//Ghost//

atsuna-revane

Note : Voici l'introduction d'une petite histoire que j'ai commencé à écrire pour ne pas perdre la main, vu que je n'ai pas vraiment de temps à consacrer à la rédaction de mon roman. Ce n'est qu'un "premier jet" donc soyez indulgents, je retravaillerai probablement le tout, une fois que j'aurai écrit le mot "fin" :)

Une fois la nuit tombée, Sony avait pour habitude de se faufiler hors de la maison de son père, et de se balader à travers les ruelles sombres de la ville jusqu'à atteindre son point d'observation favori. Du haut de cet immeuble, il voyait sous ses pieds s'étendre le réseau de lumières de Motorville, les véhicules volants, le sommet des tours, entre autres celle de l'église où se rassemblaient les fidèles du grand Inateur. Mais surtout, de là, il pouvait voir la Serre, le dernier endroit dans la ville où l'on pouvait voir la Nature.

Ce soir-là ne faisait pas exception. Après avoir enfilé son pull à capuche noir, il se colla à la porte de sa chambre et attendit en silence. Il entendait en bas son père terminer de fermer le garage, ranger le matériel, puis après avoir fermé la porte qui menait à leur appartement, il monta les escaliers, ses semelles claquant contre le métal usé.

Sony attendait patiemment. Le seul indice trahissant son impatience était le mouvement constant de ses doigts contre le battant de métal qui le séparait du couloir de nuit. Les yeux fermés, il se concentrait sur les bruits que faisait son père. Dans la cuisine, il ouvrait le frigo, prenait une bouteille de bière, ouvrait le tiroir pour prendre le décapsuleur, ouvrait la bouteille, refermait le tiroir. Puis il s'adossait sûrement au comptoir, prenait une gorgée fraîche en fixant le cadre en face de lui, le regard rempli de nostalgie. Il se redressait, hésitait surement à appeler Sony pour lui demander s'il voulait manger quelque chose, mais finissait par abandonner et allait dans le salon, où il s'asseyait dans le canapé en allumant la télé. Les dernières notes du jingle des nouvelles retentirent dans l'appartement, remplaçant le silence oppressant. Sony soupira, se rendant compte à cet instant que son coeur battait plus vite. Comme tous les soirs, il avait espéré que son père l'appellerait, même si au fond il n'était pas sûr de le vouloir.

Secouant la tête, il se décolla de sa porte et se dirigea vers la petite fenêtre qui donnait sur une ruelle à l'arrière du garage, moins éclairée que les voies principales. Il enfila ses mitaines noires, jeta un regard sur sa chambre plongée dans le noir pour s'assurer que la fausse silhouette sous la couette tromperait encore la vigilance de son père, puis il ouvrit la fenêtre et se glissa au dehors, dans le faux silence nocturne de la ville.

Etant majoritairement une cité mécanique, elle ne se taisait jamais vraiment. Les machines vrombissaient partout en permanence, de la vapeur s'échappait du sol, des tuyaux, des toits, les véhicules volants pétaradaient dans le ciel, et les Observateurs voletaient toute la nuit à quelques mètres du sol de leurs petites ailes frissonnantes, scanant en permanence les moindres recoins à la recherche de potentiels fauteurs de troubles.

Mais Sony savait éviter le regard perçant de Lord Inateur, il avait appris au cours de ses années de vadrouille nocturne. Il s'accrocha à la descente de la gouttière qui courait le long du mur tout en laissant sa fenêtre se refermer. Il la coinça avec un morceau de tissu, pour pouvoir rentrer plus facilement quand il aurait fini sa balade. Puis il grimpa le long de la façade et atteignit le toit avec l'aisance de l'habitude. La ciel était plombé de nuages de pollution - à vrai dire, Sony ne l'avait jamais vu autrement que recouvert d'une chape grise qui reflétait parfois le miroitement incessant des lumières de la ville. Il se souvenait que, étant enfant, il avait écouté avec fascination son père lui parler du reste du monde. Il lui disait qu'il existait des endroits où les humains vivaient sans les machines, et qu'ils ignoraient même jusqu'à leur existence. Il parlait d'un monde où les arbres et les fleurs poussaient librement, où les animaux se baladaient dans l'herbe, au milieu de la nature.

