exotique manière les reproductions d’antiques planisphères, cartes dont les noms anciens ont souvent disparu du paysage planétaire.

L’atelier

Faute de pouvoir voyager davantage, et d’aller voir sur place les hôtes de la savane, ce voyageur immobile utilise toutes les possibilités de l’Internet pour y puiser les sources d’inspiration qui prenant forme feront ensuite pétiller les yeux : « J’aime offrir aux gens ce que je ressens quand je regarde une œuvre que j’aime… »

Ne disposant pas vraiment d’une pièce consacrée à son art, Bruno a tout simplement pour atelier la salle de séjour dont il colonise la table à manger quand il ne plante pas son chevalet au salon. Son épouse, heureusement compréhensive, ne s’étonnera pas de le voir crayonner, sur ses genoux, devant la télévision. Mais elle aimera aussi qu’il travaille, de conserve, avec l’une de ses filles partageant, avec son papa, le goût du dessin.

Les maîtres

Parmi ses « maîtres » le premier qui vienne à l’esprit de Bruno Ghys est Henri de Toulouse-Lautrec, le fameux Albigeois fasciné par l’expression humaine. Citant aussi d’emblée l’affichiste tchèque Alfons Mucha et l’Américain Norman Rockwell connu pour ses couvertures de magazines, Bruno Ghys voue aussi une grande admiration à Frank Frazetta, dans le domaine du fantastique, et à Robert Bateman, dans un art animalier si parfait que son réalisme est proche de la photographie.

La page blanche

La page blanche, qui intimide d’aucuns, ne représente pas un problème pour Bruno Ghys. Ce qui l’inquiéterait plutôt, c’est sa difficulté à canaliser les choses : « J’ai tendance à me disperser, à vouloir faire 36 000 choses en même temps ».

Mais revenons au support vierge. Devant une surface immaculée, souvent de papier épais à base de chiffon, Bruno Ghys a parfois envie de la vieillir avant de commencer à dessiner. Il utilisera le fond de la cafetière pour brunir la feuille et y déposer des auréoles dont la matière mettra en valeur le motif ultérieur, parfois inspiré par une photographie. Qu’importe le modèle ! Pour Bruno Ghys, l’essentiel est de se renouveler perpétuellement, de chercher dans toutes les directions, mais sans trop s’écarter de cette aspiration permanente à une expression ludique restant populaire et abordable financièrement parlant.

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Le paysagiste fait connaître la Côte d’Opale outre-Atlantique

Gérard Mortier, au couteau, une quête accrue de la pureté

Si les paysages de la côte d’Opale et de son arrière-pays sont connus et aimés jusqu’au Colorado, au pied des montagnes Rocheuses, c’est certainement grâce au peintre boulonnais Gérard Mortier qui vit une existence créative dans un cadre conforme à son goût de la nature et des maisons rurales traditionnelles dont les toits à forte pente et les volets de couleurs siéent à son village de Wierre-Effroy.

Chantre de la lumière ayant trouvé les notes justes pour exprimer la région qu’il aime, Gérard Mortier est un pur autodidacte qui au temps de l’école brillait davantage à l’heure du dessin que lors du cours de mathématiques, ce qui ne l’empêcha pas de s’engager tout jeune dans la profession bancaire (vouée aux chiffres) pour des raisons essentiellement alimentaire après un bac littéraire. Issu d’une famille de commerçants, Gérard Mortier retint cependant de cette période qu’elle lui fut propice à l’apprentissage de la vie que favorisaient donc les contacts commerciaux. De bons souvenirs donc pour ce natif de Boulogne-sur-Mer, le 23 août 1951 qui après 29 ans de carrière au C.I.C. (Scalbert Dupont), résolut de tirer sa révérence pour se consacrer entièrement à son art, à l’âge de 51 ans, ce qui représentait une certaine prise de risque financière. Cependant cette décision se basa sur une notoriété déjà solide construite à partir de ses premières expositions, au début des années 1980, tant dans un salon de coiffure de la place Vignon qu’à la galerie Sabine, en haute ville de Boulogne-sur-Mer. Une récompense au Salon des Artistes Français, puis au Noël des Déshérités, et les encouragement de son aîné Victor Malinski l’avaient conforté dans la voie artistique mûrement choisie.

