Toute vérité est-elle bonne à dire ? Débat !

Sylvain Begon

Toute vérité est-elle bonne à dire et à entendre, voici le débat que 26 lycéens de 15 à 18 ans ont choisi dans le cadre du café-débat. Voici le compte rendu de leurs échanges. Qu'en pensez-vous ?

Dans le cadre d'un café-débat que j'organise tous les vendredis, 26 élèves volontaires entre 15 et 18 ans ont débattu de la question suivante :

Toute vérité est-elle bonne à dire et à entendre ?

Vous pouvez retrouver cet article et bien d'autres actus et débats autour de l'oralité ici :

https://leblogdeloralite.wordpress.com/

Voici le compte rendu de ce Grand débat :

Moins nombreux que les précédentes éditions où nous avions franchi allègrement la trentaine de participants, nous étions cette fois-ci 23 réunis au Parloir – qui n'a jamais aussi bien porté son nom –  afin de débattre des questions apportées par nos élèves. Nous avons également pu accueillir une nouvelle professeure : Anne Cousin, enseignante d'Arts Plastiques en collège et lycée.

Les élèves ont proposé 6 questions, soumises au vote :

Faut-il mieux essayer d'être parfait, d'être soi même ou d'être comme les autres ? (8 voix)Toute vérité est-elle bonne à dire et à entendre ? (14 voix)Comment lutter contre les inégalités sociales (6 voix)L'école est-elle un lieu de libertés ? (8 voix)Le capitalisme est-il un frein à l'écologie ? (5 voix)La laïcité à l'école (7 voix)

Ainsi, avons-nous débattu du sujet suivant : « Toute vérité est-elle bonne à dire et à entendre » et voici notre compte rendu.

Déjà, une première prise de parole a contribué à rappeler l'importance d'être dans le « vrai », dans le véridique, dans la véracité. L'exigence de vérité était à n'en pas douter l'objectif des Lumières, en même temps que le moyen de combattre l'obscurantisme. La vérité est alors nécessaire pour pouvoir discuter, débattre, forger une décision, relater un fait et à certains de rappeler qu'elle était un travail, une conquête, que l'école nous apprend à développer. D'autres ont souligné que les faits véridiques permettaient un jugement impartial, c'est-à-dire, qui traduit la justesse de la justice, si vous me permettez cette prosonomasie.

En revanche, cette capacité du vrai, si elle prend source dans sa conquête fruit d'un travail pour viser le juste et le véridique dépend des capacités et libertés de parole et d'écoute. En d'autres termes, la vérité a des conditions qui la rendent possible.

D'abord la liberté de parole est essentielle. On ne peut dire la vérité, ne serait-ce que sa vérité, si la liberté de parole est entravée par la loi mais aussi par la peur. Que devient la vérité : « Hitler est un grand danger pour la paix, en Allemagne Nazie ? », certainement une vérité tacite, occultée par l'absence de liberté de parole. Cette liberté de parole est un combat permanent, contre l'obscurantisme, l'extrémisme, et certains de rajouter aussi la bienpensance.

Ensuite, la capacité de parole est fondamentale. On ne peut dire la vérité sans une mise en forme convenable. Comme disait Victor Hugo : « La forme, c'est le fond qui remonte à la surface ». Il faut savoir mettre en forme, le fond de vérité pour qu'il remonte à la surface de la conversation ! La vérité crue et drue, pour elle-même risque alors de devenir pour certains des stigmates : « Tu es grosse » / « Tu n'as pas d'ami ! »… Des stigmates qui sont comme autant d'étiquettes qui collent au front de l'individu et qui le font se ressentir comme une personne « viciée, amputée » pour reprendre les propos de Goffman dans « Stigmate ». La question de l'atténuation, des propos « implicites » a été abordée comme moyen pour appréhender cette mise en forme de la vérité.

Cette capacité de parole est un apprentissage, une éducation. C'est la capacité à mettre en mot, à oser la parole, à affirmer sa voix et à prendre en compte ce que Goffman appelle « la situation » dans « La mise en scène de la vie quotidienne », et qui nécessite une grande responsabilité de l'orateur que nous nous apprêtons à être en de pareilles circonstances. Ainsi, faut-il prendre en compte le contexte, l'espace, l'instant, et surtout autrui. On parle du « principe de réalité ». Ces compétences témoignent de l'importance de l'oralité dans la production d'un oral, mais aussi dans ce que l'on appelle les compétences sociales, qui nécessitent de prendre soin d'autrui.

Ce soin d'autrui a été mentionné plusieurs fois à travers des expressions comme « connaître l'autre », « savoir ce qu'on peut lui dire », « prendre en compte ce qu'il attend de nous », « prendre en compte l'amitié qui permet aussi de dire les choses franchement », « ou au contraire de taire une vérité pour la sauvegarder », « savoir quand lui dire la vérité », « savoir comment lui dire ».

La subjectivité dépend d'alors de la capacité d'écoute d'autrui. Est-il prêt à entendre ce que l'on va lui dire ? Comment effectuer l'interprétation de cette capacité d'écoute de l'autre ? En effet, certains élèves ont rappelé que le réel de l'autre n'est pas forcément le nôtre. Disposant de la vérité, ou d'une vérité que nous croyons nôtre, nous sommes dans l'angoisse Sartrienne, celle qui nous offre le choix de le dire ou de le taire sur l'instant, et le simple fait de pouvoir le dire peut construire cette peur. Ainsi, certains se sont posés la question qui consiste à savoir si le fait de dire sa vérité à l'autre n'était pas une forme d'égoïsme que de faire valoir un point de vu à quelqu'un qui n'est peut-être pas prêt à l'entendre, mais que l'on jugerait apte à l'écouter … ?

N'y a-t-il pas là un pouvoir exercé sur autrui par le biais de deux jugements successifs (je peux parler et il est prêt à m'écouter) ? Je vais encore plus loin : ne faut-il pas un constat véridique préalable pour oser dire la vérité ou pour le dire autrement, la vérité sur l'espace de parole (celui de l'orateur et celui de l'auditeur) n'est-elle pas un préalable au fait de pouvoir dire la vérité ?

Plusieurs pistes peuvent nous permettre alors peut être un dépassement :

La réflexion autour de la vérité en général : N'y-a-t-il qu'une seule vérité ?La réflexion sur la posture maïeutique qui consiste à affirmer comme Socrate « Tout ce que je sais c'est que je ne sais rien », afin d'amener chacun à découvrir sa propre vérité, comme une quête de l'homme intérieur.La réflexion duale autour de la conscience morale, qui pousse à taire ce qui peut faire mal à autrui alors que ce qui fait mal est souvent produit d'une certaine vérité révélée à la face de l'autre.La réflexion entre le devoir et la liberté. La vérité est-elle en toutes circonstances une exigence morale (comme le défend Emmanuel Kant, dans les impératifs Catégoriques), ou bien une liberté au nom de l'humanité (comme le défend Benjamin Constant), ou bien troisième piste, est-elle fonction des circonstances comme nous l'indique Machiavel dans « Le Prince » ?

De ces réflexions très riches et très poussées sur le plan de l'analyse, nous retenons certainement une conclusion plus simple.

La vérité a des conditions mais nous sommes souvent ignorants des conditions qui l'entravent et la rendent possibles, rendant notre jugement interprétatif mettant donc potentiellement la vérité en danger.

Sylvain BEGON – LE 11/10/2020

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