Ton souffle peut compter sur toi

Thierry Kagan

Cher vainqueur,

Te souviens-tu de ton premier souffle, celui attendu par tous - au moins ceux qui se sont donné du mal - ou de la joie, ça arrive, aussi - pour te faire, alors que, peut-être, juste avant le coït, ils s'engueulaient pour le tri d'un pot de yaourt à jeter dans la meilleure des poubelles ?

Te souviens-tu de ce premier souffle au sortir tout frais du chaud placenta de ta mère qui s'ignorait cisgenre mais qui n'aurait pas manqué de s'en foutre si elle avait su, poche des eaux que tu crevas allègrement d'un coup de dent que tu n'avais pas ?

Ah ! Ce souffle qui donna le ton aux dizaines d'années qui devaient suivre. Quelque chose entre un la dièse et un si bémol - particulièrement ténu, donc - qui s'entend de loin, que tu tousses, jouisses ou gueules sur la gardienne qui ressort, comme à chaque fois, ton pot de yaourt encore plein de bifidus pour le mettre dans la poubelle ad hoc, en maugréant à l'anonyme encontre, mais sachant bien que c'est encore toi le coupable.

Ce choix de note primale, tu le fis évidemment en connaissance de cause puisque tu étais déjà doté - comme nous l'avons tous été - de ta bonne centaine de milliards de neurones plus ou moins connectés et dont tu te demandes, encore aujourd'hui, si tu as bien fait, pendant des années, de te les griller à regarder des vidéos qui font rien qu'à te faire envie de ce que tu ne pourras jamais t'offrir dans la vie, comme par exemple, cette montre qui donne l'heure magnifiquement ou cette splendide blonde remarquée un black friday par moins 40 - pourcents, pas degrés - dont le corps, on ne sait pas pourquoi, est constamment, lui aussi, recouvert de bifidus, mais chez elle, rien n'est à jeter.

Ton souffle court ou long, pointu ou carré, tu ne le sais jamais et tu aimerais en connaître la force et la durée maximale sous pression, à tout moment.

Pour pallier cette frustration, quoi de plus approprié qu'un petit appareil de poche (ancien compteur à gaz) - de grosse poche, c'est vrai - qui fera frémir toutes celles qui se demandent pourquoi les baisers du haut et du bas s'arrêtent si souvent promptement alors qu'elles en ont encore plein sous le capot et que leur gringalet de petit bras s'essouffle, clôturant par un "j'en peux plus" haletant qui fait pitié.

Toi, avec classe, lors des cocktails et autres réunions pour faire envie, tu peux être vu à des lieux pousser le compte-tours de cet instrument pour montrer à quel point, si on te cherche à cette extrémité-là de ton tube digestif, tu sauras relever non seulement les jupes mais, surtout, les défis de ces dames.

N'oublie pas, tout de même, comme pour tous les embouts du monde, de rincer abondamment avant chaque usage.

On n'est jamais à l'abri d'un microbe qui aurait fricoté avec un virus qui ne se serait pas débarrasser de ses parasites et bactéries en se lavant bien les paluches au préalable.

Profite bien.

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