Si j'avais été homme

Möly Mö

Texte très personnel, réflexions sur le genre.

Je me suis souvent demandée à quoi je ressemblerais si j'avais été un homme. Je me suis souvent demandée comment j'aurais vécu si j'avais été un homme. Par « homme » j'entends la douce facilité d'être un homme cis hétéro (et blanc, pour parfaire le tout). J'ai toujours vécu le fait d'être arrivée au monde femme comme une injustice et pour autant je ne me suis jamais sentie comme habitant la mauvaise enveloppe corporelle, je n'ai jamais eu le besoin viscéral de changer d'identité sexuelle. C'est très étrange. Je me considère comme femme cis mais à la question « si tu avais pu choisir le sexe qu'on t'assigne à la naissance ? » J'aurai choisi d'être un garçon. J'aurai choisi de naître avec un pénis, d'être considéré comme un petit garçon puis comme un homme, d'avoir une barbe, des poils, la voix qui mue.


À l'adolescence, tout ce qui touchait à la puberté féminine et ce que ça voulait dire, m'angoissait et me dégoûtait. Les règles, c'est encore, à 32 ans, quelque chose qui me gêne un peu et me met mal à l'aise. J'ai longtemps rejeté cette obligation biologique que mon corps m'avait imposé. Avec la sexualité naissante, la peur de tomber enceinte, cette peur qui n'étreint que les femmes. C'est mon ressenti et mon expérience. Not all men si vous voulez, je m'en fous. Moi ce que j'ai vu, vécu et entendu c'est que quand tu possèdes un utérus, un vagin et bien tu flippes à chaque rapport sexuel de ce risque, des fois infime mais jamais nul ; de tomber enceinte alors que tu n'en as pas envie.

Encore une injustice. Mon corps et ma condition de femme ne me font subir que des injustices. Mais moi j'ai jamais demandé à devoir vivre ça, j'en ai jamais eu envie.


J'ai deux frères, dont je suis très proche depuis l'enfance. C'était peut-être des garçons et moi une fille, mais quand on jouait ensemble, je ne me posais pas la question. Je jouais aux petites voitures avec eux, aux Légo, aux Playmobil et ils participaient aussi à mes jeux loufoques.

Je me souviens très bien d'un jour où dans ma tête s'est ancré ceci « mes frères et moi, on est pas les mêmes. Mes frères et moi, on ne vivra pas la même vie. » Ce jour-là, l'adolescente de 13 ou 14 ans que j'étais, vivait très mal depuis peu le concept de menstruations. J'en avais honte, j'en étais écœurée.

L'été, dans le jardin, nos parents installaient une piscine. Mes deux frères jouaient dedans, je me tenais sur le pas de la porte, les regardant s'amuser et se rafraîchir. Clairement envieuse, honteuse, car à cette époque, je ne portais que des serviettes hygiéniques et le concept de se baigner en ayant ses règles c'était « obviously NON ». Ils m'ont demandé de les rejoindre, j'ai dit non. Ils ont insisté « Mais pourquoi ? Viens ! ». J'étais mortifiée. Je ne voulais certainement pas dire à mes frères la raison honteuse pour laquelle je ne pouvais pas enfiler un maillot de bain et piquer une tête. Ma mère a répondu pour moi en leur disant simplement « Elle a ses règles.». Cet instant qui a duré à peine quelques minutes, est resté gravé dans ma mémoire. Je me suis sentie sale, différente, gênée, hantée par un sentiment d'injustice et de privation de liberté. Et j'ai compris que mes frères et moi, nous n'aurions plus jamais la même relation que celle que nous avions enfants. Quand bien même nous resterions proches.


L'idée de me « transformer en homme » m'a très souvent traversé l'esprit. Vêtue selon les codes vestimentaires dits masculins, avec des poils sur les jambes et sous les bras ; avec une posture dite masculine ; est-ce que je me sentirai plus libre ? Libre de mes faits et gestes, libre d'être indépendante, d'être ignorée dans les lieux publics, libre d'aller où je veux quand je veux sans avoir « peur de... »

Je n'en sais rien, en réalité. Je suis une femme cis. Je subis le sexisme, le harcèlement sexuel et la misogynie. Ça me met extrêmement en colère et ça me fait enrager. Ça ne fait que confirmer ce que j'ai toujours pensé « Quelle injustice de naître femme, quelle injustice d'être femme »


Peut-être qu'en adoptant une identité non-binaire, un code vestimentaire neutre ou androgyne, je me sentirai mieux ? Je n'ai jamais osé. Jamais vraiment réfléchi à ça. Trop conditionnée par le rôle de « femme » qu'on m'a imposé, trop peur du regard des autres, trop peur du chaos que ça engendrerait dans mon esprit.

Ce qui est certain, c'est qu'au fil du temps, je m'apaise un peu et je me découvre autant que je me retrouve. J'ai simplement envie de continuer à avancer, évoluer et me donner la liberté d'être qui j'ai envie d'être : qui je suis, tout simplement.


Signaler ce texte