Pont Neuf

Edwige Devillebichot

Lieu : Le Pont Neuf - En plein centre de Paris - le plus ancien pont


Paris capital capital capital ! On a fermé la Samaritaine !
Vieille pompe qui remonta l'eau de nos coeurs assoiffés de justice
Tant de Ponts neufs à construire pour unir et que cesse la haine
Tout à vos affaires, aveugles et sourds aux plaintes qui s'élèvent vaines
Roulez tonnes de métal et de verre, neuves et rutilantes sur le noir de l'asphalte
Brillez sur la planète ronde séculaires prétentieux et précieux catafalques
Mannequins, voleurs de haut vol, luxe clinquant qui s'imite et se calque
Lumières électriques de marques échangistes flashantes dans les flaques
Tourne, tourne, tourne rayonnant miroir aux alouettes à facettes
Tourne pour tes touristes en tours opérators balisés de devises
Il y a tant d'humains au loin pour te croire en permanente fête
Attirés par tes leurres échoués là, impuissants, des rêves plein la tête
Liberté ! Sur tes ponts les souvenirs des vers d'Eluard, d'Apollinaire
Rimbaud, Hugo, Genet, Verlaine, ton bal nègre et tes clubs de jazz
Poèsies couvertes par des voix de harpies, sans cesse les chiffres murmurent
Mais remettez donc des gardiens des grilles et des codes à nos murs
Qu'ils payent ! Soumettez et cachez donc cette misère que l'on ne saurait voir
S'ils sont d'ici qu'ils partent ou se donnent la mort... s'ils sont d'ailleurs
Eh bien repoussez les au delà des frontières et de nos si beau miroirs
Nous voulons circuler dans nos rues, nos avenues en dehors de leur vue
Toutes ces bouches édentées tous ces gueux sans espoirs défigurent nos trottoirs
La littérature, l'idéal, la culture ce n'est bon qu'à nous distraire au théâtre le soir

Il y a si loin de nos dires, à nos mains, c'est ainsi, arrière vilains, manants !

Qu'ils partent mourir où nous faisons nos bénéfices, la pauvreté est un vice
On ne construit pas le monde avec l'idéal, la mémoire et des bons sentiments
Chevaux de marbre qui hennissent sur les champs de nos gloires mors au dents
Empire richissime décadent, couronné, conquérant, idéal factice rayonnant
Des entrailles de la ville montent les chants lugubres des catacombes
L'écho des coeurs échoués en exil, hurlent en silence à la tombe
De pauvres solitaires atterrés longent les murs gris doutant de leur ombre
Payer son loyer c'est la règle sacrée ! Interdit de donner des miettes aux oiseaux !
Où comptes tu aller pauvre idiot sans garant, minable et faible pot d'argile !
Le seul chant qui vaille est celui de nos marmites de platine, d'or et d'argent !
Faites taire les rires de cette marmaille, ces voix, ces prières, ces chansons !
Que nous puissions tranquilles digérer, dormir, jouir et compter le pognon !
Poulbot démodé, ouvriers disparus, artisans décimés pour vitrines luxuriantes
Farandole des égos indigents et vibrants d'illusions, déguisés de contrefaçons
Donnez leur donc de la carotte et du bâton à ces pitoyables piétons
Divisez les, faites régner la peur, la jalousie, la rivalité, ils sont nos pions
Sur les écrans lumineux défilent les nouvelles en pixels du monde
Rivières coulantes au corps des stars rutilantes, maquillées de lumière
Vibrent les hurlements muets d'un jeune clochard se sachant seul sur la terre
Les mains propres et vides d'une femme pauvre, paumes tendues vers le ciel
Pour nourrir des insatiables coïts de riches en rut jouissant de poupées siliconées
Défilés collaborants de panoplies parvenues parodies de vies tant enviées
Tout à ton style endiablé Paris by night, Paris jour rayonnant de tes feux
De carrefour merveilleux magnifique matrice artistique es-tu devenu piège ?
Un trompe l'oeil mortel, nourrice de glorieuses et trompeuses ambitions ?
Paris capital, capital, capital, à faire échouer tant de cadavres sur les plages ?
La Seine va à la mer, et la mer ramène les corps de noyés en Italie en Espagne
Mais qui est cette silhouette frêle et tremblante qui vacille sur la passerelle des arts
Peuple tu ne te mettras plus jamais en colère, tu prends le RER les nerfs en guerre

La peur au ventre pour maigre pitance ! On t'a jeté dans le béton, dans des cages
Dompté ton coeur sauvage, ton amour de la liberté et tu rampes au super marché
Sourd et gavé de slogans impuissants, privé de forces vives virtuellement révolté
La Seine emporte au loin les mots qui se cabrent et s'enfuient de ma vaine colère
Tant de Ponts Neufs à construire pour unir et que cesse la peine. 

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