Sony était incapable d'imaginer un tel monde, et si toutes ces histoires le fascinaient, lui donnaient envie de découvrir cet ailleurs, il en avait aussi terriblement peur. Et puis, il n'avait aucune preuve que son père lui disait vrai… De toute façon, Lord Inateur était partout, il observait tout le monde, et personne vivant à Motorville ne pourrait s'échapper de ses griffes d'acier. Malgré tout, Sony sentait qu'au fond de lui il voulait le croire, il voulait voir au delà des grandes murailles de métal, il voulait échapper à la vigilance des tours de contrôle et des Rôdeurs. Mais il ne voulait pas seulement fuir cette cage sans horizon. Il avait aussi un profond désir de vengeance… Et c'était ce désir qui le faisait tenir, chaque jour, dans cette routine étouffante, ces face à face silencieux et interminables avec son père qui n'était plus que l'ombre de l'homme qu'il avait été. Un fantôme qui réparait des voitures et buvait des bières en regardant la télé, attendant que son Heure vienne, celle où il serait envoyé au grand crématorium et rendu au Code Divin.

Non, Sony voulait plus que cette vie minable et sans but. Alors il allait courir sur les toits, grimper aux murs, esquiver les Rôdeurs, attraper les Observateurs défectueux. Il allait s'installer au sommet d'un immeuble proche de la Serre et passait des heures, les pieds dans le vide, à fixer ses grandes baies translucides qui laissaient deviner les silhouettes gracieuses d'arbres et de plantations diverses, se laisser aller à imaginer cet autre monde.

Assis sur le rebord de béton, il glissa une main dans sa poche et en sortit une bouteille d'eau. Elle n'avait aucun goût puisque c'était de l'eau qui était utilisée et filtrée à l'infini afin de limiter un maximum l'épuisement des ressources, mais ce qui importait c'était la sensation du liquide frais dans sa gorge, descendant dans son corps que l'effort avait rendu bouillonnant. Après avoir revissé le bouchon sur sa bouteille à demi vide, il ferma les yeux un instant, puis lâcha un soupir de bien-être.

Bien à l'abris du regard des Observateurs, dans l'ombre, il profitait de la vue imprenable de la ville, lorsqu'un bruit attira son attention derrière lui. Prudemment, il se retourna en essayant de faire le moins de bruit possible, pour se retrouver littéralement nez à nez avec un adolescent qui se tenait pendu à une canalisation, juste au dessus de lui. Les quelques faibles rais de lumière qui se glissaient jusque là laissaient voir des cheveux blonds, une peau pâle, et des yeux clairs à l'éclat rieur. Il souriait.

"Salut, qu'est-ce que tu fais là ?" demanda-t-il sans quitter son perchoir.

Sony se recula légèrement, sans savoir ce qu'il était supposé faire. C'était la première fois qu'il rencontrait quelqu'un pendant ses escapades, et il n'avait pas vraiment l'habitude de traîner avec les jeunes de son âge. Son père pensait que les autres allaient enflammer son jeune esprit de pensées rebelles. Il décida de garder le silence, même si le nouveau venu ne semblait ni rebelle ni hostile.

"Tu viens souvent par ici ?" continua l'énergumène après s'être laissé tomber par terre avec souplesse. Il avait probablement dû se rendre compte que parler à quelqu'un qui avait la tête à l'envers devait être un peu perturbant pour une première rencontre.

Sony haussa les épaules, en guise de réponse. Il continuait de fixer l'autre en essayant de comprendre ce qu'il lui voulait. Il était aussi habillé de noir, mais son pull à capuche était entrouvert et laissait voir un t-shirt vert fluo, sans compter qu'il portait des boucles d'oreilles, discrètes mais visibles, et que sa ceinture tintait à chacun de ses mouvements en raison de touts les petits pendants qui y étaient accrochés. Il tendit une main gantée de vert et de noir à Sony.