Amoureux du Septentrion

Ne se contentant pas de maintenir le cap, cet amoureux des rivages septentrionaux affirme toujours davantage un style tendant au dépouillement. Subsiste bien sûr sa volonté originelle de montrer tant la nature aux verts bleutés que cet habitat typique, coiffé de superbes tuiles orangées, dont ses tableaux incitent à la sauvegarde. Mais Gérard Mortier vise toujours à une épuration accrue, pour mieux se consacrer à la restitution de la lumière, qui vibre dans la puissante matière de ses toiles travaillées au couteau, outil dit-il pouvant prendre la forme d’une truelle de vitrier. A l’instar de son maître Nicolas de Staël, dont les larges aplats de couleurs connurent un grand succès après-guerre, Gérard Mortier aime ce geste généreux le faisant apprécier dans les trois galeries où il expose régulièrement : celle de Denise et Joël Dupuis à Hardelot (où il se trouve être le seul peintre régional), celle du Marché, de Willy Granges à Montreux (Suisse) avec pour intermédiaire son ami Patrick Riat, et enfin la galerie Smith-Klein à Boulder dans l’agglomération de Denver (Colorado), grâce à des Boulonnais installés dans cette région des Etats-Unis, Barbara et Serge Fayeulle. Ce qui en fait un « internationally recognized oil painter » qui « paints in a style that is undeniably his own…) »

Cette situation internationale incite aussi Gérard Mortier à délaisser parfois ses thèmes favoris de la côte d’Opale pour se laisser inspirer par les paysages d’Espagne, de Suisse, du Mexique ou des USA, sans oublier les merveilles des rivages français de l’Atlantique. Sa satisfaction reste cependant d’avoir rendu célèbre son village du pays de Marquise jusque dans le centre-ouest américain.

Les maîtres

Ses maîtres, Gérard Mortier les trouve principalement chez les impressionnistes qui dans les divers sens du terme lui ont apporté la lumière, qu’il s’agisse de Claude Monet, leur chef de file, d’Alfred Sisley faisant si bien jouer les reflets sur l’eau, de Camille Pissarro ayant pour point commun avec notre Boulonnais d’avoir travaillé en au pied des Alpes suisses. Cependant Gérard Mortier se plaît à revenir sur Nicolas de Staël dans une démarche visant à renoncer au détail et à aller vers l’essentiel. Gérard Mortier rend aussi hommage à une famille à la fois d’artistes et de marchands de couleur, celle des Lepetit qui étaient établis rue Victor-Hugo à Boulogne. Que de conseils lui apportèrent Emmanuel, Bernard et Patrick dans le choix de peintures qui sont toujours à base d’huile, l’acrylique ne lui convenant pas. Quel bonheur, dit Gérard Mortier, de pénétrer dans un atelier embaumé par la térébenthine !

L’atelier et son débouché champêtre

Petit et forcément encombré, son atelier du rez-de-chaussée représente le domaine où l’artiste peut s’exprimer en liberté : « Avant je travaillais dans la véranda et je fichais de la peinture partout, ce qui donnait l’envie, à mon épouse, de m’expulser. Aujourd’hui je me plais dans ce lieu personnel dont j’aime l’atmosphère, les odeurs, le fouillis, où je peux passer, selon mon humeur, d’un fond musical signé Mozart à des airs de rock and roll et de musique pop music. Ah ! Bob Dylan… »

Autre avantage de l’atelier : son débouché sur un jardin particulièrement verdoyant, en bordure de ruisseau, qui constitue le prolongement naturel du local. Par beau temps, il est si agréable d’y planter son chevalet, dans le gazon tondu de près que hante le hérisson familier.

La toile blanche

Malgré son incontestable talent, Gérard Mortier ne souffre pas d’un ego surdimensionné. Mais son rêve et son ambition sont à la fois d’apporter modestement sa contribution à la peinture et de donner du bonheur aux spectateurs aimant ses toiles. Il y en a toujours quelques-unes en cours de réalisation dans un atelier où le peintre ne souffre pas du syndrome de la page blanche. Le plus souvent l’œuvre trouve son origine dans une esquisse réalisée sur le motif que le peintre va ensuite projeter sur la toile définitive dont il aura d’abord vêtu le fond avec quelque épaisseur de peinture, dans les nuances correspondant au tableau futur. Une première ébauche, donc, que viendront ensuite habiller les grandes masses que l’artiste disposera. Ne réalisant jamais de dessin préalable, Gérard Mortier commence toujours par le ciel qui, comme dans la nature, conditionne l’ambiance générale. Si l’artiste rapporte de ses pérégrinations d’utiles croquis, il laisse aussi place à la mémoire visuelle et à l’imagination, sûr que quelques grains de folie et de merveilleux seront toujours indispensables.

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Ce texte, achevé pour l'essentiel en octobre 2008, ne rend pas compte de l'actualité des peintres à partir de cette période

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