"J'm'appelle Zaya, et toi ?"

"Sony," marmonna-t-il en guise de présentation, saisissant timidement la main de Zaya. Lorsque leurs doigts se frôlèrent, Sony se sentit légèrement frissonner. Pour masquer son trouble, il détourna le regard. Il n'avait aucune idée de la façon dont il fallait se comporter avec quelqu'un du même âge que lui, ce que Zaya sembla remarquer immédiatement.

"Bon alors, tu fais quoi ici ?" demanda le jeune homme blond en venant s'asseoir à côté de Sony, au bord de l'immeuble, les pieds dans le vide.

"J'aime bien la vue," marmonna Sony, évitant soigneusement de tourner son regard vers son interlocuteur. Il fixait la Serre, le coeur battant. C'était la première fois qu'il désirait profondément être resté dans sa chambre bien sagement comme le lui demandait son père, plutôt que d'être là, confronté à un parfait inconnu.

"La serre ? T'es déjà rentré dedans ?"

"Quoi ?" s'exclama Sony, oubliant un instant qu'il était intimidé par le regard bleu azur de Zaya. "Personne ne rentre dans la Serre, c'est interdit !"

"Oui, bah, tu sais…" dit Zaya en haussant les épaules, "suffit juste de savoir par où passer. Moi j'aimerais bien y rentrer, voir de vrais arbres."

"Non, c'est impossible," marmonna Sony pour lui-même. Il voulait aussi entrer dans la Serre et voir les plantes qui y étaient conservées, mais la sécurité était infranchissable. En tout cas, d'après ce qu'on lui avait dit… Cependant, personne ne rentrait jamais dans la Serre, personne n'avait jamais essayé…

"Moi je sais que c'est possible," rétorqua Zaya en souriant. "Ca te dit pas qu'on essaie ?"

"T'es malade," grommela Sony, en se relevant. Ce gars était fou, il était temps qu'il rentre chez lui, bien en sécurité, loin des Observateurs, Rôdeurs et autres vigilants. Il allait rentrer,  dormir, et le lendemain, il prendrait un morne petit déjeuner avec son père, travaillerait toute la journée au garage avec Brody et son père, puis il mangerait, irait dans sa chambre, et recommencerait son cinéma de tous les soirs. Il viendrait regarder la Serre en rêvant, les pieds dans le vide. Et l'idiot qui se trouvait à présent à côté de lui ne serait plus là pour lui suggérer de telles folies. Il n'avait pas fait deux pas que l'autre l'interpelait.

"Hey, où tu vas ? T'es sûr que tu veux pas rentrer dans la Serre ?"

Mais Sony l'ignora royalement. Il prit de l'élan puis courut, sauta au dessus du vide et se réceptionna sur le toit d'en face d'une roulade parfaitement exécutée. En temps normal, il ne se serait pas retourné, il aurait continué son chemin, mais quelque chose l'incitait à plus de curiosité. Alors il jeta un regard derrière lui, d'abord à la Serre, puis à son coin de toit. Zaya y était toujours, il le regardait avec un sourire étrange sur les lèvres.

"Tu reviendras demain ?" demanda le blondinet, d'un ton plein d'espoir.

Sony hésita un instant ; cet intrus dans sa petite bulle le dérangeait, lui qui avait toujours été seul, mais cette solitude n'était pas un choix, et peut-être que Zaya était pour lui l'occasion d'apprendre à se faire des amis. Bien sûr, il semblait un peu givré, mais ce n'était qu'un détail pas bien méchant.

"Ouais," finit-il par lâcher, "je reviendrai demain. Tu comptes vraiment entrer dans cette Serre ?"

"Avec ou sans toi !" répondit Zaya.

Sony soupira, passa une main dans ses cheveux noirs, puis remonta sa capuche sur sa tête, plongeant son visage dans l'ombre.

"Je viendrai aussi alors ," répondit-il, arrachant un sourire satisfait au blondinet. Puis sans un mot de plus, il fit volte face et disparut dans les ombres de la ville.

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